B. UNE COOPÉRATION JUDICIAIRE TRÈS ACTIVE
Avant la crise qui a affecté leurs relations, la coopération judiciaire entre la France et le Maroc, fondée sur la convention d'entraide judiciaire signée en 2008, était très dense.
1. Un cadre fixé par la convention d'entraide judiciaire de 2008
La première convention relative à la coopération judiciaire entre la France et le Maroc 1 ( * ) a été signée le 5 octobre 1957. Les dispositions de cette convention ont été modernisées, à l'initiative de la partie marocaine, par la signature, le 18 avril 2008, d'une convention d'entraide judiciaire qui ne portait que sur les stipulations pénales de la convention de 1957.
La convention de 2008 comporte des dispositions classiques pour ce type d'instruments et des clauses plus originales.
S'agissant des dispositions classiques, aux termes de l'article premier, les deux États « s'engagent à s'accorder mutuellement (...) l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions pénales dont la sanction est, au moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante. L'entraide sera accordée sans qu'il soit exigé que les faits soient considérés comme une infraction dans le pays requis ».
La convention prévoit que l'entraide judiciaire en matière pénale porte essentiellement sur la recherche de preuves, l'audition de témoins ou d'experts, le transfèrement de personnes détenues et la communication d'extraits de casier judiciaire . Ainsi, l'article 10 de la convention traite de la question de la comparution de témoins ou experts, qui peut être demandée si elle semble « particulièrement nécessaire ». La communication d'extraits de casier judiciaire est prévue à l'article 25, qui précise que l'État requérant pourra obtenir des extraits de casier judiciaire en s'adressant directement au service compétent de l'État requis. Celui-ci communique les informations dans la mesure toutefois où il pourrait lui-même obtenir de tels renseignements auprès des autorités de l'État requérant.
Quant à la recherche de preuves, en particulier la question de la recherche et saisie des produits d'infraction, en vertu de l'article 20, une partie peut demander de rechercher et de saisir les produits d'une infraction à sa législation susceptibles de se trouver sur le territoire de la Partie requise. Celle-ci prend toutes les dispositions nécessaires autorisées par sa législation pour empêcher que ces produits ne fassent l'objet d'une transaction ou ne soient transférés ou cédés avant que l'autorité compétente de la Partie requérante n'ait pris de décision définitive à leur égard.
Outre ces dispositions classiques, la convention comporte diverses dispositions plus atypiques.
La première d'entre elles est l'élargissement du champ de l'entraide , notamment aux actions civiles jointes aux actions pénales ou dans les procédures d'instruction et de notification en matière d'exécution des peines ou des mesures de sûreté (article 1 er ). La deuxième spécificité réside, à l'article 3, dans le fait d'écarter l'opposabilité de certains motifs de refus et d'introduire une obligation de motivation des refus d'entraide. La troisième spécificité concerne l'établissement d'un dialogue entre la partie requérante et la partie requise pour la bonne exécution des demandes. Ainsi, aux termes de l'article 3, partie 5, « avant de refuser l'entraide judiciaire (...), la Partie requise apprécie si elle peut être accordée aux conditions qu'elle juge nécessaires. Si la Partie requérante y consent, elle doit s'y conformer ». Ce dialogue approfondi se retrouve également dans les stipulations des articles 7 (exécution des demandes) et 9 (demandes complémentaires d'entraide judiciaire). La quatrième permet d'introduire certaines formes particulières d'entraide, telles que les livraisons surveillées (article 15), le recueil d'informations en matière bancaire (article 18), la restitution des objets obtenus de façon illicite à la partie requérante (article 21), l'échange spontané d'informations concernant des faits pénalement punissables ou encore la dénonciation aux fins de poursuite (article 23) .
Enfin, la convention introduit une possibilité de transmission directe des demandes d'entraide entre autorités judiciaires en cas d'urgence et permet aux autorités de la partie requérante qui assistent, sur le territoire de la partie requise, à l'exécution d'une demande, d'emporter à leur retour une copie certifiée conforme des actes d'exécution.
2. Une coopération judiciaire en matière pénale très dynamique
Avant la suspension unilatérale par le Maroc, entre le 26 février 2014 et le 31 janvier 2015, de la coopération judiciaire en matière pénale, le volume des demandes échangées était en augmentation constante, avec un déséquilibre en faveur des demandes françaises ( 10 fois plus nombreuses que celles en provenance du Maroc ).
La part la plus importante de ces demandes a trait aux infractions à la législation sur les stupéfiants (un tiers des affaires) ; sont ensuite concernés les faits de trafic de véhicules, les crimes de sang (enquêtes de personnalité) et les affaires de moeurs.
Au total, depuis 1998, la France a adressé au Maroc 952 demandes d'entraide (dont 103 actuellement en cours) contre 77 adressées par le Maroc à la France (13 sont en voie d'exécution). En matière de terrorisme, depuis le 1 er janvier 2000, 37 demandes d'entraide ont été échangées entre la France et le Maroc, toutes relatives à l'action de groupes islamistes ; 30 demandes ont été adressées par la France, et 7 par le Maroc.
S'agissant des dénonciations officielles aux fins de poursuites , les autorités françaises ont procédé à la transmission de 133 demandes depuis 2000 contre 24 transmises par les autorités marocaines.
Il convient de souligner que le délai moyen constaté pour l'exécution des demandes françaises au Maroc est stable depuis cinq ans, se situant aux alentours de six mois, ce qui est particulièrement performant .
En outre, en matière de coopération judiciaire, un groupe dit tri puis quadripartite contre le terrorisme a été créé en 2006 à l'instigation du procureur de la République de Paris, du procureur chef près l'Audience nationale à Madrid et du procureur général près la Cour d'appel de Rabat, rejoints en 2011 par le parquet fédéral de Belgique. Ce groupe de travail constitue la forme la plus aboutie et la plus opérationnelle de l'échange d'informations entre acteurs directs de la lutte judiciaire contre le terrorisme, avec un format réduit et des réunions régulières. La dernière réunion s'est ainsi tenue à l'invitation de l'Espagne les 13 et 14 octobre 2014 à Cordoue en présence du Maroc.
Enfin, si le présent projet de loi concerne l'entraide en matière pénale, il faut rappeler que les échanges en matière civile sont également très vigoureux entre les deux pays.
3. Le rôle important du magistrat de liaison
La création, en 2002, d'un binôme de magistrats de liaison a permis de mieux comprendre certaines spécificités de l'organisation de l'institution judiciaire marocaine, particulièrement au niveau central, et d'obtenir dans la plupart des cas que l'entraide soit accordée aux autorités judiciaires françaises, y compris dans des situations d'urgence. Le binôme de magistrats de liaison a ainsi permis la coopération en matière pénale franco-marocaine d'atteindre un bon niveau de fluidité et de dynamisme.
* 1 Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements d'extradition du 5 octobre 1957.