II. L'OBJECTIF DE LA PROPOSITION DE LOI : RENFORCER LES DROITS DES PERSONNES MALADES EN FIN DE VIE
La présente proposition de loi entend poursuivre la démarche engagée par la loi de 1999 ouvrant l'accès aux soins palliatifs puis poursuivie par celles du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. L'ensemble des modifications proposées complète ainsi la législation en vigueur depuis quinze ans par le renforcement du rôle des directives anticipées, l'encouragement au développement d'une culture palliative et la reconnaissance de la possibilité de recourir dans certaines circonstances à une sédation profonde maintenue jusqu'au décès.
Conformément au consensus dégagé à l'issue des travaux conduits au cours des trois dernières années, ces modifications ont pour objet d'améliorer la prise en compte des souffrances en fin de vie. Elles ne consacrent d'aucune manière un droit à mourir ou à faire mourir : à l'instar de la commission de réflexion sur la fin de vie, le CCNE souligne dans son avis n° 121 la nécessité de garantir un meilleur accès aux soins palliatifs et de conférer un caractère contraignant aux directives anticipées. Il estime en outre « qu'un patient doit pouvoir, s'il le demande, obtenir une sédation continue jusqu'à son décès lorsqu'il est entré dans la phase terminale de sa maladie ». En revanche, la majorité des membres du comité se déclare hostile à la légalisation de l'assistance médicale au suicide ainsi qu'à toute forme d'euthanasie. Cette position a été réitérée dans le second rapport du CCNE présentant une synthèse des multiples consultations publiques conduites entre 2012 et 2014. La présente proposition de loi concerne, en d'autres termes, non pas les personnes malades qui « veulent mourir » mais celles qui « vont mourir ».
A l'issue de son examen en première lecture à l'Assemblée nationale, le texte comporte quinze articles :
- les articles 1 er et 2, 5 à 7, 11 et 12 entendent procéder à une réécriture du droit existant à des fins de précision ou de coordination ;
- les articles 3 à 4 bis concernent l'accès aux soins palliatifs et la reconnaissance du droit à la sédation profonde et continue ;
- les articles 8 à 10 , relatifs à l'expression de la volonté de la personne, visent à renforcer la portée des directives anticipées et le rôle de la personne de confiance ;
- les articles 13 et 14 prévoient respectivement l'application de plein droit de la loi en Nouvelle-Calédonie et l'information annuelle du Parlement sur sa mise en oeuvre ainsi que sur la politique de développement des soins palliatifs.
A. LA SÉDATION PROFONDE ET CONTINUE : UNE RÉPONSE ADAPTÉE AUX SOUFFRANCES REFRACTAIRES DES PERSONNES MALADES EN FIN DE VIE
1. Une mise en oeuvre très inégale du droit en vigueur
a) Une connaissance insuffisante de la loi de 2005
Depuis la loi de 2005 qui encadre les situations de fin de vie, l'article L. 1110-5 du code de la santé publique dispose que les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris . Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10 », c'est-à-dire palliatifs. En outre, « les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort. Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade ».
Les soins palliatifs sont définis depuis 2002 comme des « soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage . »
De l'avis quasi-unanime, les dispositions de la loi de 2005 relatives au refus de l'obstination déraisonnable et à l'arrêt des traitements dans le respect de l'autonomie du patient sont encore méconnues non seulement des patients et de leurs proches mais aussi des médecins eux-mêmes.
Ce constat renvoie à l'insuffisance de la formation des professionnels aux situations de fin de vie et aux soins palliatifs dans notre pays. Il ne s'agit pas tant d'une question de moyens que d'une difficulté liée à la culture médicale française. Outre le peu de temps consacré aux soins palliatifs dans la formation des médecins, voire l'absence totale d'enseignement relatif aux limitations de traitement et à la prise en charge de la douleur, l'intervention des soins palliatifs reste encore souvent associée à un échec des soins curatifs et donc à celui du corps médical lui-même : si, comme l'a indiqué la commission de réflexion sur la fin de vie, les médecins n'ont pas été formés pour travailler sur cette « ligne de crête correspondant à la limite des savoirs, à la limite de la vie, à leurs propres limites et aux limites des personnes malades » 4 ( * ) , l'idée d'une abdication de la médecine devant les soins palliatifs reste fortement ancrée dans les perceptions collectives.
Forts de ce constat, vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à l'objectif des dispositions de l'article 1 er de la proposition de loi prévoyant expressément une formation aux soins palliatifs. Votre commission a toutefois jugé utile d'étendre cette obligation à un champ plus large de professionnels de santé.
b) Des pratiques hétérogènes accentuant les inégalités face aux conditions de la mort
Il résulte de la situation décrite précédemment et des difficultés d'accès aux soins palliatifs une application à la fois très inégale et incomplète du droit en vigueur en matière de fin de vie.
La loi Leonetti a fait l'objet d'une progressive acculturation dans un certain nombre de services où elle est aujourd'hui bien connue et appliquée. Les témoignages recueillis par vos rapporteurs confirment néanmoins la très grande hétérogénéité qui caractérise aujourd'hui les soins palliatifs en général et la pratique de la sédation en particulier . Celle-ci n'est pas un acte nouveau puisqu'elle est déjà mise en oeuvre, en particulier dans certains services de soins palliatifs ou dans des services hospitaliers spécialisés dans les maladies graves. Cependant, le recours à cette pratique ne relève que de la seule appréciation du médecin ou de l'équipe soignante et il est rare qu'elle soit mise en oeuvre ailleurs qu'à l'hôpital (domicile du patient, établissement médico-social). Les inégalités d'accès aux traitements sédatifs accentuent ainsi les inégalités de nos concitoyens face aux conditions de la mort.
c) La nécessité d'améliorer la prise en compte des bonnes pratiques en matière de sédation
Ce constat rend d'autant plus importante la prise en compte des recommandations de bonnes pratiques en matière de sédation telles qu'elles sont rédigées par la société française d'accompagnement en soins palliatifs (SFAP) et validées par la Haute Autorité de santé (HAS).
Les recommandations de bonnes pratiques de la SFAP Ces recommandations sont actualisées et diffusées tous les cinq ans. Définition de la sédation Selon la SFAP, « la sédation est la recherche, par des moyens médicamenteux, d'une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu'à la perte de conscience, dans le but de diminuer ou de faire disparaître la perception d'une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en oeuvre sans permettre d'obtenir le soulagement escompté par le patient. Ce que n'est pas une sédation :
Situations de recours à la sédation La SFAP définit trois grandes situations médicales où le recours à la sédation est justifié :
La SFAP insiste sur les compétences techniques particulières rendues nécessaires par un acte médical tel que la sédation et précise en particulier qu'il est « indispensable lorsqu'une décision de limitation de traitement est décidée que l'ensemble des thérapeutiques soit suspendu de façon concomitante (alimentation, hydratation, ventilation artificielle, etc.) afin d'éviter des agonies prolongées ». Source : Document de la SFAP transmis à vos rapporteurs (caractères gras à l'initiative des rapporteurs). |
2. La reconnaissance par la loi de la pratique de la sédation profonde et continue comme un droit spécifique aux personnes malades en fin de vie
a) Une réponse adaptée à la nécessité de garantir à tous le meilleur apaisement possible des souffrances réfractaires en fin de vie
A l'article 3 , la proposition de loi reconnaît expressément aux personnes malades en fin de vie et dont les souffrances sont réfractaires le droit de recevoir une sédation maintenue jusqu'au décès. Les auteurs du texte ont entendu conditionner sa mise en oeuvre aux deux critères essentiels prévus par la société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) : le décès doit être imminent, c'est-à-dire le « pronostic vital engagé à court terme » et la souffrance ressentie par le malade doit être « réfractaire » au traitement. La sédation à laquelle il est fait référence provoque une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès : c'est la raison pour laquelle le texte la qualifie de « profonde et continue ». Il convient de garder à l'esprit l'une de ses conséquences, à savoir l'impossibilité pour le patient d'interagir avec ses proches ou toute autre personne dès l'instant où la sédation produit son effet.
L'article 3 définit ainsi trois séries de cas dans lesquels le recours à la sédation profonde et continue est possible :
- à la demande du patient atteint d'une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire au traitement ;
- à la demande du patient atteint d'une affection grave et incurable, qui décide d'arrêter un traitement, engageant ainsi son pronostic vital à court terme ;
- lorsque le patient est hors d'état de s'exprimer, au titre du refus de l'obstination déraisonnable.
L'article 3 précise que la sédation est associée à l'arrêt de tout traitement de maintien en vie et codifie à cet égard la décision du Conseil d'État de 2014 précitée.
Votre commission a jugé nécessaire de clarifier les cas dans lesquels une sédation profonde et continue est mise en oeuvre jusqu'au décès afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur l'ouverture d'une possibilité de suicide assisté. Par ailleurs, elle a souhaité préciser les conditions minimales d'organisation de la procédure collégiale prévue dans plusieurs articles de la proposition de loi.
b) La question de l'applicabilité de la sédation profonde et continue en néonatalogie
Les réflexions menées sur les évolutions à apporter à la législation sur la fin de vie soulèvent la difficile question de la néonatalogie. Celle-ci est encore trop souvent éludée. Les situations médicales dans lesquelles la vie ou les conditions de vie de nouveau-nés sont remises en cause appellent pourtant une analyse précise. Ces situations sont évidemment dramatiques pour les parents et les familles. Elles entraînent pour les équipes soignantes de grandes difficultés sur les décisions à prendre et conduisent à une intolérable disparité des pratiques.
La question de l'applicabilité de la sédation profonde et continue dans les services de néonatalogie conduit à distinguer deux situations médicales :
- Lorsque les nouveaux nés sont atteints d'une maladie grave et incurable qui engage leur pronostic vital à court terme et que leurs souffrances apparaissent réfractaires à tout autre traitement, la sédation profonde et continue a vocation à être mise en oeuvre au même titre que tout autre patient, sous réserve de la prise en compte du choix des titulaires de l'autorité parentale dans le cadre de la procédure collégiale.
- La situation est différente en ce qui concerne les nouveau-nés souffrant ou qui vont souffrir de handicaps neurologiques consécutivement à une asphyxie périnatale mais qui ont recouvré une complète autonomie. Selon les informations communiquées à vos rapporteurs, l'asphyxie périnatale intervient de manière inattendue dans 2 cas pour 1 000 naissances et s'avère responsable de 20 % de handicaps neurologiques chez l'enfant à terme. La difficulté tient à ce que le bilan lésionnel ne puisse être réalisé qu'après une réanimation dite « d'attente » au terme de laquelle la majorité des nouveau-nés auront retrouvé une autonomie respiratoire : après analyse de critères cliniques et biologiques, les nouveau-nés sont placés en hypothermie neuro-protectrice pendant trois jours marqués par une réanimation lourde impliquant une suppléance respiratoire. Un électroencéphalogramme (EEG) aux premier, troisième et septième jours et une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale entre le cinquième et le septième jour permettent de réaliser un bilan lésionnel mais une évaluation neurologique fiable n'est possible qu'à la levée de l'hypothermie et de la sédation. Si certains nouveau-nés décèdent au cours de cette réanimation en raison d'une défaillance multiviscérale, la plupart deviennent autonomes pour respirer, s'alimenter (ils peuvent boire leurs biberons) et bouger mais le bilan lésionnel peut indiquer l'existence de lésions importantes et irréversibles dont on sait qu'elles provoqueront un handicap sévère qui se révèlera progressivement avec le temps.
Dans la mesure où ces nouveau-nés ne sont pas en fin de vie puisque leur pronostic vital n'est pas engagé et qu'ils ne font pas l'objet d'une obstination déraisonnable, leur situation médicale ne satisfait pas aux critères permettant de recourir à une sédation profonde et continue. La mise en oeuvre d'une telle pratique dans ces situations conduit à se placer en dehors de ce qui est aujourd'hui autorisé par le droit en vigueur et en dehors du champ de la présente proposition de loi qui ne reconnaît pas l'euthanasie d'exception ; elle soulève en tout état de cause la question du risque eugénique que ferait courir tout changement législatif en la matière.
* 4 Rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie, page 38.