B. UNE ÉLABORATION LABORIEUSE
1. Des lacunes dans l'évaluation
Comme la Constitution l'exige 6 ( * ) , le projet de loi a été déposé accompagné d'une étude d'impact dont on aurait pu penser - compte tenu de l'intitulé même du projet - qu'elle fournirait des indications précises sur les conséquences des mesures proposées en terme d'emploi, de croissance, d'attractivité du territoire et même de pouvoir d'achat.
À cet égard, l'étude d'impact s'est révélée très fragile, au point que les ministres concernés par le texte ont renoncé eux-mêmes à présenter des objectifs chiffrés. Emmanuel Macron, ministre en charge du texte, déclarait ainsi devant votre commission 7 ( * ) : « J e pourrais vous donner des chiffres de mes services sur l'impact en termes d'emploi. Je préfère être prudent, comme sur les questions de pouvoir d'achat : toutes les études sont à dix ans. Selon France Stratégie, l'ouverture des transports créerait 10 000 emplois, l'ouverture dominicale plusieurs milliers, plus au moins 2 000 dans les zones touristiques internationales et les gares. Je préfère évaluer régulièrement ces effets . »
Pour pallier les insuffisances de l'évaluation initiale, le ministre de l'économie a pris une initiative originale qui s'est avérée, in fine , assez peu concluante. À sa demande et sous l'autorité de France Stratégie, a été mise en place en janvier 2015 une « commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité », composée de dix experts indépendants et chargée de « mettre à la disposition du public « parlementaire » et du grand public des notes de synthèse sur les points les plus marquants de la loi ».
Après avoir remis dans un délai très court cinq études portant sur l'urbanisme commercial, les professions réglementées, la justice prud'homale, l'ouverture de l'offre de transport par autocar et la réforme du travail dominical, la commission a cessé de fonctionner. Elle n'a donc pas examiné les nombreuses et importantes modifications ainsi que les nouveautés intégrées par l'Assemblée nationale. Au total, elle aura surtout servi - sans grand succès - à appuyer les argumentaires développés par le ministre de l'économie pour convaincre la majorité de l'Assemblée nationale.
2. Une instabilité peu commune
Dernière caractéristique du projet de loi, son instabilité, la commission spéciale de l'Assemblée nationale décidant au cours des débats, le plus souvent avec l'accord du Gouvernement, d'intégrer de nouvelles dispositions majeures ou d'en retirer d'autres. Ce phénomène d'« entrée-sortie » a trouvé une illustration frappante s'agissant de la question du secret des affaires.
Les articles 64 ter à 64 octies visant à instaurer un régime de protection civile et pénale du secret des affaires ont ainsi été adoptés en commission à l'initiative de notre collègue député Richard Ferrand, rapporteur général de la commission spéciale. Ces articles reprenaient la proposition de loi n° 2139 déposée sur le sujet le 16 juillet 2014 par nos collègues députés Bruno Le Roux, président du groupe SRC, et Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Suscitant une polémique de la part d'une partie des médias, craignant que ces dispositions n'entravent ou ne sanctionnent les enquêtes journalistiques, ces dispositions ont été supprimées en séance par l'Assemblée nationale.
Vos rapporteurs estiment cependant indispensable que la France puisse se doter, comme d'autres pays, d'un dispositif efficace de protection des secrets d'affaires, très attendu par les entreprises, en complément des mécanismes actuels, notamment, de protection de la propriété industrielle, en vue de protéger les entreprises françaises contre l'espionnage économique. À cet égard, vos rapporteurs se réjouissent de l'avancement de l'examen, au Parlement européen, de la proposition de directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, présentée par la Commission européenne en novembre 2013 et approuvée par le Conseil de l'Union européenne en mai 2014. Ainsi, le moment venu, la France devra transposer cette directive. Devant votre commission, le ministre de l'économie a indiqué que le sujet pourrait être traité parallèlement à l'examen du projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes, déposé à l'Assemblée nationale le 12 juin 2013 sans avoir encore été examiné en séance publique.
3. Un parcours difficile
Adopté en conseil des ministres le 10 décembre 2014, le projet de loi a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 11 décembre, la procédure accélérée étant engagée le même jour par le Gouvernement.
S'en est suivie une très longue procédure d'examen devant l'Assemblée nationale, en commission comme en séance publique, les débats étant prolongés d'une semaine supplémentaire.
Ainsi, la durée d'examen du texte en commission spéciale a dépassé les 80 heures dont plus de 74 consacrées à l'examen des articles et de 1 741 amendements.
La durée totale d'examen du texte en séance publique s'est établie à plus de 111 heures au terme desquelles l'ensemble des articles avait été adoptés le 14 février 2015.
Initialement constitué de 106 articles, le projet de loi a été porté à 209 articles par la commission spéciale de l'Assemblée nationale et à 295 articles à l'issue des débats en séance publique.
Face aux difficultés d'assurer une majorité pour l'adoption de l'ensemble du texte, le 17 février, le Premier ministre engageait la responsabilité du Gouvernement en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution sur le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Après le rejet de la motion de censure lors du vote intervenu le 19 février 2015, le projet de loi considéré comme adopté en première lecture, a été transmis au Sénat.
Votre commission a procédé à un examen positif et exigeant des dispositions qui lui étaient soumises. Elle a adopté, au terme de ses travaux un texte de 254 articles dont le tableau suivant présente les principaux apports.
* 6 Article 39 de la Constitution. Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
* 7 Audition du 7 mars 2015.