EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi en première lecture d'un nouveau projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne 1 ( * ) , un peu plus d'un an après l'adoption d'un précédent projet de loi analogue 2 ( * ) .
Une nouvelle fois, la procédure législative accélérée a été engagée, parce que la France est sous la menace, à partir du 1 er décembre prochain, d'actions en manquement engagées devant la Cour de justice de l'Union européenne par la Commission européenne si elle ne transpose pas les décisions-cadres auxquelles ce texte est consacré.
La cause première de ce recours à la procédure accélérée est toutefois l'inscription tardive du texte à notre ordre du jour, alors qu'il a été déposé devant le bureau de notre assemblée le 23 avril dernier. On ne peut que regretter, au vu des progrès accomplis pour la transposition des textes communautaires dans d'autres domaines, qu'en matière de justice et d'affaires intérieures, les gouvernements, comme le lièvre de la fable, tentent de rattraper par une course législative rapide, le retard accumulé, faute d'un départ à temps.
L'opportunité du présent texte n'est toutefois pas contestable. Les dispositifs qu'il transpose visent à donner corps à l'espace judiciaire européen en améliorant la coordination entre les magistrats des différents États membres et en étendant le champ des décisions de procédure pénales susceptibles d'être exécutées dans un autre État que celui qui les a prononcées.
L'examen parlementaire de textes de transposition est nécessairement plus contraint que celui d'un projet ou d'une proposition de loi ordinaire, puisqu'il est borné par les directives ou les décisions-cadres. Toutefois ceux-ci laissent aux législateurs nationaux une certaine marge d'appréciation pour s'assurer de la bonne intégration de la norme européenne dans leur droit interne.
À cet égard, votre rapporteur a inscrit ses travaux dans le droit fil des principes retenus par votre commission en matière de transposition, en veillant à ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la transposition, en adaptant les termes juridiques européens au vocabulaire de notre droit et en s'appuyant, autant qu'il est possible, sans les remettre en cause, sur les principes et les procédures en vigueur dans notre pays.
I. LA TRANSPOSITION NÉCESSAIRE DES DERNIÈRES DÉCISIONS-CADRES ADOPTÉES EN MATIÈRE PÉNALE AVANT L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU TRAITÉ DE LISBONNE
A. LE CADRE NORMATIF EUROPÉEN EN MATIÈRE DE DROIT PÉNAL
Comme le rappelait notre collègue Alain Richard, dans son rapport sur le précédent projet de loi de transposition de normes pénales communautaires, « l'intervention de l'Union européenne dans la matière pénale a été tardive, tant, pendant longtemps, elle a semblé incompatible avec le principe de la souveraineté nationale et de la compétence exclusive des Parlements nationaux dans un domaine par essence régalien » 3 ( * ) .
Deux étapes ont jalonné l'évolution vers la situation actuelle.
La première a débuté avec le traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1 er mai 1999, qui a assigné à l'Union européenne un nouvel objectif, la création d'un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». Cette création, conçue comme le troisième pilier de la construction communautaire, devait notamment passer par le renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale.
Conformément aux principes dégagés lors du Conseil européen de Tampere (15-16 octobre 1999), l'action de l'Union en cette matière reposait en particulier sur le principe de la reconnaissance mutuelle par chaque juge européen des décisions prises par ses homologues des autres États membres : il s'agissait d'éviter la formalité de l'exequatur par laquelle le juge national décide de donner effet au jugement étranger, et obtenir ainsi une application plus directe des décisions étrangères.
Le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1 er décembre 2009 a constitué la seconde étape de cette évolution. L'intervention de l'Union en matière pénale s'est encore renforcée puisque cette matière, qui relevait jusque-là exclusivement de la négociation intergouvernementale (et donc de la règle de l'unanimité), a basculé dans le champ de la législation ordinaire, ce qui autorise, depuis lors, l'adoption de directives ou de règlements européens à une majorité qualifiée.
En outre, la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne a été étendue aux décisions-cadres prises sur le fondement du Traité d'Amsterdam par les États membres en cette matière, ce qui signifie que les États pourraient être attaqués devant cette cour à raison de la non-transposition dans leur droit des dispositions de ces décisions. Un délai transitoire de cinq ans a été accordé aux États membres pour satisfaire à cette obligation. Il arrive à échéance le 1 er décembre prochain.
C'est ce qui explique que, depuis quelques années, le Gouvernement ait entrepris de transposer les décisions-cadres adoptées en matière pénale sous le régime du traité d'Amsterdam.
Ces décisions ont été nombreuses, puisqu'à la fin de l'année 2011 on comptait « pas moins de 14 textes de coopération judiciaire et 16 de rapprochement de droit pénal matériel, principalement des décisions-cadres » 4 ( * ) .
Selon les informations fournies à votre rapporteur par le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), après l'adoption du précédent projet de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne précité, il ne resterait plus que trois décisions-cadres, antérieures au traité de Lisbonne, à transposer dans notre droit, ce que propose le présent texte :
- d'une part, la décision-cadre 2009/829/JAI concernant l'application, entre les États membres de l'Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu'alternative à la détention provisoire ;
- d'autre part, la décision-cadre 2008/947/JAI concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution ;
- et enfin, la décision-cadre 2009/948/JAI relative à la prévention et au règlement des conflits en matière d'exercice de la compétence dans le cadre des procédures pénales.
La liste des textes à transposer n'est pas pour autant close : dix directives relatives au droit pénal ont été adoptées sous l'empire du traité de Lisbonne. Selon les informations fournies par le SGAE à votre rapporteur, trois d'entre elles verront leur délai de transposition arriver à échéance en 2015, quatre en 2016, et la dernière en 2017. Par ailleurs, au moins huit propositions de textes pénaux sont en cours de discussion 5 ( * ) .
* 1 Projet de loi n° 482 (2013-2014), portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne .
* 2 Loi n° 2013-711 du 5 août 2013, portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France .
* 3 Rapport n° 596 (2012-2013) de M. Alain Richard, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France, p. 13 (rapport disponible à l'adresse : www.senat.fr/rap/l12-596/l12-596.html ).
* 4 E. Barbe, « L'influence du droit de l'Union européenne sur le droit pénal français : de l'ombre à la lumière », AJ Pénal , octobre 2011, p. 438.
* 5 Cf. tableaux en annexe.