B. LES HYPOTHÈSES RELATIVES À LA CONJONCTURE ÉCONOMIQUE
Au présent projet de loi de programmation des finances publiques sont également associées des prévisions portant sur l'évolution du PIB effectif, des prix, ou encore de la masse salariale , qui déterminent étroitement la variation des recettes et des dépenses des administrations publiques. Aussi ces hypothèses, reprises dans le tableau ci-après, présentent-elles une importance toute particulière et ont également été examinées dans le cadre de l'avis précité du Haut Conseil des finances publiques en date du 26 septembre 2014 42 ( * ) , conformément à la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
Tableau n° 10 : Principales hypothèses du scénario macroéconomique 2014-2019
(évolution en %, sauf mention contraire)
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
||
PIB |
0,3 |
0,4 |
1,0 |
1,7 |
1,9 |
2,0 |
2,0 |
|
Déflateur de PIB |
0,8 |
0,8 |
0,9 |
1,4 |
1,7 |
|||
Indice des prix à la consommation hors tabac |
0,7 |
0,5 |
0,9 |
1,4 |
1 ¾ |
|||
Masse salariale privée |
0,8 |
1,6 |
2,0 |
3,5 |
4,2 |
|||
Croissance potentielle |
1,0 |
1,0 |
1,1 |
1,3 |
1,3 |
1,2 |
1,1 |
|
Écart de production (en % du PIB potentiel) |
- 2,7 |
- 3,3 |
- 3,4 |
- 3,1 |
- 2,5 |
- 1,7 |
- 0,9 |
Source : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019
1. Les prévisions économiques du Gouvernement pour 2014-2019
Sur l'ensemble de la période de programmation, le Gouvernement anticipe une croissance relativement atone en 2014 (+ 0,4 %), accompagnée d'un faible niveau d'inflation (+ 0,5 %), suivie d' une accélération progressive de l'activité à compter de 2015 (+ 1,0 %), toutefois marquée par une inflation modérée (+ 0,9 %), ouvrant la voie à une « normalisation » de la situation économique, avec une progression moyenne du PIB de 1,9 % par an entre 2016 et 2019 et un retour de l'inflation à 1,7 % en fin de période, au bénéfice d'une fermeture graduelle de l'écart de production.
Si d' incontestables progrès ont été réalisés en termes de « réalisme » des prévisions économiques sous-jacentes aux lois financières , notamment à la suite de la mise en place, en mars 2013, du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), il n'en demeure pas moins que le Gouvernement paraît éprouver des difficultés à se départir totalement d'un relatif optimisme en ce domaine, en particulier pour ce qui est des anticipations de moyen terme. Aussi le scénario macroéconomique proposé présente-t-il des fragilités , alors qu'eu égard aux circonstances actuelles, la prudence devrait être de mise.
a) 2014-2015 : de nouveaux espoirs déçus ?
Le Gouvernement prévoit une croissance économique de 0,4 % en 2014 et de 1,0 % en 2015 . En cela, il partage l'anticipation retenue par l'OCDE dans ses prévisions économiques intermédiaires de septembre 2014 43 ( * ) , en baisse par rapport à sa prévision de mai dernier - dont les principaux éléments sont repris dans le tableau ci-après.
Tableau n° 11 : Prévisions d'évolution du PIB et des prix à la consommation pour la France de la Commission européenne, du FMI de l'OCDE
(évolution en %)
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
||
Commission européenne (1) |
PIB |
1,0 |
1,5 |
||||
Prix à la consommation |
1,0 |
1,1 |
|||||
FMI (2) |
PIB |
0,7 |
1,4 |
1,7 |
1,8 |
1,9 |
1,9 |
Prix à la consommation |
1,0 |
1,2 |
1,3 |
1,4 |
1,5 |
1,6 |
|
OCDE (3) |
PIB |
0,9 |
1,5 |
||||
Prix à la consommation |
0,9 |
1,1 |
(1) Commission européenne, « European Economic Forecast. Spring 2014 », European Economy 3/2014 , mai 2014.
(2) Fonds monétaire international, « France: 2014 Article IV Consultation--Staff Report », IMF Country Report No. 14/182 , juillet 2014.
(3) OCDE, OECD Economic Outlook , mai 2014.
Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)
De même, les prévisions de croissance gouvernementales sont moins favorables que celles du FMI de juillet 2014 , qui retient une hypothèse de croissance de 0,7 % en 2014 et de 1,4 % en 2015, et de la Commission européenne de mai , prévoyant une progression du PIB de 1,0 % en 2014 et de 1,5 % en 2015. Néanmoins, ces prévisions sont antérieures à la publication par l'Insee, au mois d'août 44 ( * ) , des comptes nationaux trimestriels qui confirment l'apathie de l'activité économique au cours du premier semestre de l'année, venant mettre fin aux espoirs suscités par l'amélioration des perspectives conjoncturelles constatée en 2013.
Quoi qu'il en soit, la prévision de progression du PIB de 0,4 % en 2014 a été jugée « réaliste » par le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 26 septembre 2014 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2015 45 ( * ) . En effet, il faut relever que l'acquis de croissance 46 ( * ) s'élevait déjà à 0,3 % à la fin du deuxième trimestre de l'année. S'agissant de la prévision d'évolution des prix à la consommation, soit + 0,5 %, celle-ci est légèrement supérieure à la moyenne annuelle de + 0,3 % observée par l'Insee en septembre. Pour autant, ces prévisions sont en ligne avec celles du Consensus Forecasts d'octobre, qui prévoit une croissance de 0,4 % et une progression des prix à la consommation de 0,6 % en 2014 ; de même le Point de conjoncture de l'Insee d'octobre 2014 anticipe une hausse du PIB de 0,4 % pour l'année en cours.
Au total, au regard des évolutions conjoncturelles récentes, le Gouvernement a fortement abaissé ses prévisions de croissance et d'inflation pour 2014 par rapport à celles retenues dans le programme de stabilité 2014-2017 47 ( * ) , respectivement de 1,0 % et de 1,2 %.
Il en va de même s'agissant de l'année 2015, pour laquelle le programme de stabilité précité anticipait une progression du PIB de 1,7 % et des prix à la consommation de 1,5 %. Malgré cela, l'avis du Haut Conseil relatif aux projets de lois financières pour 2015 a qualifié l'hypothèse de croissance du Gouvernement au titre de 2015, de 1,0 %, d'« optimiste » 48 ( * ) .
Le scénario gouvernemental pour 2015 présente, de toute évidence, quelques fragilités. Celui-ci repose, tout d'abord, sur une hypothèse d' accélération très progressive de la demande mondiale . À cet égard, le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2015 indique que « fin 2014 et en 2015, les exportations seraient soutenues par le rétablissement très progressif de la croissance en zone euro et par l'environnement plus porteur hors zone euro » ; aussi la croissance de la demande étrangère adressée à la France serait-elle de 5,1 % en 2015. Néanmoins, la prévision de croissance du commerce mondial pour 2015 de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été abaissée à 4,0 % à la fin du mois de septembre , contre 5,3 % dans sa prévision d'avril, en raison du faible dynamisme du commerce observé au premier semestre de 2014. Dès lors, il ne saurait être exclu que la contribution du commerce extérieur à la progression du PIB soit plus faible qu'anticipé par le Gouvernement .
En outre, le scénario du Gouvernement prévoit que l'activité économique serait soutenue par les mesures prises en faveur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi , en particulier par le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) 49 ( * ) et le Pacte de responsabilité et de solidarité, visant à réduire le coût du travail. Ces dispositifs ont pour finalité de favoriser une reprise de l'investissement des entreprises et les créations d'emplois.
Toutefois, les tendances actuellement à l'oeuvre indiquent que les effets de ces dispositifs pourraient être plus limités que prévu . En particulier, il est difficile de déterminer comment les entreprises utiliseront le CICE , soit si celui-ci leur permettra effectivement d'investir ou d'embaucher, voire d'augmenter les salaires, dans un contexte caractérisé par un taux de marge des entreprises dégradé. Le Point de conjoncture de l'Insee d'octobre prévoit, à ce titre, que ce dernier s'établirait à 29,4 % en 2014, contre 29,8 % en 2013.
La dernière enquête de l'Insee sur les effets anticipés du CICE, publiée en septembre dernier 50 ( * ) , fait apparaître que 34 % des entreprises interrogées du secteur de l'industrie et 48 % de celles du secteur des services jugent que le CICE aura un effet positif sur l'emploi (cf. tableau ci-après). Elles sont, toutefois, moins nombreuses à estimer que le CICE permettra une augmentation des salaires (respectivement 26 % et 41 %) ou des baisses de prix (30 % et 32 %). En outre, les entreprises de l'industrie et des services indiquent qu'elles utiliseraient environ la moitié du montant du CICE pour augmenter leur résultat d'exploitation . Pour 58 % des entreprises de l'industrie et 52 % des entreprises de services, ce surcroît de résultat d'exploitation sera destiné majoritairement à l'investissement.
Tableau n° 12 : Effet attendu du CICE selon le secteur d'activité
% d'entreprises jugeant que le CICE aura un effet sur |
% du CICE destiné à accroître le résultat d'exploitation |
% d'entreprises utilisant majoritairement ce montant pour investir |
|||
l'emploi |
les salaires |
les prix de vente |
|||
Industrie |
|||||
Industrie agro-alimentaire |
33 % |
30 % |
29 % |
48 % |
64 % |
Biens d'équipement |
33 % |
21 % |
33 % |
48 % |
52 % |
Automobile |
31 % |
12 % |
34 % |
65 % |
74 % |
Autres matériels de transports |
46 % |
44 % |
28 % |
27 % |
61 % |
Autres branches industrielles |
34 % |
27 % |
29 % |
54 % |
57 % |
Ensemble de l'industrie manufacturière |
34 % |
26 % |
30 % |
52 % |
58 % |
Services |
|||||
Hébergement, restauration |
46 % |
41 % |
16 % |
34 % |
69 % |
Information, communication |
40 % |
30 % |
18 % |
46 % |
51 % |
Activités immobilières |
21 % |
21 % |
ns |
46 % |
42 % |
Activités spécialisées, scientifiques et techniques |
43 % |
38 % |
21 % |
43 % |
49 % |
Activités de services administratifs et de soutien |
62 % |
53 % |
59 % |
55 % |
47 % |
Ensemble des services |
48 % |
41 % |
32 % |
46 % |
52 % |
Source : Insee (2014)
Pour autant, force est de constater le faible dynamisme de l'investissement des entreprises et du marché de l'emploi en cette fin d'année , alors même que le CICE a été accordé pour la première fois aux entreprises en 2014. Aussi le Point de conjoncture de l'Insee du mois d'octobre anticipe-t-il un nouveau recul de l'investissement des entreprises au cours des deux derniers trimestres de l'année , de - 0,3 % puis - 0,2 %, après une baisse de 0,6 % et 0,7 % lors des premier et deuxième trimestres. Dans ces conditions, la reprise de l'investissement des entreprises pourrait être légèrement plus modérée que celle prévue dans le scénario gouvernemental (+ 0,9 %), le Consensus Forecasts tablant d'ailleurs sur une progression de 0,8 % en 2015.
De même, l'Insee prévoit une légère hausse du taux de chômage d'ici la fin de l'année 2014 , celui-ci devant atteindre 10,3 %, alors qu'il s'élevait à 10,1 % en 2013. Selon les données avancées par l'Insee, la stabilité de l'emploi au second semestre ne serait permise que par la montée en charge des emplois d'avenir , l'emploi marchand continuant son repli.
Ceci ne saurait surprendre, dès lors que le climat des affaires se dégrade depuis le printemps . En effet, l'indicateur de climat des affaires 51 ( * ) de l'Insee a reculé de 95,2 en mars 2014 à 90,9 en septembre, comme le fait apparaître le graphique ci-après.
Graphique n° 13 : Évolution de l'indicateur de climat des affaires de l'Insee
Source : commission des finances du Sénat (données de l'Insee)
De même, l'indicateur de retournement de l'Insee, qui vise à détecter les moments où la conjoncture change d'orientation, est à son niveau minimal depuis septembre, soit - 1 (cf. graphique ci-après). Cet indicateur, également construit sur la base des enquêtes réalisées auprès des chefs d'entreprise, retrace à chaque date la différence entre la probabilité que la phase conjoncturelle soit favorable et la probabilité qu'elle soit défavorable. Il évolue entre + 1 et - 1, un point proche de + 1 signalant que l'activité est en période d'accélération, alors qu'à l'inverse, un point proche de - 1 signale que l'activité est en nette décélération. Un indicateur proche de 0 correspond généralement à une période de stabilisation. Par suite, le recul substantiel de l'indicateur de retournement à compter de juillet dernier semble présager une reprise plus que modérée de la conjoncture économique en 2015 ; en effet, la prévision de 1,0 % de croissance du PIB retenue par le Gouvernement pour 2015 supposerait une accélération de l'activité qui ne semble pas se dessiner.
Graphique n° 14 : Évolution de l'indicateur de retournement de l'Insee
Source : commission des finances du Sénat (données de l'Insee)
Dans ces conditions, l'hypothèse d'un accroissement de la consommation des ménages en 2015, de 1,3 % selon le Gouvernement, peut paraître également fragile . En effet, l'atonie persistante de l'activité économique et du marché du travail pourrait limiter la hausse du pouvoir d'achat et favoriser le maintien d'un haut niveau d'épargne de précaution ; à cet égard, le Point de conjoncture de l'Insee d'octobre prévoit un taux d'épargne des ménages de 15 % à la fin de l'année 2014 , contre 14,6 % en 2013. Au total, le Consensus Forecasts anticipe une progression de la consommation des ménages de seulement 0,9 % en 2015.
Par suite, il ne saurait être exclu que les espoirs du Gouvernement de voir rebondir l'activité économique en 2015 soient de nouveau déçus , à l'instar de ceux du début de l'année 2014.
b) 2016-2019 : un retour espéré de l'activité vers son potentiel
Concernant les perspectives à moyen terme, pour les années 2016 à 2019, le Gouvernement prévoit une accélération progressive de l'activité , avec une croissance de 1,7 % en 2016, de 1,9 % en 2017 et de 2,0 % en 2018 et 2019. Il est possible d'y voir un scénario de « normalisation » de la situation économique, d'une part, parce que l'inflation reviendrait vers des niveaux correspondant à la cible de la Banque centrale européenne (BCE) et, d'autre part, parce que l'écart de production se refermerait progressivement au cours de la période . En effet, ainsi que le fait apparaître le graphique ci-après, selon la trajectoire retenue par le Gouvernement, une croissance de l'activité supérieure à la croissance potentielle à compter de 2016 permettrait un rapprochement du PIB effectif et du PIB potentiel - suivant en cela une logique de « rattrapage ».
Graphique n°
15
: Le
resserrement de l'écart de production
au cours de la période
2014-2019
(échelle de gauche : milliards d'euros
courants
échelle de droite : points de PIB potentiel)
Source : commission des finances du Sénat (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019)
Le scénario gouvernemental repose, notamment, sur l'anticipation d'un retour de la demande étrangère adressée à la France vers son rythme « habituel » (+ 6,5 %), un renforcement de l'investissement des entreprises , au bénéfice de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité, et une progression de la consommation des ménages de 2 % en fin de période, en raison d'une amélioration du marché du travail ainsi que d'une diminution de l'épargne de précaution.
Tout en soulignant le fait que les « prévisions macroéconomiques pour les années 2018-2019 sont peu documentées », l'avis précité du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) relatif au présent projet de loi 52 ( * ) juge que si « le scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2016-2017 est plus réaliste que celui présenté en avril dans le programme de stabilité », celui-ci « continue de reposer sur des hypothèses trop favorables sur l'environnement international et sur l'investissement ».
À cet égard, le Haut Conseil relève différents aléas négatifs, parmi lesquels figurent la possibilité d' une reprise moins rapide que prévu du commerce mondial , celle d' une inflation durablement plus basse que la cible de la BCE , le resserrement de la politique monétaire américaine , qui pourrait se traduire par une hausse des taux longs en zone euro, avec un impact défavorable sur l'investissement, la potentielle réapparition de tensions sur les dettes souveraines de certains États de la zone euro et l'éventualité d' une reprise moins marquée de l'investissement des entreprises , si celles-ci choisissent de limiter leur endettement au lieu d'investir, dans un contexte de lente amélioration de leur taux de marge. À l'inverse, des aléas positifs existent dont, notamment, les effets de la baisse de l'euro et la mise en place d'un plan d'investissement européen .
En tout état de cause, il convient de rappeler que la capacité de rebond de l'économie française pourrait être plus limitée que prévu s'il s'avérait que le PIB potentiel a été davantage diminué du fait de la crise économique et financière que ce que laissent voir les estimations du Gouvernement et de la Commission européenne. Dans ces conditions, si l'écart de production était plus réduit qu'estimé, le taux d'évolution du PIB rejoindrait celui de la croissance potentielle, sans véritablement la dépasser à moyen terme , en l'absence d'une nécessité de « rattrapage ». Or, il convient de rappeler que les différents instituts de conjoncture évaluent la croissance potentielle à un niveau proche de 1,2 %. Ceci tend à confirmer la nécessité, évoquée précédemment, d'engager des réformes ambitieuses visant à relever le potentiel de croissance de l'économie française.
2. Prévoir les évolutions économiques, un exercice difficile
Quoi qu'il en soit, prévoir les évolutions économiques constitue un art difficile , et ce d'autant plus depuis le début de la crise économique et financière. Si, dans un univers régulier, les évolutions de l'activité peuvent être, dans une certaine mesure, anticipées, dans un environnement chahuté, un tel exercice présente une grande difficulté.
À titre d'exemple, dans le cadre du programme de stabilité 2014-2017, présenté en avril dernier, le Gouvernement prévoyait une croissance de 1,0 % pour l'année 2014. Le même mois, le Consensus Forecasts présentait une prévision proche, de 0,9 %. Même, dans son avis relatif au programme de stabilité précité 53 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques avait considéré qu'une hypothèse de croissance 1,0 % en 2014 était « réaliste », sachant qu'elle était identique à celle alors retenue par le FMI 54 ( * ) et l'OCDE 55 ( * ) . Pourtant, un peu plus de six mois plus tard, un tel taux de croissance de l'économie française paraît totalement inenvisageable.
Par suite, les difficultés inhérentes à l'anticipation des évolutions du PIB posent deux questions : celle de la « crédibilité » des prévisions macroéconomiques et celle de leur « prudence » .
La mise en place du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), en mars 2013, a permis de renforcer significativement le réalisme des prévisions macroéconomiques , du moins à court terme. Pour autant, le Gouvernement semble éprouver des difficultés à renoncer totalement à un relatif optimisme en ce domaine, en particulier pour ce qui est des hypothèses de moyen terme. Cet état de fait a été souligné par les différents avis du Haut Conseil, y compris celui relatif au présent projet de loi.
Pour autant, ce phénomène ne semble pas être propre à la France ; aussi, une étude économique 56 ( * ) portant sur une trentaine de pays a montré que les prévisions des autorités budgétaires affichaient généralement un « biais positif » , ce dernier étant plus prononcé encore pour les prévisions à un horizon de trois années que pour celles de court terme. Cette même étude relève que les prévisions officielles seraient plus biaisées encore dans les États soumis au Pacte de stabilité et de croissance (PSC) afin, selon son auteur, d'exposer - au moins en projection - un respect des règles budgétaires. Dans le prolongement de cette étude, un autre travail 57 ( * ) met en évidence que les États de la zone euro s'étant dotés d'institutions indépendantes chargées de produire les prévisions officielles faisaient apparaître un moindre degré d'erreur entre la prévision et la réalisation .
Aussi est-ce en raison de ce « biais positif » affectant les prévisions gouvernementales qui sous-tendent les trajectoires budgétaires que le Two Pack , qui constitue un ensemble de deux règlements du Parlement européen et du Conseil 58 ( * ) entrés en vigueur en mai 2013, s'est attaché à encadrer l'élaboration des prévisions macroéconomiques dans les États de la zone euro . En effet, il prévoit que ces derniers doivent mettre en place des organismes indépendants chargés de produire ou d'avaliser les prévisions macroéconomiques qui fondent les projets de budgets. Ainsi que le soulignent les considérations introductives de l'un des règlements qui forment le Two Pack , des « prévisions macroéconomiques et budgétaires biaisées et irréalistes peuvent considérablement nuire à l'efficacité de la planification budgétaire et, en conséquence, rendre difficile le respect de la discipline budgétaire » 59 ( * ) .
Par anticipation à l'entrée en application du Two Pack , la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a chargé le Haut Conseil des finances publiques de rendre un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les projets de lois financières. À cet égard, il apparaît qu'il a été fait le choix du mécanisme le moins « contraignant » dans la transposition du Two Pack , dès lors que les prévisions de croissance continuent d'être préparées par les services gouvernementaux et que le Haut Conseil ne formule qu'un avis sur ces dernières . Force est de constater, toutefois, que la majeure partie des pays européens ont fait un choix identique, comme le montrent les résultats de l'enquête menée par les services économiques de la direction générale du Trésor à la demande de la commission des finances et annexée au présent rapport.
Il n'en demeure pas moins que charger une institution indépendante de la production des prévisions macroéconomiques fondant les projets de lois financières permettrait sans doute de fiabiliser celles-ci , évitant tout « biais optimiste » en la matière. En tout état de cause, l'élaboration de ces prévisions par une telle entité permettrait également d'accroître leur crédibilité, dans la mesure où elles seraient délivrées de tout soupçon d'optimisme qui accompagne nécessairement les hypothèses gouvernementales.
Au-delà de la question de la crédibilité des prévisions économiques, il semble nécessaire que ces dernières soient réalisées en vertu du principe de prudence . Comme l'a montré l'expérience récente, le Haut Conseil lui-même n'est pas infaillible dans son appréciation de la conjoncture, et ce en raison du caractère heurté de cette dernière depuis le déclenchement de la crise. Or, les « erreurs » d'anticipation des évolutions conjoncturelles expliquent en partie le non-respect des cibles budgétaires arrêtées, en France ainsi que dans les autres États européens. C'est pourquoi, les estimations les plus prudentes de croissance et d'inflation devraient être retenues lors de la conception des projets de lois financières . À ce titre, l'enquête précitée de la direction générale du Trésor indique qu'en Allemagne, la coalition CDU-CSU/SPD a inclus dans son contrat de coalition du 11 novembre 2005 une phrase réclamant des prévisions prudentes : « Le principe suivant doit être appliqué : sur la base d'indicateurs de référence estimés de manière prudente, une planification prudente des recettes et des dépenses du budget fédéral et des autres comptes publics, y compris le compte social, doit être établie ». En dépit de l'absence de force juridique de cette déclaration, il semblerait que le ministère allemand de l'économie suive scrupuleusement ce principe.
Cependant, l'application d'un principe de prudence en matière de prévision économique est délicate dans les faits eu égard à la difficulté de déterminer le moment où celui-ci doit être mis en oeuvre et dans quelle mesure, dans le souci de ne pas retenir des hypothèses de croissance trop dégradées, qui conduiraient au déploiement d'une politique fiscale et budgétaire dont les effets pourraient être récessifs. Afin de répondre à ce problème, la commission des finances s'est appliquée à développer un indicateur d'incertitude économique ayant pour finalité de donner une assise concrète à la mise en oeuvre du principe de prudence .
3. L'indicateur d'incertitude économique
L'indicateur d'incertitude économique (IIE) de la commission des finances vise à appréhender le degré d'incertitude affectant les prévisions macroéconomiques . Cet indicateur mesure la « dispersion » des anticipations des instituts concourant à l'élaboration du Consensus Forecasts concernant l'évolution du PIB et de l'indice des prix à la consommation (IPC) de l'année en cours et de l'année à venir 60 ( * ) , étant entendu que plus cette dispersion est grande, plus le niveau d'incertitude est élevé - dès lors que les écarts entre les prévisions des différents instituts sont importants.
Le graphique ci-après fait clairement apparaître que lors des périodes de turbulence économique, l'indicateur d'incertitude économique s'accroît substantiellement . Ainsi, à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, qui a marqué une étape essentielle dans la diffusion de la crise économique et financière, l'IIE a atteint 2,1 en janvier 2009, contre une valeur moyenne de 0,9 pour les années 2007 et 2008. Puis, conséquemment au premier plan d'aide à la Grèce en avril 2010, l'indicateur s'est élevé à 1,4 en mai 2010, avant de rebondir de nouveau à 1,5 en février 2012, en raison de la diffusion de la crise de la dette souveraine dans la zone euro.
Graphique n°
16
: Indicateur
d'incertitude économique
de la commission des finances du
Sénat
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données du Consensus Forecasts )
L'indicateur d'incertitude économique, de notre point de vue, présente une utilité opérationnelle indubitable : il permet de déterminer le niveau de prudence qui doit être retenu dans la définition des hypothèses macroéconomiques sous-tendant les projets de lois financières .
De toute évidence, il existe une relation négative entre, d'une part, l'indicateur d'incertitude économique et, d'autre part, l'écart entre la prévision d'évolution du PIB en valeur retenue par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour l'année à venir et sa variation finalement constatée ; en particulier, il apparaît nettement que lorsque la moyenne annuelle de l'indicateur d'incertitude s'élève, la différence entre la prévision et la réalisation se creuse. À titre d'exemple, concernant l'exercice 2009, l'indicateur d'incertitude économique annuel moyen a atteint 1,5, soit son plus haut niveau au cours de la période 2005-2013, alors que l'écart entre la prévision de croissance du PIB en valeur (+ 3,25 %) et la réalisation (- 2,8 %) était de - 6,1 points 61 ( * ) (cf. graphique ci-après).
Graphique n°
17
:
Corrélation entre le niveau d'incertitude et l'écart des
réalisations par rapport aux prévisions
Note de lecture : L'écart prévision-réalisation correspond à la différence entre la prévision d'évolution du PIB en valeur retenue par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour l'année à venir et la variation constatée du PIB en valeur pour l'année considérée.
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee, du Gouvernement et du Consensus Forecasts )
Si, comme cela a été indiqué, la mise en place du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a contribué à fiabiliser les hypothèses économiques utilisées par le Gouvernement dans la construction des projets de lois financières, et ce même si des progrès en ce domaine restent à faire, l'indicateur d'incertitude économique (IIE) permet de donner un fondement concret à la démarche prudente qui doit être au fondement de la politique budgétaire . Par suite, lorsque l'indicateur affiche une tendance haussière, la détermination des hypothèses d'évolution du PIB et de l'indice des prix devrait fait l'objet d'une prudence accrue.
À ce jour, l'indicateur d'incertitude économique présente un niveau relativement modéré, s'élevant à 0,6 en octobre 2014, contre une moyenne de 0,9 sur la période 2005-2014 62 ( * ) . Néanmoins, ce résultat ne vient aucunement confirmer l'anticipation de croissance du Gouvernement au titre de 2015, de 1,0 %, dont il a été indiqué qu'elle avait été qualifiée d'« optimiste » par le Haut Conseil ; tout au plus, il vient corroborer la robustesse de la prévision du Consensus Forecasts qui retient une hypothèse de croissance de 0,8 %.
Malgré la faiblesse momentanée de l'indicateur d'incertitude économique, ainsi que le montre la droite de tendance figurant sur le graphique représentant l'évolution de l'indicateur au cours de la dernière décennie, le niveau d'incertitude a tendanciellement crû entre 2005 et 2014, du fait des évolutions économiques récentes. À cela, s'ajoute une instabilité plus forte de l'indicateur. Aussi, dès lors que la difficulté à anticiper les variations du PIB et de l'inflation semble s'être renforcée lors des années récentes, une rigueur plus grande doit être retenue dans la conception des hypothèses économiques . C'est la raison pour laquelle une posture plus prudente aurait dû être adoptée dans l'élaboration du scénario macroéconomique du Gouvernement pour les années 2016 à 2019, dont le relatif optimisme a été souligné par le HCFP dans son avis relatif au présent projet de loi 63 ( * ) .
* 42 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014, op. cit.
* 43 OCDE, Évaluation économique intermédiaire , septembre 2014.
* 44 Insee, « Stabilité du PIB au deuxième trimestre 2014 », Informations rapides , n° 186, août 2014.
* 45 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-05 du 26 septembre 2014 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2015.
* 46 L'acquis de croissance du PIB pour l'année en cours correspond au taux de croissance annuel qui serait observé si le PIB restait, jusqu'à la fin de l'année considérée, stable à son dernier niveau trimestriel observé.
* 47 Cf. rapport d'information n° 483 (2013-2014) sur le projet de programme de stabilité 2014-2017 fait par François Marc au nom de la commission des finances du Sénat.
* 48 La prévision d'évolution des prix de + 0,9 % en 2015 retenue par le Gouvernement a, quant à elle, été jugée plausible par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).
* 49 À titre de rappel, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) constitue un avantage fiscal dont les effets se veulent équivalents à une baisse de cotisations sociales. Il correspond à une réduction d'impôt à hauteur de 4 % des rémunérations brutes soumises aux cotisations sociales (masse salariale), versées par les entreprises dans la limite de 2,5 fois le SMIC. Son taux passe à 6 % à partir de 2015 sur les rémunérations au titre de 2014.
* 50 Y. Gorin et C. Renne, « Comment les entreprises comptent utiliser le CICE », Insee Focus , n° 10, septembre 2014.
* 51 L'indicateur de climat des affaires est calculé par l'Insee sur la base d'enquêtes réalisées auprès des chefs d'entreprise des principaux secteurs d'activité. Il s'agit d'un indicateur d'un intérêt tout particulier dès lors qu'il apparaît que les indicateurs de climats des affaires sont assez fortement corrélés aux grandeurs macroéconomiques, et notamment à l'évolution du PIB.
* 52 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014, op. cit.
* 53 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-01 du 22 avril 2014 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.
* 54 Fonds monétaire international, World Economic Outlook. Recovery Strengthens, Remains Uneven , avril 2014.
* 55 OCDE, OECD Economic Outlook , novembre 2013 .
* 56 J. Frankel, « Over-optimism in forecasts by official budget agencies and its applications », Oxford Review of Economic Policy , vol. 27, n° 4, 2011, p. 536-562.
* 57 J. Frankel et J. Schreger, « Over-optimistic official forecasts and fiscal rules in the eurozone », Review of World Economics , vol. 149, n° 2, 2013, p. 247-272.
* 58 Règlements (UE) du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 n° 472/2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière et n° 473/2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro .
* 59 Cf. considérant 10 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 n° 473/2013 .
* 60 L'indicateur d'incertitude économique (IIE) résulte de l'addition des écarts-types (?) des prévisions d'évolution du PIB et de l'indice des prix à la consommation (IPC) pour l'année en cours n et l'année à venir n+1 :
IIE = ? PIBn + ? PIBn+1 + ? IPCn + ? IPCn+1
* 61 Il convient de préciser que, pour les exercices 2007, 2008 et 2009, la prévision de croissance du PIB retenue par le Gouvernement était comprise dans une fourchette de 0,5 point ; aussi, pour ces années, la prévision utilisée dans les calculs réalisés correspond-elle à la moyenne des valeurs haute et basse de la fourchette.
* 62 Pour autant, il est intéressant de noter que l'indicateur d'incertitude économique (IIE) s'était relevé à 0,8-0,9 au premier trimestre de l'année 2014.
* 63 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014, op. cit.