C. LES ENSEIGNEMENTS DE LA TRANSPOSITION DES PREMIERS « PAQUETS FERROVIAIRES »

1. La transposition législative des premiers « paquets ferroviaires »

La France a dû tirer les conséquences des trois « paquets ferroviaires » adoptés à l'échelle européenne.

Les trois premiers « paquets ferroviaires »

Le premier paquet ferroviaire de 2001

Il s'agit de trois directives modifiant la directive n° 91/440/CE du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires ainsi que les directives de 1995 qui l'ont complétée 28 ( * ) .

La directive 2001/12/CE prévoit l'ouverture à la concurrence de l'accès aux services de fret internationaux sur le réseau transeuropéen de fret ferroviaire au 15 mars 2003 au plus tard.

En contrepartie, les obligations en matière de licences des entreprises ferroviaires ont été renforcées, par la directive 2001/13/CE.

La directive 2001/14/CE concerne quant à elle la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la tarification de l'infrastructure ferroviaire. Elle crée l'obligation, pour le gestionnaire d'infrastructure, d'établir un « document de référence du réseau » fixant les conditions d'accès à celui-ci. Elle pose aussi la règle de l'indépendance de l'entité chargée de l'allocation des sillons sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel . Enfin, elle exige l'instauration d'un organisme de contrôle indépendant, qui peut être le ministère chargé des transports ou tout autre organisme, chargé de veiller à l'application des dispositions énoncées par la directive et pouvant être saisi par les parties en cas de non-respect de ces dernières.

Le deuxième paquet ferroviaire de 2004

Il comprend le règlement créant l'agence ferroviaire européenne, ainsi que trois directives.

La directive 2004/49/CE concernant la sécurité des chemins de fer communautaires prévoit la création d'une autorité nationale de sécurité indépendante au sein de chaque État membre, chargé de veiller à l'application des réglementations technique et de sécurité applicables aux transports ferroviaires.

La directive 2004/50/CE modifie la réglementation européenne en matière d'interopérabilité des transports ferroviaire.

Enfin, la directive 2004/51 prévoit l'ouverture à la concurrence du fret international sur l'ensemble du réseau ferroviaire (et non plus seulement le réseau transeuropéen de fret) au 1er janvier 2006, et de l'ensemble du fret, y compris le fret domestique, au plus tard au 1er janvier 2007. Cette généralisation de la libéralisation du fret a été complétée par une législation spécifique sur la sécurité ferroviaire.

Le troisième paquet ferroviaire de 2007

La principale directive de ce paquet, 2007/58/CE du 23 octobre 2007, organise l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs dans les conditions suivantes :

- le service international de voyageurs est ouvert, au plus tard le 1er janvier 2010 ;

- le cabotage, c'est-à-dire la possibilité de prendre et déposer des voyageurs au cours de route dans un même pays (Munich/Strasbourg/Paris, avec la possibilité de prendre des voyageurs à Strasbourg), est autorisé mais dans des conditions très encadrées.

La loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a transposé une partie des obligations découlant du deuxième paquet ferroviaire, en créant l'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et en modifiant la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI) pour mettre fin au monopole de la SNCF sur le service intérieur de marchandises dès le 31 mars 2006.

La loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite loi « ORTF », a quant à elle transposé les dispositions relatives à l'ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs et au cabotage .

Elle a aussi doté le réseau d'une instance de régulation spécifique, l'autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). Cette mesure n'était alors pas indispensable du strict point de vue du droit européen, qui ne l'a rendue obligatoire que par la directive 2012/34/UE établissant un espace ferroviaire unique européen 29 ( * ) .

Enfin, en réponse à la procédure précontentieuse conduite par la Commission déjà évoquée, la loi « ORTF » a créé, au sein de la SNCF, le service de gestion du trafic et des circulations (la future DCF), soumis à des règles d'indépendance spécifiques.

La France a donc adapté son cadre législatif pour se mettre en conformité avec les paquets ferroviaires européens. Mais l'expérience a montré que l'ouverture à la concurrence du fret n'avait pas été suffisamment anticipée, ce qui a conduit à un effondrement de l'activité de Fret SNCF.

2. Une absence de préparation dans les faits à l'ouverture à la concurrence

En France, l'ouverture à la concurrence du fret a conduit, à la SNCF, à un véritable déclin de cette activité. Dans un contexte de baisse généralisée du transport ferroviaire de marchandises, la part de marché des nouveaux entrants a augmenté de 11 % en 2008 à 32 % en 2011 30 ( * ) , soit beaucoup rapidement qu'en Allemagne, où le fret a été libéralisé dès 1994.

Volume de trafics ferroviaires de marchandises réalisé en France par SNCF et par ses concurrents (en milliards de tonnes-kilomètres)
et leur part modale par année

Source : SoeS, rapports de la CCTN de 1994 à 2011

Volume de trafics ferroviaires de marchandises réalisé en Allemagne par la Deutsche Bahn et par ses concurrents (en milliards de tonnes-kilomètres)
et leur part modale par année

Source : rapport sur la compétitivité 2011, D8

L'activité des concurrents de la SNCF, qui n'a cessé de progresser entre 2007 et 2011, a freiné la baisse générale du trafic de fret entre 2008 et 2010 et permis son rebond en 2011.

Le recul de Fret SNCF s'explique, dans une large mesure, par l'absence d'homogénéisation préalable du cadre social applicable à l'ensemble des entreprises de fret. Si les nouveaux entrants ont signé plusieurs accords de branche, ceux-ci ne sont pas applicables à l'opérateur historique. L'exercice de la concurrence a donc été faussé , la SNCF ayant dû assumer des coûts moyens plus élevés que les nouveaux entrants.

Mais un autre facteur a aussi joué, qui relève plus de la stratégie même de la SNCF : l'adaptation insuffisante de l'offre proposée par Fret SNCF aux besoins des chargeurs. Le repli de son activité sur les trafics les plus rentables, au détriment d'une partie importante de son activité de lotissement de wagons, appelés « wagons isolés », est ainsi souvent dénoncée.

Pourtant, Fret SNCF a bénéficié d'un support financier capital de la part du groupe SNCF, qui a comblé ses déficits, alors que ses concurrents ne disposent pas des mêmes facilités.

Enfin, il faut relever que la SNCF a été condamnée en 2012 par l'autorité de la concurrence à une amende de près de 61 millions d'euros pour entrave à la concurrence 31 ( * ) . Il lui a été reproché :

- d'avoir utilisé les informations confidentielles dont elle disposait aux fins exclusives de la gestion de l'accès à l'infrastructure ferroviaire française dont elle avait la charge en tant que gestionnaire d'infrastructure délégué ;

- d'avoir publié de façon tardive et incomplète la liste des cours de marchandises dont elle est propriétaire dans le document de référence du réseau, empêchant ainsi aux concurrents de bénéficier de cette information ;

- d'avoir rendu indisponibles, de façon massive et injustifiée, des sillons ferroviaires indispensables au développement des autres entreprises ferroviaires sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif ;

- d'avoir rendu indisponibles des wagons indispensables au développement des autres entreprises ferroviaires sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif ;

- d'avoir pratiqué des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif.

L'expérience de la libéralisation du fret démontre ainsi, s'il le fallait, les risques d'une ouverture à la concurrence non préparée, tant en termes d'harmonisation de la règlementation sociale, que d'adaptation de l'opérateur dominant.


* 28 Directive 95/18/CE du 19 juin 1995 concernant les licences des entreprises ferroviaires et directive 95/19/CE du 19 juin 1995 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d'utilisation de l'infrastructure.

* 29 Cf. infra.

* 30 Source : Commissariat général au développement durable, « Fret ferroviaire : analyse des déterminants des trafics français et allemands », Études et documents, n° 87, juillet 2013.

* 31 Décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises.

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