II. LES HYPOTHÈSES ÉCONOMIQUES : UNE PRÉVISION POUR 2014 DISCUTÉE MAIS QUI DEMEURE CRÉDIBLE
A. UNE PRÉVISION DE CROISSANCE DU PIB DE 1,0 % EN 2014
Dans son avis du 5 juin 2014 relatif aux projets de lois de finances rectificative et de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 4 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a formulé des observations relatives aux prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent ces textes 5 ( * ) . Alors que son précédent avis portant sur le programme de stabilité 2014-2017 6 ( * ) avait estimé que « la prévision de croissance du Gouvernement de 1,0 % pour l'année 2014 [était] réaliste », confirmant ainsi celui rendu sur le projet de loi de finances pour 2014 7 ( * ) , le Haut Conseil a jugé que les évolutions conjoncturelles récentes rendaient « l'atteinte de l'objectif de croissance en 2014 moins probable », et ce même si la prévision n'était pas « hors d'atteinte ».
Ce changement intervenu dans l'appréciation du HCFP est à mettre en lien, notamment, avec la publication par l'Insee, le 15 mai 2014 8 ( * ) , de données faisant apparaître une croissance du PIB nulle au cours du premier trimestre 2014 . En effet, sur les trois premiers mois de l'année 2014, les dépenses de consommation des ménages ont reculé (- 0,5 % après + 0,2 %) et la formation brute de capital fixe (FBCF) a accentué son repli (- 0,9 % après - 0,1 %) ; aussi la demande intérieure finale hors stocks a-t-elle baissé et contribué négativement à l'évolution du PIB (- 0,4 point). Les importations ont, quant à elles, accéléré (+ 1,0 % après + 0,5 %) en même temps que les exportations ralentissaient (+ 0,3 % après + 1,6 %), aboutissant à ce que le solde commercial apporte, lui aussi, une contribution négative à la variation du PIB (- 0,2 point). Au total, la progression du PIB n'est nulle qu'en raison de l'incidence positive de la variation de stocks (+ 0,6 point).
Graphique n° 6 : Le PIB et ses composantes
(en %)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)
À cet égard, il convient de rappeler que le Consensus Forecast 9 ( * ) de juin 2014 anticipe une croissance annuelle du PIB de 0,8 % en 2014 , alors que dans sa dernière note de conjoncture 10 ( * ) , l'Insee retient une hypothèse d'évolution de + 0,7 % .
Selon le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), la principale fragilité du scénario macroéconomique du Gouvernement concerne l'hypothèse de reprise de l'économie mondiale . À ce titre, force est de constater que l'activité a ralenti dans les économies avancées au cours du premier trimestre (+ 0,3 % après + 0,4 %) et que le commerce mondial s'est contracté. En particulier, l'activité s'est repliée aux États-Unis, sous l'effet des intempéries et du fait de la faiblesse inattendue de l'investissement. En outre, les économies émergentes tourneraient au ralenti . En dépit d'une accélération du PIB en Chine, le climat des affaires y reste dégradé et, en Amérique du Sud ainsi qu'en Asie, les resserrements monétaires couplés à la dépréciation des monnaies pèseraient sur les débiteurs, fortement endettés en dollars, et ralentiraient la progression de l'activité. Enfin, la crise ukrainienne a provoqué des sorties massives de capitaux et un décrochage de l'investissement en Russie ; par contagion, le climat des affaires des pays d'Europe de l'Est s'est nettement affaissé depuis février.
Pour autant, il faut souligner que le Gouvernement avait, dans le scénario macroéconomique présenté dans le cadre du programme de stabilité 2014-2017, d'ores et déjà intégré la possibilité d'un affaiblissement temporaire de la dynamique de reprise au premier trimestre 2014 , « compte tenu d'un climat exceptionnellement doux et de certains dispositifs ayant soutenu l'activité en fin d'année 2013 (déblocage facilité de l'épargne salariale, anticipations du durcissement du bonus/malus et augmentation de la TVA au 1 er janvier 2014) ». Il est apparu, en effet, que la stagnation du PIB au premier trimestre résultait, en grande partie, de facteurs conjoncturels et, notamment, de l'évolution de la situation internationale.
Par ailleurs, les constations relatives au premier trimestre 2014 ne doivent pas conduire à occulter les évolutions encourageantes qui pourraient favoriser un rebond du PIB , notamment au cours des deux derniers trimestres de l'année.
En premier lieu, un redémarrage de l'activité économique est constaté en Europe . Aussi la note de conjoncture de l'Insee note-t-elle que « l'activité retrouverait un peu d'élan dans la zone euro, en particulier en Espagne, grâce à la progression de l'investissement en biens d'équipement et à l'accélération de la consommation des ménages, portée par l'amélioration du pouvoir d'achat ». Au total, en 2014, la progression de l'activité serait soutenue en Allemagne et au Royaume-Uni - dont la demande intérieure bénéficierait du recul du chômage et des effets de richesse - et, dans une moindre mesure, en Espagne.
En outre, les pays de la zone euro devraient bénéficier des décisions de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) annoncées le 5 juin dernier (cf. encadré ci-après). Certes, comme l'indique le Haut Conseil, les effets de ces décisions « ne pourront se faire sentir que progressivement » - d'autant que la première opération de refinancement à plus long terme ciblée (TLTRO) n'aura lieu qu'en septembre ; malgré tout, les délais de transmission des modifications de la politique monétaire peuvent, dans certains cas, se révéler relativement courts - de l'ordre de quelques mois -, et ce d'autant plus que les annonces des banques centrales peuvent influer, par anticipation, sur le comportement des agents économiques, par le biais des « effets de signal » 11 ( * ) . Les effets des décisions de la BCE devraient, normalement, se manifester par l'intermédiaire de la distribution du crédit et de la diminution du taux de change de l'euro .
Les décisions de politique monétaire de la Banque centrale européenne Le 5 juin 2014, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a adopté plusieurs mesures de politique monétaire devant contribuer à ramener les taux d'inflation à des niveaux proches de 2 % . Premièrement, il a été décidé d' abaisser le taux d'intérêt des opérations principales de refinancement 12 ( * ) de 10 points de base, à 0,15 %, et de réduire le taux de facilité de prêt marginal 13 ( * ) de 35 points de base, à 0,40 %. Le taux de le facilité de dépôt 14 ( * ) a, quant à lui, été abaissé de 10 points de base à - 0,10 %. Ces modifications sont entrées en vigueur le 11 juin 2014. Deuxièmement, afin de soutenir l'activité de prêt bancaire aux ménages et aux sociétés non financières, la BCE prévoit la réalisation d'une série d' opérations de refinancement à plus long terme ciblées ( targeted longer-term refinancing operations , TLTRO). Il s'agit de soutenir les prêts en faveur de l'activité réelle et d'améliorer le fonctionnement du mécanisme de transmission de la politique monétaire. Dans le cadre du TLTRO, les contreparties recevront une facilité de prêt initiale - appelée « facilité initiale » - égale à 7 % de l'encours total, au 30 avril 2014, de leurs prêts au secteur privé non financier de la zone euro, à l'exclusion des prêts au logement ; de même, les prêts consentis au secteur public sont exclus de ce calcul. À cet effet, deux opérations de refinancement à long terme ciblées seront réalisées en septembre et en décembre 2014 au cours desquelles les banques commerciales pourront emprunter des fonds dans la limite de la « facilité initiale ». Le montant initial cumulé potentiel s'élève à 400 milliards d'euros environ . Au cours de la période allant de mars 2015 à juin 2016, chaque contrepartie pourra emprunter des montants supplémentaires , à travers une série de TLTRO effectuées trimestriellement. Ces montants supplémentaires pourront atteindre, au total, trois fois l'encours de prêts nets de chaque contrepartie, à l'exclusion des prêts au logement, consentis entre le 30 avril 2014 et la date de référence. Le taux d'intérêt des différentes TLTRO sera fixé, pour toute opération, au taux appliqué aux opérations principales de refinancement en cours au moment de la réalisation de l'opération, augmenté d'un écart fixe de 10 points de base. Après un délai de 24 mois suivant chaque opération, les contreparties pourront effectuer des remboursements. Un certain nombre de dispositions auront pour objet de garantir que les fonds apportent un soutien à l'économie réelle . Les banques n'ayant pas rempli certaines conditions concernant leur volume de prêt à l'économie réelle seront tenues de rembourser les montants empruntés en septembre 2016. Toutes les opérations de refinancement à long terme ciblées arriveront à échéance en septembre 2018 . Troisièmement, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a décidé d' intensifier les travaux préparatoires relatifs aux achats fermes sur le marché des titres adossés à des actifs ( asset-backed securities , ABS), afin d'améliorer le fonctionnement du mécanisme de transmission de la politique monétaire. Dans le cadre de cette initiative, l'Eurosystème envisagerait l'acquisition d'ABS simples et transparents, ayant pour actifs sous-jacents des créances vis-à-vis du secteur privé non financier de la zone euro. Quatrièmement, il a été décidé de continuer à effectuer les opérations principales de refinancement sous la forme d'appels d'offres à taux fixe, dans lesquelles la totalité des soumissions est servie 15 ( * ) , et ce au moins jusqu'à la fin de la période de constitution des réserves en décembre 2016. Enfin, lors de sa conférence de presse du 5 juin 2014, Mario Draghi, le gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), a précisé que, si nécessaire, la politique monétaire pourrait de nouveau être assouplie . |
En second lieu, l'Insee a identifié un rebond de la demande mondiale adressée à la France , indiquant dans sa note de conjoncture que pour « l'ensemble de l'économie mondiale, la composante des nouvelles commandes à l'exportation des enquêtes PMI signale une progression en mai », ajoutant que « le commerce mondial progresserait, par contrecoup, au deuxième trimestre (+ 1,3 %), puis un peu plus modérément d'ici la fin de l'année (+ 1,2 % par trimestre). L'accélération des importations des pays avancés, en particulier européens, soutiendrait la demande mondiale adressée à la France, qui progresserait quasiment au même rythme que le commerce mondial ». La capacité de la France à profiter de cette embellie de la demande mondiale serait renforcée par les mesures adoptées en faveur de la compétitivité et, notamment, les baisses de prélèvements fiscaux et sociaux des entreprises résultant du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ainsi que du Pacte de responsabilité et de solidarité.
Ces différents éléments laissent penser que l'atteinte d' un taux de croissance de 1 % en 2014 demeure crédible - ce qu'a reconnu, rappelons-le, le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 5 juin 2014. À ce titre, il est à rappeler que les prévisions de croissance retenues par le Gouvernement pour 2014 sont en ligne avec celles de la Commission européenne 16 ( * ) et du Fonds monétaire international (FMI) 17 ( * ) qui, dans leurs prévisions, anticipent également une hausse du PIB de 1 % ; l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 18 ( * ) , quant à elle, prévoit une croissance de l'activité de 0,9 %.
Tableau n° 7 : Prévisions de croissance pour la France
(en %)
2014 |
2015 |
|
Programme de stabilité 2014-2017 |
1,0 |
1,7 |
Commission européenne (mai 2014) |
1,0 |
1,5 |
FMI (avril 2014) |
1,0 |
1,5 |
OCDE (mai 2014) |
0,9 |
1,5 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents cités)
Enfin, il paraît important de souligner qu' il demeure difficile, à ce stade de l'année, de formuler des prévisions définitives sur l'évolution de la situation économique de la France . Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à l'exercice 2013, pour lequel le taux de croissance est longtemps resté incertain. Ainsi, eu égard aux évolutions conjoncturelles constatées au début de l'année 2013, le Consensus Forecast a, jusqu'à l'été, retenu une hypothèse d'évolution du PIB de - 0,3 % ; le Gouvernement, quant à lui, a maintenu une prévision de croissance de 0,1 % jusqu'au mois de décembre. Pourtant, les dernières données disponibles font apparaître une progression de l'activité de 0,4 % en 2013.
* 4 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-03 du 5 juin 2014 relatif aux projets de lois de finances rectificative et de financement rectificative de la sécurité sociale.
* 5 L'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques dispose que lorsque « le Gouvernement prévoit de déposer à l'Assemblée nationale un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, il informe sans délai le Haut Conseil des finances publiques des prévisions macroéconomiques qu'il retient pour l'élaboration de ce projet. Le Gouvernement transmet au Haut Conseil les éléments permettant à ce dernier d'apprécier la cohérence du projet de loi de finances rectificative ou du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, notamment de son article liminaire, au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques ».
* 6 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-01 du 22 avril 2014 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.
* 7 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2013-03 du 20 septembre 2013 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014.
* 8 Insee, « Stabilité du PIB au 1 er trimestre 2014 », Informations rapides , n° 112, mai 2014.
* 9 Le Consensus Forecast est un organisme privé collectant mensuellement les prévisions d'un panel des principaux instituts de conjoncture privés.
* 10 Insee, Note de conjoncture , juin 2014.
* 11 Cf. Kathryn M. Dominguez et Jeffrey A. Frankel, « Does Foreign-Exchange Intervention Matter? The Portfolio Effect », American Economic Review , Vol. 83, No. 5, décembre 1993.
* 12 Le « taux de refinancement » correspond au taux d'intérêt fixé par la Banque centrale européenne pour rémunérer les « opérations principales de refinancement », c'est-à-dire les attributions de prêts consenties aux banques commerciales afin qu'elles puissent mener leurs activités ; toutefois, dans le cadre de ces opérations, celles-ci doivent remettre en garantie à la Banque centrale certains actifs - des titres ou autres créances - qui constituent ce que l'on appelle le « collatéral ».
* 13 Le taux de la facilité de prêt marginal correspond au taux d'intérêt fixé par la Banque centrale européenne pour rémunérer les prêts accordés à des banques commerciales ; il s'agit de prêts à très court terme - 24 heures. Cette technique est utilisée quand le marché interbancaire - soit le marché où se rencontrent les banques commerciales afin d'échanger des actifs financiers - est limité.
* 14 Le taux de la facilité de dépôt correspond au taux d'intérêt fixé par la Banque centrale européenne pour rémunérer les dépôts que font, à la banque centrale, les banques commerciales qui ont des excès de liquidité.
* 15 L'Eurosystème peut effectuer des appels d'offres à taux fixe (adjudication de volume) ou à taux variable (adjudication de taux d'intérêt). Dans le cadre des appels d'offres à taux fixe, le taux d'intérêt est fixé par avance par le Conseil des gouverneurs et les banques commerciales soumissionnent le montant pour lequel elles souhaitent être servies à ce taux. Dans celui des appels d'offres à taux variable, les soumissions des banques commerciales portent tout à la fois sur le montant qu'elles souhaitent obtenir et sur le taux qu'elles sont prêtes à payer. En tout état de cause, la Banque centrale européenne (BCE) décide, habituellement, le montant des liquidités à allouer, montant qui est donc limité. Dans les cas où les soumissions excèdent le montant total des liquidités pouvant être allouées, soit les soumissions sont satisfaites au prorata des offres s'il s'agit d'un appel d'offre à taux fixe, soit les soumissions assorties des taux d'intérêt les plus élevés sont satisfaites en priorité s'il s'agit d'un appel d'offre à taux variable. Il apparaît, par conséquent, que les modalités actuelles selon lesquelles ont lieu les opérations principales de refinancement sont particulièrement favorables : le taux est fixe et le montant de liquidité pouvant être alloué n'est pas limité.
* 16 Commission européenne, « European Economic Forecast. Spring 2014 », European Economy , 3/2014, mai 2014 .
* 17 FMI, World Economic Outlook. Recovery Strengthens, Remains Uneven , avril 2014.
* 18 OCDE, OECD Economic Outlook , mai 2014.