EXAMEN EN COMMISSION - (MERCREDI 11 JUIN 2014)
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Le droit local alsacien-mosellan, que la proposition déposée par M. André Reichardt et certains membres de son groupe propose de moderniser, est issu des trois conflits mondiaux qui ont opposé la France et l'Allemagne, en 1870, en 1914 et en 1940. Par la loi du 17 octobre 1919, il fut décidé que certaines dispositions issues du droit de l'empire allemand continueraient à s'appliquer. Deux lois de 1924 l'ont confirmé, puis l'ordonnance du 15 septembre 1944 a intégré ce droit local dans la légalité républicaine. En pratique, le droit général est la règle et le droit local l'exception ; l'aménagement de ce dernier ne doit pas étendre son champ d'application.
Nos concitoyens des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont très attachés à ces dispositions, certaines parce qu'elles sont plus favorables, comme pour les retraites, d'autres parce qu'elles sont traditionnelles comme le Concordat ou parce qu'elles correspondent à la structure des métiers dans ces départements. Les lois votées gomment tout possible conflit de constitutionnalité, qui ne manquerait pas d'exister sinon, entre le Concordat et la laïcité, entre le régime spécial des retraites et l'égalité devant la loi sur tout le territoire, par exemple.
La proposition de loi comporte cinq titres, d'inégale importance. De toute ma vie parlementaire je n'ai eu autant de doutes et d'interrogations que pour écrire ce rapport et me prononcer sur le texte. Je suis neutre, je n'ai aucun intérêt dans cette affaire, j'ai entendu le maximum de gens pendant le temps imparti : les ministères du travail, de l'économie, de la justice ; la direction générale des collectivités locales ; l'Institut du droit local alsacien-mosellan ; les chambres régionales des métiers de Lorraine et d'Alsace, la confédération de l'artisanat d'Alsace, la fédération française du bâtiment du Haut-Rhin, les unions des corporations artisanales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et l'établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (Epelfi). Les divergences entre eux sont nombreuses.
Les trois premiers articles concernent les corporations. L'organisation des métiers dans ces départements repose en effet sur des chambres des métiers, des syndicats patronaux, mais aussi sur des corporations qui regroupent par département ou par arrondissement les artisans qui exercent exactement le même métier. L'adhésion à certaines est facultative, mais obligatoire à d'autres. Elles présentent un grand intérêt car elles exercent une mission de service public, tendant à valoriser un métier. Pour l'emploi, elles jouent un rôle fondamental : dans ces départements, l'apprentissage est très développé, or les corporations aplanissent les conflits et ont un oeil sur les conventions d'apprentissage.
Hélas, elles ne semblent pas toujours reconnues. Ainsi un artisan contraint de cotiser auprès de deux corporations différentes a saisi le Conseil constitutionnel : celui-ci a estimé dans sa décision du 30 novembre 2012 que la cotisation obligatoire était contraire à la liberté d'entreprendre. Depuis, certaines corporations ont fait faillite, d'autres n'ont survécu qu'avec l'aide des chambres consulaires.
La proposition de loi met en place un nouveau dispositif de financement reposant sur une participation facultative des chambres des métiers et sur un système de redevance pour service rendu - qui pourrait ne pas être constitutionnel, puisque le Conseil interdit un financement qui ne serait pas volontaire. La réponse à M. Roland Ries de la ministre de l'artisanat est éloquente à ce propos. En outre, les acteurs locaux ne sont pas tous d'accord : si la Moselle voit cela de loin - les corporations ne doivent pas y être aussi prégnantes - le président de la fédération du bâtiment du Haut-Rhin, qui regroupe plusieurs corporations, a demandé à être reçu pour s'opposer au « retour à l'ancien régime », selon ses propos.
Le second point concerne l'extension des compétences de l'Etablissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (Epelfi). La publicité foncière relève en Alsace-Moselle du juge du livre foncier qui est un juge d'instance. Les relevés cadastraux, faits à la main, sont dans un état lamentable parce qu'ils ont été beaucoup manipulés et compulsés. Ils doivent donc être numérisés. Certains ont pris de l'avance, comme la communauté urbaine de Strasbourg. Mais Bercy, compétent normalement pour ces questions, et le ministère de la justice dont relève la tutelle de l'EPELFI, se renvoient la responsabilité du financement. Voilà où nous en sommes.
Le troisième point est le maintien de la taxe de riverains ; depuis sa création par l'empereur Guillaume 1 er - pour financer l'extension de Strasbourg - les communes d'Alsace-Moselle peuvent voter une telle taxe lorsqu'elles ouvrent ou viabilisent une nouvelle voie. Or, la loi de finances rectificative de 2010 a abrogé la taxe à compter du 1 er janvier 2015 : la proposition de loi vise à le pérenniser. Cela nécessite réflexion : le ministère de l'intérieur est hostile au rétablissement et la suppression a été faite avec l'accord explicite du rapporteur général du budget d'alors, M. Philippe Marini.
Je n'ai rien à dire sur le quatrième point, qui simplifie le droit des associations coopératives. Le cinquième point modernise le repos dominical ; en effet ; la loi qui fut si difficile à voter ne s'applique pas en Alsace-Moselle. Les dimanches et le vendredi saint, tout est fermé... en principe. Si cela est vrai pour les grandes surfaces, chacun ferme les yeux sur les petits commerces ouverts le dimanche matin à Strasbourg. Une convention a été signée pour libéraliser l'ouverture des commerces le vendredi saint et trois dimanches, avant Noël. Tous, y compris dans le Bas-Rhin, estiment qu'il faut attendre la mise en oeuvre de l'accord du 6 janvier 2014 et la poursuite des négociations avec les organisations syndicales de salariés pour la détermination des compensations. Si les Alsaciens sont favorables à une extension de l'ouverture le dimanche, les Mosellans sont beaucoup plus réservés. Pour le président de la chambre de commerce de Lorraine, le dimanche est sacré.
Mme Catherine Troendlé . - C'est pour cela qu'il ne faut pas que nous fusionnions !
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Par respect pour le droit local et déférence envers la proposition de loi, je voulais proposer un renvoi en commission et la création d'un groupe de travail, à l'initiative de notre commission mais ouvert à d'autres parlementaires ; je découvre ce matin un amendement très complexe d'André Reichardt sur le droit de l'indivision avec trois pages d'exposés des motifs - c'est dire - afin de résoudre un conflit entre la doctrine alsacienne-mosellane et une jurisprudence de la Cour d'appel de Metz. Je doute fort que ces dispositions, même votées par le Sénat, prospéreraient face à l'opposition du gouvernement. Vous contenteriez-vous d'un vote au Sénat, pour des raisons qui m'échappent ou plutôt que je ne veux pas entendre ? Si vous n'êtes pas d'accord avec le renvoi en commission...
Mme Catherine Troendlé . - Non, nous ne le sommes pas !
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je vous proposerai dès lors des amendements de suppression sur tous les articles sauf deux, ceux consacrés aux associations coopératives et à la prescription acquisitive en matière cadastrale.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Il est vrai qu'un gentlemen's agreement veut que les textes des propositions de loi émanant de l'opposition arrivent, sauf accord de leur auteur, intacts en séance publique.
Mme Catherine Troendlé . - Cet accord interdit le renvoi en commission des propositions de loi sauf accord de l'auteur, je remercie le président de le rappeler. Si nous créons un précédent dans ce domaine, cela n'aura plus de fin.
M. André Reichardt . - Je remercie sincèrement M. Jean-Pierre Michel de son travail sur ce dossier, complexe aux yeux de tous ceux qui ne pratiquent pas le droit alsacien-mosellan. Il est normal que M. Michel ait des doutes... La règle au Parlement semble être plutôt de ne pas toucher au droit local, faute d'y comprendre quelque chose. Notre vaillant rapporteur a cependant commis quelques erreurs, que je lui signalerai, dans son rapport.
Les corporations de droit local, à ne pas confondre avec celles condamnées par la loi Le Chapelier, ne sont pas contraires à la liberté d'entreprendre, bien au contraire ! Il faut seulement réorganiser leur financement, urgemment puisque le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelle l'obligation inscrite en droit local. Il est possible de retenir des modalités qui existent ailleurs en France, outre-Vosges, dans la France de l'intérieur, comme nous disons. Nous ne demandons rien de plus ! Lorsque vous parlez de dérogation au droit commun, c'est faux : les redevances pour service rendu existent dans le droit général. Cette disposition n'augmente pas la distance entre ce dernier et le droit local, elle la réduit.
Le financement de la numérisation du cadastre ne serait pas prévu ? Allons : les trois conseils généraux se sont engagés à le financer. C'est si vrai que la direction générale des finances publiques, en l'occurrence la sous-directrice, Mme Catherine Brigant, m'a transmis une proposition d'amendement que je déposerai si le gouvernement ne le fait pas : « L'Epelfi contribue également à la modernisation de l'archivage de la documentation cadastrale des département du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle dans des conditions déterminées par l'administration chargée du cadastre . » Cela me convient parfaitement ! Si tout le monde est d'accord, pourquoi ne pas le faire ?
Nous souhaitons maintenir la taxe de riverains qui doit être abrogée à partir du 1 er janvier 2015, au motif qu'elle est remplacée par la taxe locale d'aménagement, alors qu'elle a une utilité spécifique. Ainsi la viabilisation, à des fins de lotissement, d'un chemin de terre qu'empruntent aujourd'hui deux exploitants agricoles ayant construit des habitations devrait pourvoir être financée non seulement par les futurs acheteurs du lotissement, mais aussi par ces deux riverains, ce que ne permet pas la taxe locale d'aménagement.
Mme Catherine Troendlé . - Ce n'est que justice.
M. André Reichardt . - Si nous laissons passer le délai, il ne sera plus possible de restaurer la taxe. Je remercie le rapporteur de n'avoir formulé aucune remarque à propos des dispositions sur les associations coopératives, que nous modernisons. Il y a un consensus général sur le cinquième point, les règles applicables en matière de repos dominical. Cela fait deux ans que l'Institut du droit local travaille sur le sujet. J'ai les e-mails de toutes les parties, qui souhaitent que l'on intègre dans la loi l'accord de janvier 2014 sur l'indemnisation des salariés. J'ai répondu que je ne pouvais pas le faire : il a été présenté à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) pour extension ; laissons faire la procédure. Cela ne fait pas obstacle à son application dans les mois qui viennent. Vous proposez, monsieur Michel, de supprimer cet article 8 et écrivez que les différents acteurs considèrent pertinent d'attendre la mise en oeuvre de l'accord qui devrait être prochainement étendu : c'est faux. Pourquoi cet amendement de suppression ?
N'étant pas un ayatollah du droit local, je suis prêt à examiner tous les amendements. J'ignore pourquoi M. Roland Ries et Mme Patricia Schillinger ne s'engagent pas plus pour soutenir ces mesures, car tout le monde y a intérêt ! Après le 1 er janvier 2015, ce sera trop tard pour la taxe : or, les maires l'attendent.
M. Jean-Jacques Hyest . - Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous nous sommes souvent occupés de droit local : nous avions découvert à cette occasion la faillite civile, que nous avions conservée. Il s'agit ici d'établir le texte de la commission - ou de ne pas adopter de texte, permettant ainsi un débat en séance publique, au lieu de conserver seulement un ou deux articles ! Notre rapporteur présenterait ses amendements en séance. C'est ainsi que nous avions procédé pour la proposition de loi de Mme Dini.
Mme Catherine Troendlé . - Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest . - Le rapport n'est pas superficiel, loin s'en faut. Notre rapporteur a effectué un travail de fond. Il y a un amendement intéressant sur le partage notarié. Il faut nous permettre de débattre en séance.
M. André Reichardt . - La proposition de loi vise aussi à régler cette question. Mon amendement n° 1 trouve sa source dans une étude de l'Institut de droit local et a reçu l'aval de la Commission d'harmonisation du droit local, dont je suis le président, et qui est constituée exclusivement de juristes. Mais s'il gêne, je peux le retirer.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je ferai ce que veut la commission. Mettons le texte aux voix, il sera adopté et je le rapporterai comme tel. Ce qui est proposé sur les corporations ne rallie pas toutes les organisations, la fédération française du bâtiment du Haut-Rhin y est hostile et le gouvernement s'y oppose. La redevance s'apparente à une taxe supplémentaire sur les entreprises, qui ne semble pas pertinente au moment où nous voulons alléger leurs charges. Je n'ai, certes, pas entendu les conseils généraux ; je pourrais le faire si un renvoi en commission était décidé ! Sont-ils décidés à partager les frais de numérisation ? Je l'ignore. Ce que je sais, c'est que le ministère de la justice s'oppose absolument à l'extension en l'absence d'un accord avec Bercy. La pérennisation de la taxe de riverains pourrait être inconstitutionnelle : c'est une forme d'extension du droit local. Cette taxe a été supprimée au profit de la taxe locale d'aménagement sur tout le territoire.
Mme Catherine Troendlé . - Elle reste en vigueur jusqu'au 1 er janvier 2015.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Uniquement pour laisser le temps de la transition.
M. Jean-Jacques Hyest . - Il est tout à fait possible de supprimer la suppression.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Quant aux dimanches, les personnes auditionnées ont été très claires : elles ne veulent pas du texte en l'état. Nous comprenons bien pourquoi les chambres veulent ajouter la convention avec les salariés dans la loi : c'est pour être confortées par rapport aux salariés.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article premier
L'amendement n° 3 n'est pas adopté.
Article 2
L'amendement n° 4 n'est pas adopté.
Article 3
L'amendement n° 5 n'est pas adopté.
Article 4
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Article 6
L'amendement n° 7 n'est pas adopté.
Article 8
L'amendement n° 8 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 8
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je n'ai pas d'avis sur l'amendement n° 1, trois pages compactes que je découvre ce matin. La Cour de cassation a-t-elle été saisie de ce conflit de droit local ? Ce serait utile. Et si tel est le cas, attendons de connaître sa position. Le sujet est trop complexe : retrait, sinon avis défavorable.
M. André Reichardt . - Je maintiens l'amendement, afin que la discussion ait lieu également sur ce point en séance publique.
M. Jean-Jacques Hyest . - Tout cela est dû au fait que la loi de 2006 n'a pas supprimé la loi de 1924, et que le droit local présente parfois des obstacles dirimants.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1
er
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M. MICHEL, rapporteur |
3 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 2
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M. MICHEL, rapporteur |
4 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 3
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M. MICHEL, rapporteur |
5 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 4
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M. MICHEL, rapporteur |
6 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 6
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M. MICHEL, rapporteur |
7 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article 8
|
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M. MICHEL, rapporteur |
8 |
Suppression de l'article |
Rejeté |
Article(s) additionnel(s) après l'article 8 |
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M. REICHARDT |
1 |
Clarification de la procédure de partage judiciaire de droit local |
Adopté |