EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 avril 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission examine le rapport de Mme Claire-Lise Campion sur le projet de loi n° 447 (2013-2014) habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

Mme Annie David, présidente . - Nous poursuivons notre matinée de travail par l'examen du projet de loi n° 447 (2013-2014) habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure . - Ce projet de loi est le fruit d'un long cheminement sur lequel je souhaite insister avant de vous présenter le contenu même de ce texte.

La question de l'accessibilité a pris corps dans le débat public à l'occasion de la loi de 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées qui, certes, avait fixé des objectifs prometteurs mais ne s'était pas donné les moyens d'y parvenir. Il a fallu attendre trente ans et l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pour qu'une nouvelle étape soit franchie. La notion d'accessibilité est alors étendue à tous les types de handicap (mental, sensoriel, psychique, cognitif, polyhandicap...) et à tous les domaines de la vie en société (cadre bâti, voirie, espaces publics, transport, citoyenneté, école, services publics, loisirs...). Et cela au bénéfice de l'ensemble de la population.

On parle désormais d'accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter une personne dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes. Cette démarche s'adresse non seulement aux personnes atteintes d'un handicap, mais aussi à toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l'autre, à une difficulté de déplacement, qu'elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale revêt un enjeu considérable.

Loi ambitieuse, la loi de 2005 a posé un principe fort : l'obligation de mise en accessibilité du cadre bâti et des transports à l'horizon 2015. En fixant ce cap, elle a indéniablement permis d'opérer un changement d'état d'esprit dans notre société, de porter un regard différent sur le handicap. Des efforts incontestables, qui doivent être salués, ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l'accessibilité. Les progrès sont tangibles tant en matière de logements neufs, d'établissements recevant du public (ERP) que de transports.

Pour autant, la France ne sera pas au rendez-vous du 1 er janvier 2015. Ce constat, lucide, Isabelle Debré et moi-même l'avons posé dès juillet 2012 à l'occasion de la remise de notre rapport sur l'application de la loi de 2005 à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Quelques mois plus tard, une mission conjointe du conseil général de l'environnement et du développement durable, de l'inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier parvenait à la même conclusion.

Plusieurs raisons expliquent notre retard : un délai de parution des décrets plus long que prévu, un impact financier des travaux à mener mal voire non évalué, une mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation de l'ensemble des travaux, une réglementation trop complexe, et un défaut de portage politique. Car après la promulgation de la loi et en dehors des deux conférences nationales du handicap, l'insuffisance de l'impulsion politique n'a pas permis de mobiliser les acteurs de terrain, ni d'assurer une appropriation suffisante des enjeux d'accessibilité.

Cette volonté de suivi et d'accompagnement est désormais au rendez-vous. La nécessité de poursuivre l'adaptation de notre société, en vue de la rendre plus inclusive, a en effet amené le Gouvernement à faire de l'accessibilité l'une de ses priorités. Dès octobre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, m'a confié une mission afin de faire le point sur l'état d'avancement de ce dossier et de rechercher, en concertation avec l'ensemble des acteurs, les solutions permettant à notre pays de répondre le mieux possible aux attentes légitimes suscitées par la loi de 2005. Je lui ai remis mon rapport, intitulé « Réussir 2015 », le 1 er mars 2013. Parmi les quarante propositions qu'il contient, deux mesures se distinguent plus particulièrement : la mise en place des agendas d'accessibilité programmée ou Ad'AP, documents d'engagement et de programmation décidés par les maîtres d'ouvrage, et l'ajustement, dans la concertation, des normes d'accessibilité qui se révèlent peu opérationnelles.

C'est sur la base de « Réussir 2015 » que le Premier ministre a décidé, lors du comité interministériel du handicap réuni pour la première fois le 25 septembre 2013, d'ouvrir, dès le mois suivant, deux chantiers de concertation afin de faire évoluer de manière consensuelle le cadre juridique de l'accessibilité : un premier sur la mise en place, par voie d'ordonnance, du nouvel outil Ad'AP pour poursuivre la dynamique engagée par la loi de 2005 ; un second sur les normes d'accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports pour les adapter à l'évolution des techniques, aux besoins des personnes handicapées et aux contraintes des opérateurs.

A la demande du Premier ministre, j'ai assuré la présidence de cette concertation, qui s'est déroulée d'octobre 2013 à février 2014, en collaboration avec la déléguée ministérielle à l'accessibilité. Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce processus inédit, qui constitue le point de départ du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.

Cette concertation, qualifiée par tous de moment historique, a été l'occasion, pour la première fois et à une telle échelle, de réunir autour d'une même table l'ensemble des parties prenantes au dossier de l'accessibilité : les associations de personnes handicapées membres de l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle (Obiaçu), les représentants du commerce, de l'hôtellerie-restauration et des professions libérales, les responsables du secteur des transports, les associations d'élus locaux, les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage, les techniciens et les experts.

Au cours des 140 heures de réunion, j'ai pu mesurer et apprécier le respect qui a prévalu dans les discussions, l'esprit constructif et la très grande assiduité qui ont animé la centaine de participants. Ces échanges nourris ont permis - et c'est là sans doute la plus grande avancée - à tous les acteurs de prendre conscience des attentes, des difficultés, et de la réalité vécues par les uns et les autres, tout en gardant à l'esprit la nécessité de trouver, ensemble, les moyens de faire progresser l'accessibilité. Menée à son terme, cette concertation est parvenue à deux grandes séries de mesures.

La première est l'élaboration d'un cadre national aux Ad'AP, véritable instrument de politique publique.

En quelques mots, qu'est-ce qu'un Ad'AP ? Il s'agit d'un document de programmation et de financement des travaux d'accessibilité, structuré en une ou plusieurs périodes opérationnelles, qui permettra aux acteurs n'étant pas en conformité avec les règles d'accessibilité posées par la loi de 2005 de s'engager sur un calendrier précis et resserré. L'Ad'AP est un acte d'engagement volontaire qui ne se substitue pas à la loi de 2005, mais qui la complète. Il s'adresse aux maîtres d'ouvrage et aux exploitants d'ERP publics et privés, quelle que soit leur catégorie, ainsi qu'aux autorités organisatrices de transport de voyageurs. Cet outil, cohérent et opérationnel, est le fruit d'un véritable équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés à faire rencontrées par les autres. Il n'est en effet pas imaginable de retrouver, dans quelques années, la même situation que celle que nous connaissons aujourd'hui ; il faut donc que l'Ad'AP soit attractif et crédible aux yeux de chacun.

Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est tout d'abord pour les associations de personnes handicapées en ce qu'il garantit que les objectifs de mise en accessibilité seront tenus : les dossiers d'engagement à entrer dans une procédure d'Ad'AP devront être déposés avant le 31 décembre 2014, puis devront être validés par le préfet ; l'engagement dans un Ad'AP est irréversible : un dossier validé devra être mené à son terme ; en l'absence d'Ad'AP, le non-respect de l'échéance du 1 er janvier 2015 sera, sauf dérogation validée, toujours passible des sanctions pénales prévues par la loi de 2005 ; il n'y aura pas d'« année blanche » : la programmation des travaux sera échelonnée sur une, deux ou trois périodes et, dès la première année, l'amélioration de l'accessibilité devra être constatée ; des points de contrôle régulier jalonneront toute la procédure : à la fin de la première année, puis au terme de chaque période ; des sanctions financières graduées seront appliquées en cas de non-respect des engagements pris dans le cadre de l'agenda (mauvaise foi, retard, carence) ; dans le domaine des transports, des obligations assorties de sanctions seront fixées en termes d'une part, de formation des personnels et d'information des usagers en situation de handicap, d'autre part, d'accessibilité du parc de matériel roulant routier.

Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est ensuite pour les gestionnaires d'ERP et de services de transport en ce qu'il constitue une solution adaptée et réaliste pour se mettre en conformité avec la loi de 2005 : l'élaboration d'un Ad'AP permettra de ne pas s'exposer aux sanctions pénales instaurées par la loi de 2005 et de poursuivre au-delà du 1 er janvier 2015, en toute sécurité juridique, les travaux de mise en accessibilité ; la procédure d'Ad'AP sera simplifiée pour les ERP de 5 e catégorie, qui constituent la grande majorité des ERP ; les dossiers d'Ad'AP pourront être déposés dans un délai d'un an suivant la publication de l'ordonnance, à condition que l'engagement ait été pris avant le 31 décembre 2014 ; l'obligation d'accessibilité des points d'arrêt et des gares fera l'objet d'une priorisation ; le droit au transport des enfants handicapés scolarisés est réaffirmé autour du projet personnalisé de scolarisation (PPS).

Au final, c'est bien une démarche d'équilibre, de pragmatisme et de confiance raisonnée, ainsi que je le recommandais dans mon rapport « Réussir 2015 », qui a prévalu. Non seulement nous n'abandonnons pas l'échéance du 1 er janvier 2015, mais nous nous donnons aussi les moyens de poursuivre la dynamique au-delà de cette date.

La seconde série de mesures concerne l'évolution des normes d'accessibilité.

L'objectif de cet autre volet de la concertation était, tout en maintenant le corpus juridique structurant issu de la loi de 2005, d'adapter les dispositions techniques et réglementaires afin de les rendre plus lisibles et plus efficientes. Certaines d'entre elles sont en effet trop souvent perçues comme un frein au progrès et à l'innovation. De même, l'on a trop tendance aujourd'hui à privilégier le respect strict de la norme plutôt que la qualité d'usage. Un autre impératif était de mieux prendre en compte toutes les formes de handicap, conformément à l'objectif d'accessibilité universelle.

Grâce là aussi à une écoute réciproque et à une ferme volonté de trouver des solutions partagées, de nombreuses recommandations ont vu le jour, parmi lesquelles : l'assouplissement de certaines normes pour le cadre bâti ; la simplification et la clarification des exigences dans les secteurs du commerce, de l'hôtellerie et de la restauration ; l'amélioration de la sécurité des déplacements et du repérage dans l'espace ; la généralisation de la formation des personnels d'accueil ; l'obligation d'information des usagers des ERP à travers la création d'un registre d'accessibilité ; le développement du sous-titrage dans les lieux publics.

Sur la base des deux rapports de conclusion de la concertation, le Premier ministre a confirmé, le 26 février dernier, que les mesures de niveau législatif, comme la création des Ad'AP, feront l'objet d'un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance, et que les autres mesures, notamment celles issues du chantier « environnement normatif », seront mises en oeuvre au niveau réglementaire dans le même calendrier resserré que celui des textes d'application des dispositions prises par ordonnance.

Comme vous tous, chers collègues, je suis toujours très réservée lorsqu'un gouvernement, quel qu'il soit, décide de recourir à la procédure prévue à l'article 38 de la Constitution pour accélérer la mise en oeuvre de sa politique. Si le recours aux ordonnances ne saurait être un mode habituel d'élaboration de la loi, il est cependant justifié dans des domaines précisément circonscrits, comme celui de l'accessibilité.

J'y vois trois raisons. Premièrement, l'urgence de la situation. A quelques mois de l'échéance du 1 er janvier 2015, seules les ordonnances nous permettent de rester dans les temps. Je vous rappelle que les Ad'AP doivent être opérationnels très rapidement afin de permettre aux acteurs concernés de faire part, avant le 31 décembre 2014, de leur intention de recourir à ce nouvel outil. A défaut, ce sont les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 qui s'appliqueront. Deuxièmement, la technicité du sujet. La concertation l'a montré, l'accessibilité est un dossier d'une grande complexité, sur lequel il est très difficile de trouver un équilibre entre les positions des uns et des autres. Nous y sommes parvenus, mais la confiance mutuelle demeure fragile. Troisièmement, l'approbation unanime du monde associatif qui voit, dans cette méthode, le seul moyen de mettre rapidement en place les outils nécessaires à la poursuite de la dynamique en cours.

J'en viens à présent au projet de loi d'habilitation à proprement parler, qui se compose de quatre articles.

L'article 1 er habilite le Gouvernement à créer, pour les ERP, le nouveau dispositif des Ad'AP. Au-delà du contenu de l'agenda, l'ordonnance définira les procédures applicables à son dépôt, à sa validation et au suivi de l'avancement des travaux prévus. Elle précisera également les délais de réalisation des actions de mise en accessibilité et le régime des sanctions administratives encourues en cas de non-respect des engagements pris. L'article 1 er permet également d'adapter, sur la base des recommandations de la concertation, certaines obligations législatives prévues par la loi de 2005 en matière d'accessibilité des ERP et des bâtiments d'habitation.

L'article 2 habilite le Gouvernement à instituer, pour les services de transport public de voyageurs (routier et ferroviaire), un dispositif comparable à celui de l'Ad'AP pour les ERP : le schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée ou SDA/Ad'AP. Sur le modèle de l'article 1 er , l'ordonnance définira l'ensemble des procédures applicables au SDA/Ad'AP (contenu, dépôt, validation, suivi, délais, sanctions, etc.). Prenant appui sur les conclusions de la concertation, l'article 2 prévoit aussi une habilitation pour adapter les exigences incombant aux services de transport public de voyageurs en matière de points d'arrêt et d'accessibilité du matériel roulant.

L'article 3 habilite le Gouvernement à prendre diverses mesures relevant du domaine de la loi et correspondant aux préconisations de la concertation, parmi lesquelles : l'assouplissement, pour les petites communes, de l'obligation d'élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (Pave) ; l'autorisation plus large des chiens guides d'aveugle et les chiens d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics ; l'élargissement de la composition et des missions des commissions communales et intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées, ainsi que le changement de leur dénomination ; la création d'un fonds dédié à l'accompagnement de l'accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées dans le cadre des Ad'AP et des SDA/Ad'AP ; l'adaptation à l'outre-mer de certaines des mesures prévues aux articles 1 à 3.

Enfin, l'article 4 fixe à cinq mois, suivant la publication de la loi, le délai dans lequel les ordonnances devront être prises par le Gouvernement. Il fixe également à cinq mois, à compter de la publication de chaque ordonnance, le délai de dépôt du projet de loi de ratification correspondant. Le Gouvernement a d'ores et déjà fait part de son intention de publier les ordonnances au début de l'été.

Je souhaite, pour finir, insister sur un point qui me paraît fondamental et sur lequel je suis revenue à plusieurs reprises lors des travaux de concertation : le nécessaire effort de pédagogie et de communication.

Le chantier de l'accessibilité a, jusqu'à présent, assurément pâti d'un manque d'accompagnement des acteurs de terrain. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs. Le nouveau dispositif des Ad'AP aura besoin d'être expliqué tant aux professionnels, qu'aux personnes handicapées et à leurs représentants associatifs locaux. Je suis d'autant plus convaincue de l'utilité de cette démarche que j'ai pu constater combien la diffusion d'informations erronées pouvait avoir des effets dévastateurs. Ainsi, en février dernier, lorsque les conclusions de la concertation ont été présentées et que les arbitrages gouvernementaux ont été rendus, les différents délais de mise en oeuvre des Ad'AP ont été présentés par certains médias comme un report de dix ans de l'échéance de 2015, interprétation qui ne repose évidemment sur aucun fondement.

Conscient de cet enjeu de communication, le Gouvernement a décidé d'agir dans trois directions : le recrutement dès cette année, dans le cadre du service civique, de 1 000 ambassadeurs de l'accessibilité qui auront pour tâche de faire connaître la réforme ; la mise en place d'un accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement ; le lancement, dans les prochaines semaines, d'une campagne de communication d'abord à destination des professionnels, puis à destination du grand public.

En tant que nouvelle présidente de l'Obiaçu, je m'impliquerai personnellement dans ce combat car il en va de la cohésion et de l'avenir de notre société.

Mme Isabelle Debré . - Il n'est pas acceptable que nous examinions dans une telle précipitation ce projet de loi qui porte sur un sujet majeur pour notre société. Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au jeudi 24 avril, en pleine suspension de nos travaux, et l'examen en séance publique interviendra le lundi 28 avril, jour de la reprise ! Par ailleurs, nous examinons ce projet de loi alors que notre collègue Jean-Pierre Vial vient de présenter devant la délégation aux collectivités territoriales un rapport sur les normes d'accessibilité ; nous n'avons pu encore prendre connaissance de toutes ses préconisations. Ne disposant pas de toutes les informations, le groupe UMP ne prendra pas part au vote aujourd'hui.

Mme Muguette Dini . - Nous partageons tous cet agacement ; le calendrier qui nous est imposé n'est pas acceptable. Ce projet de loi est issu d'un long travail de notre rapporteure que je tiens à féliciter. Notre groupe s'abstiendra aujourd'hui car il n'a pas eu le temps nécessaire pour examiner le texte en profondeur, mais cela ne préjuge en rien de son vote le 28 avril.

M. Gilbert Barbier . - A mon tour de déplorer la précipitation sur ce dossier tout en félicitant notre rapporteure pour son travail remarquable, sur un dossier compliqué.

Il n'est pas question dans ce projet de loi des monuments historiques, ni des secteurs sauvegardés : devront-ils se mettre aux normes ? L'accès des personnes handicapées devra-t-il se faire obligatoirement par l'entrée principale ? Certains estiment que prévoir une entrée secondaire s'apparente à une forme de discrimination. Dans ce texte, parle-t-on d'accessibilité globale, prenant en compte tous les types de handicap, ou seulement partielle ? Enfin, quels sont les seuils démographiques retenus pour les Pave ? Les maires des petites communes rurales sont impatients de le savoir...

Mme Isabelle Pasquet . - Je remercie Claire-Lise Campion pour son travail considérable. Nous sommes au pied du mur... Et encore loin de l'accessibilité universelle ! Les lois de 1975 et de 2005 ont suscité beaucoup d'espoirs, aujourd'hui déçus. Ce projet de loi prolonge les délais et prévoit des assouplissements, voire des dérogations. Je regrette le recours aux ordonnances car un débat parlementaire aurait été indispensable. Certaines associations craignent que les nouveaux délais ne soient, à leur tour, pas tenus.

Enfin, ce projet de loi ne comporte pas de volet financier, notamment pour les collectivités locales qui sont pourtant dans une situation exsangue. Si le Gouvernement ne les aide pas, un nouvel échec est à craindre.

Mme Jacqueline Alquier . - Merci à notre rapporteure. Le sujet doit être pris très au sérieux, il nous engage, nous qui sommes des élus. Les Ad'AP sont le fruit de la concertation et du volontarisme. Les collectivités aussi devront s'engager financièrement et arrêter une programmation des travaux, sous peine de pénalités. Mon groupe votera ce projet de loi d'habilitation.

M. Jean-François Husson . - Je félicite également Claire-Lise Campion pour son travail approfondi.

L'article 2 institue pour les services de transports publics de voyageurs un schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée. Les ordonnances préciseront la procédure de mise en oeuvre de ce nouvel outil. Mais sachant que plusieurs acteurs seront concernés, des possibilités de mutualisation seront-elles prévues ? Par exemple, dans les gares routières, il faut accueillir non seulement les bus des réseaux publics, mais aussi ceux des réseaux privés. Or nous sommes dans le flou concernant les responsabilités de chacun. Comme l'argent public se fait rare, ces ordonnances devront prévoir les modalités pratiques de contractualisation entre les divers opérateurs.

Par ailleurs, l'Etat va-t-il se montrer exemplaire en matière d'accessibilité de ses propres espaces ?

Le Gouvernement nous demandant de nous prononcer dans un temps très court, je vais transmettre votre communication pour faire réagir les acteurs de terrain, dans mon département.

M. Hervé Marseille . - Je salue le travail de notre rapporteure, mais partage les réserves de mes collègues sur le recours aux ordonnances. Je m'insurge également contre les différences de traitement : les élus locaux pourront être frappés par des sanctions pénales alors que l'Etat n'assume pas ses responsabilités. Qu'il dise quelle part il entend prendre dans ce chantier ! Il annonce une nouvelle ponction de 10 milliards d'euros sur les collectivités, après 4,5 milliards. Dotations en baisse, nouvelles péréquations, calendrier de travaux : de quelles enveloppes disposeront-elles, alors même que l'on parle de disparition des départements ?

J'approuve la remarque de Gilbert Barbier sur le patrimoine : j'ai été confronté à l'accessibilité dans un musée du XVII e siècle, où il a fallu installer des ascenseurs...

Rien n'a été dit sur les professions libérales, souvent installées dans des copropriétés qui refusent de financer les travaux. L'ordonnance devra donc faire l'objet d'une attention toute particulière pour éviter que l'Etat n'impose des sujétions rigoureuses sans donner les moyens correspondants.

M. René-Paul Savary . - Je dis toute ma sympathie à notre rapporteure qui a beaucoup travaillé sans même connaître le contenu exact de ce projet de loi, triomphe de la technocratie sur la démocratie. L'Etat fixe les règles et laisse aux élus locaux le soin... de se débrouiller, sans leur en donner les moyens. Cela me révolte. L'étau se resserre sur les collectivités. Les Pave feront travailler les bureaux d'étude, les conseils généraux valideront les documents à la chaîne : ces dossiers coûteront aux collectivités des milliers d'euros, mais elles en ont besoin pour obtenir des subventions pour leurs voiries.

Vous parlez, madame la rapporteure, d'engagements volontaires. Mais il s'agit d'engagements obligatoires ! J'espère que ces schémas ne seront pas trop compliqués et que nous pourrons éviter de faire appel une fois de plus à des bureaux d'étude.

Mme Aline Archimbaud . - Certes, les débats vont être précipités. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre 2012, avec le travail réalisé par Claire-Lise Campion, pour se rendre compte que la loi de 2005 était mal et peu appliquée ? Nous avons un retard énorme à rattraper. Ne faisons pas de mauvais procès au Gouvernement. Le recours aux ordonnances doit être exceptionnel mais nous sommes face à une urgence, que notre rapporteure a rappelée.

Comment les dérogations seront-elles accordées ? Comment éviter que les délais soient allongés au-delà du raisonnable ? Les pénalités seront-elles progressives, tiendront-elles compte du budget des collectivités ? Comment organiser la vigilance démocratique, afin d'éviter de nouveaux retards, que l'on découvrira a posteriori, quand ils se seront accumulés ? Le coût des travaux de l'accessibilité dans les transports publics sera très élevé. Des arbitrages seront nécessaires. Nous devrons nous interroger : les personnes handicapées sont-elles, oui ou non, des citoyens à part entière ?

Mme Catherine Deroche . - Lors de l'évaluation du texte de 2005, tout le monde s'est félicité des avancées. A l'époque, j'avais dit que les délais seraient difficiles à tenir. Certes, beaucoup de collectivités ont engagé des travaux, mais les élus locaux sont confrontés à des impossibilités techniques et à des normes qui défient le bon sens. Comment adapter les rues d'un village de charme ? Faut-il vraiment créer dans les stades des vestiaires pour les arbitres handicapés, qui seront utilisés au mieux une fois par an ? Le pragmatisme doit l'emporter.

M. Jean-Paul Amoudry . - A mon tour, je félicite notre rapporteure. La loi oblige les établissements touristiques à se conformer à de nouvelles normes d'accessibilité. Comment les hôtels installés dans des bâtiments historiques peuvent-ils satisfaire ces normes ? Sans adaptations réglementaires, nous courons à la catastrophe économique et sociale dans ce secteur d'activité. Les représentants de l'hôtellerie ont participé à la concertation nationale : prenons en compte leurs revendications, car ils doivent consentir un effort considérable sur les équipements.

Mme Isabelle Debré . - Je suis déçue que nous soyons forcés d'avancer à la va-vite, alors que nous avions tant travaillé sur notre rapport il y a deux ans. Que deviennent nos propositions ? Pourquoi légiférer par ordonnances alors qu'il fallait remettre à plat toutes les normes d'accessibilité ? Nous savions que le 1 er janvier 2015 serait intenable...

Mme Aline Archimbaud . - Il ne fallait pas voter la loi de 2005 !

Mme Isabelle Debré . - Relisez le compte-rendu de nos débats d'alors. Il est inexact de dire que la loi de 2005 n'a pas été suivie d'effets. Le Gouvernement souhaite publier les ordonnances avant l'été, avez-vous dit. Mais quel Gouvernement ? Celui de Jean-Marc Ayrault ou celui de Manuel Valls ? Qui va procéder aux contrôles ? Comment seront formés les contrôleurs ?

Mme Annie David, présidente . - Je ne reviens pas sur les délais : la conférence des présidents a fixé le cadre des débats.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteure . - Ce projet de loi ne comporte aucune nouvelle sanction, ni nouvelle contrainte. Demeurent celles de la loi de 2005, et rien que celles-là, comme l'a rappelé le Premier ministre lors de la conclusion de la concertation. Aujourd'hui, nous voulons éviter un échec qui aurait des conséquences catastrophiques pour les personnes handicapées. En outre, il est temps de prendre en compte le vieillissement de notre société : nos aînés doivent pouvoir continuer à vivre de façon autonome le plus longtemps possible.

La loi de 2005 fixait des objectifs ambitieux. Le délai de dix ans, alors, paraissait long. Des échéances intermédiaires avaient été prévues, 2008 pour les schémas départementaux d'accessibilité des transports, 2011 pour les universités et les services de l'Etat... Deux conférences nationales sur le handicap ont été tenues entre 2005 et 2011. Cependant, nous n'avons sans doute pas suffisamment accompagné les acteurs de terrain dans la mise en oeuvre de la loi.

Je rappelle que celle-ci prévoyait trois dérogations, qui hélas ne sont pas connues sur le terrain. Nous-mêmes, qui les avions votées, les avons presque oubliées ! Ces dispenses s'appliquent aux bâtiments relevant du patrimoine historique, aux cas d'impossibilité technique, et à ceux où la distorsion est trop importante entre la charge financière et le résultat. La dérogation doit être demandée à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) compétente, présidée par le préfet et associant, outre les services de l'Etat, les associations de personnes handicapées, les acteurs économiques, commerçants notamment. J'indique d'ailleurs que la représentativité de cette instance sera améliorée car y siègeront désormais les représentants des personnes âgées.

Aucun parlementaire n'apprécie la procédure des ordonnances. Mais celle-ci intervient à la suite d'un processus de concertation nationale sans précédent. Après les différentes étapes - notre rapport sénatorial en 2012, ma mission en 2013 - il était indispensable que l'ensemble des acteurs aient un temps d'écoute et d'échange. Il fallait comprendre l'attente des personnes handicapées, mais aussi les difficultés à faire des opérateurs publics et privés. La concertation a été la plus large possible, rassemblant hôteliers, restaurateurs, commerçants, professions libérales, collectivités, association des maires de France (AMF), assemblée des départements de France (ADF), association des régions de France (ARF), assemblée des communautés de France (ADCF), association des maires ruraux (ADMF)...

Nous avons veillé à l'égalité de traitement entre acteurs publics et privés : l'Etat a les mêmes responsabilités que le secteur privé et doit se montrer exemplaire. Les représentants de l'hôtellerie, de la restauration et du commerce ont pris une part active dans la concertation, affichant leur volontarisme et formulant de nombreuses propositions, même après la fin de la concertation. Les représentants des collectivités ont également été très constructifs. Nous étions à un tournant, car en 2015 les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 s'appliqueront et les premières condamnations interviendront ! Il faut aller vite. Le Gouvernement a choisi de préserver tout le contenu de la loi de 2005 et de chercher des solutions complémentaires pour accompagner les professionnels. Par exemple, la loi impose pour les allées des ERP existants une largeur de 1,40 mètre : cette obligation est maintenue pour les allées principales, non pour les allées secondaires. C'est un détail, mais il est essentiel, car cette norme peut entraîner une perte de chiffre d'affaires, alors qu'un fauteuil électrique passe sans encombre dans une allée un peu moins large.

Les règles relatives aux Pave seront précisément définies dans l'ordonnance. Les communes de 500 à 1000 habitants élaboreront un Pave limité aux sections reliant les pôles générateurs de déplacement dans la commune. Les communes de moins de 500 habitants auront la faculté, mais non l'obligation d'élaborer un tel plan. Nous avons gardé à l'esprit la situation des communes rurales. L'allègement, la simplification, la facilité à faire, tels sont les principes pragmatiques qui ont guidé notre travail.

S'agissant des SDA/Ad'AP, la possibilité de désigner une autorité chef de file est prévue. Bien sûr, je ne sous-estime pas la donne financière. Mais des aides de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que de la Banque publique d'investissement sont bien prévues. Des conventions vont être signées tout prochainement.

J'ai été auditionnée par la délégation aux collectivités territoriales il y a quelques mois. Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Vial sur les normes d'accessibilité n'ayant été présenté qu'hier après-midi, je n'ai pas eu le temps d'en prendre connaissance dans le détail.

Enfin, en tant que présidente de l'Obiaçu, je souhaite que cette institution dédiée à l'accessibilité universelle travaille désormais sur des sujets comme la recherche et l'innovation ou l'accompagnement des acteurs de terrain.

Le projet de loi est adopté sans modification.

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