EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. L'AGRICULTURE ET LA FORÊT AU CoeUR D'ATTENTES CONTRADICTOIRES.

A. RELEVER LE DÉFI ÉCONOMIQUE DANS UN CONTEXTE EUROPÉEN TRANSFORMÉ PAR LA RÉFORME DE LA PAC.

Avec près de 29 millions d'hectares de surface agricole utilisée (SAU) l'agriculture occupe en 2012 54 % du territoire de la France hexagonale 3 ( * ) . Avec plus de 13 millions d'hectares, les grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux, pommes de terre, cultures industrielles) n'ont cessé de progresser.

Mais la France est aussi un grand pays forestier : les sols boisés couvrent 31 % du territoire, ce qui place la France au troisième rang de l'Union européenne.

Première agriculture d'Europe, assurant environ 19 % de la production de l'ensemble des membres de l'Union européenne, l'agriculture française emploie presque un million d'actifs en équivalent temps plein, sans compter les emplois induits dans l'agroalimentaire et dans les services autour de l'agriculture. La filière forêt, représente pour sa part près de 500 000 emplois.

S'il subsiste des politiques agricoles nationales, la régulation publique du secteur relève toutefois largement du niveau européen : la PAC façonne depuis un demi-siècle l'agriculture française et chaque réforme de la PAC constitue un rendez-vous pour revoir les cadres nationaux applicables.

1. Une réforme de la PAC qui épargne l'agriculture française.
a) Des enveloppes budgétaires préservées.

Le processus de réforme de la PAC, lancé le 12 octobre 2011 à travers la présentation par la Commission européenne de quatre propositions de règlements, ne consiste pas seulement en un changement des règles du jeu. Chaque réforme est en réalité l'occasion de réviser les enveloppes budgétaires consacrées à l'agriculture européenne.

Servant principalement à payer les aides directes aux agriculteurs, ces enveloppes représentent encore aujourd'hui presque 40 % du budget total de l'Union européenne. Dans un contexte contraint pour les finances publiques de l'Union, la tentation est toujours grande de réduire fortement les crédits européens de la PAC.

La négociation sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 a été rude, mais a finalement aboutit à une réduction de moins de 10 % de l'enveloppe totale de la rubrique 2, passant de 420,7 milliards d'euros sur 2007-2013 à 382,9 milliards d'euros pour la période 2014-2020 (en euros valeur 2011).

Dans leur rapport sur la réforme de la PAC, nos collègues Mme Renée Nicoux et M. Gérard César 4 ( * ) notaient que « l'agriculture française ne sort en réalité pas trop pénalisée des arbitrages budgétaires européens ».

Au final, pour la France, la baisse de l'enveloppe du premier pilier, d'environ 5 %, est partiellement compensée par une rallonge d'un milliard d'euros sur sept ans sur le deuxième pilier, qui conduira notre pays à bénéficier d'une enveloppe globale pour la PAC quasiment identique à la précédente.

Pour la période 2014-2020, les dotations s'élèvent à 9,1 milliards d'euros par an, dont 7,7 milliards d'euros sur le premier pilier et 1,4 milliards d'euros sur le deuxième pilier.

b) Un cadre réglementaire rénové : convergence et verdissement.

Si les enveloppes globales ne sont pas fortement affectées, le mode de distribution des aides va être profondément remanié.

La réforme de la PAC est marquée par une volonté d'équité plus grande. Elle programme la fin des références historiques dans le calcul des aides directes, pour aboutir à une convergence des aides à l'hectare à l'horizon 2020 au sein de chaque Etat membre. La France a cependant choisi de faire jouer les amortisseurs prévus dans la réglementation européenne pour atténuer la brutalité de la réforme, en visant une convergence partielle des droits à paiement de base, allant jusqu'à 70 % de la moyenne. Par ailleurs, les agriculteurs bénéficieront d'une clause de sauvegarde qui plafonne la perte à 30 % par rapport à la situation actuelle.

La principale innovation de la réforme de la PAC réside dans le verdissement des aides directes . La règlementation européenne retient trois critères cumulatifs : le non-retournement des prairies permanentes, la diversité des assolements et le maintien ou la création sur l'exploitation de surfaces d'intérêt écologique. Le respect de ces conditions est nécessaire pour avoir accès aux droits à paiement liés au verdissement, qui doivent représenter 30 % de l'enveloppe totale des droits à paiement.

Enfin, la réforme de la PAC est marquée par de grandes flexibilités laissées aux États membres . Ceux-ci pourront utiliser jusqu'à 13 % de l'enveloppe des droits à paiement pour financer des aides couplées, ce pourcentage pouvant être augmenté de deux points pour ajouter des aides couplés aux cultures fourragères. De même, les États membres pourront mettre en place une bonification des aides, dans le cadre d'un paiement redistributif pour les premiers hectares. Ils pourront aussi basculer une partie des moyens d'un pilier vers un autre et disposent comme auparavant d'importantes marges de manoeuvre sur la politique de développement rural mise en oeuvre dans le cadre du deuxième pilier.

c) Les choix français de mise en oeuvre au profit de l'élevage et des petites exploitations.

La France a choisi de faire jouer à plein les mécanismes de la nouvelle PAC , en poursuivant cinq objectifs :

- soutenir l'élevage ;

- accompagner l'agriculture dans les territoires fragiles ;

- accompagner la modernisation des exploitations et l'installation des nouveaux agriculteurs ;

- favoriser la transition écologique ;

- mieux répartir les aides.

Suites aux annonces du Président de la République faites le 2 octobre 2013 lors du sommet de l'élevage de Cournon d'Auvergne, le CSO du 17 décembre 2013 a validé les principaux axes concernant l'application en France de la future PAC, à compter de 2015 :

- Utiliser au maximum la possibilité de couplage des aides , ce qui se traduira par le maintien des aides couplées actuelles, notamment la prime au maintien du troupeau de vache allaitante (PMTVA) et des autres aides au secteur animal, pour 675 millions d'euros par an, et la mise en place d'une aide couplée laitière pour 140 millions d'euros par an.

- Distribuer un bonus d'aide aux 52 premiers hectares des exploitations agricoles : l'enveloppe consacrée à cette mesure sera de 5 % de l'enveloppe totale des droits à paiement de base en 2015, 10 % en 2016 et atteindra 20 % en 2018.

- Renforcer les moyens consacrés à l'installation des jeunes agriculteurs , en prenant à la fois sur le premier et sur le deuxième pilier, à hauteur de 100 millions d'euros par an.

- Revaloriser et simplifier le soutien à l'agriculture des zones défavorisées à travers l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), qui intégrera la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) : le budget consacré à cette mesure représentera 1,1 milliards d'euros en 2020.

- Développer les instruments de gestion des risques , en prélevant les moyens qui y sont consacrés sur le premier pilier.

- Doubler le budget consacré aux mesures agro-environnementales et au développement de l'agriculture biologique .

En outre, la mise en place d'un plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles concernant en particulier les bâtiments d'élevage, doté de 200 millions d'euros par an, a été annoncée. Au final, la volonté des pouvoirs publics est de ne pas faire de la PAC une politique passive mais de la mettre au service d'un modèle agricole fait d'exploitations familiales, diversifiées, réparties sur le territoire .

Les choix nationaux dans la mise en oeuvre de la PAC traduisent l'impératif de préserver l'élevage, maillon faible de notre agriculture. Au total, l'ensemble des mesures annoncées devraient conduire à un transfert d'environ 1 milliard d'euros par an vers les productions animales, ce qui est considérable .

2. Le défi de la performance économique au coeur des préoccupations des exploitants agricoles.
a) La viabilité des exploitations, condition de leur pérennité.

L'orientation des politiques agricoles vers les marchés oblige les agriculteurs à répondre aux conditions que leur imposent ceux-ci, et notamment aux conditions de prix.

La politique agricole se déploie désormais dans un univers extrêmement concurrentiel, la concurrence venant des pays tiers mais également des pays de l'Union européenne. Fruits et légumes, lait, viande, céréales, vin : aucun secteur n'échappe à la pression concurrentielle.

Certes, les coûts de production ne sont pas le seul facteur à prendre en compte. Le développement de productions sous signe d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) montre qu'une différenciation des produits est demandée par le consommateur et permet d'échapper à la stratégie unique de baisse des prix. L'alimentation reste cependant trop souvent la variable d'ajustement des budgets des ménages et la baisse tendancielle de la part de l'alimentation dans le panier du consommateur constitue une tendance lourde.

Il convient donc de développer les productions à forte valorisation comme les productions biologiques ainsi que les autres produits sous signe de qualité, et de rechercher des modes de commercialisation qui favorisent le revenu des agriculteurs comme les circuits courts et les ventes directes à la ferme, y compris de produits fermiers transformés. Mais il est également indispensable d'assurer des conditions de production viables à moyen terme, en maîtrisant les coûts de production pour faire face à la concurrence mondiale .

Les subventions d'exploitation apportées par la PAC et les autres aides publiques ne représentent en effet que 11 % des recettes des exploitations agricoles. C'est donc le marché qui apporte les 89 % restant. Répondre aux demandes du marché et faire face à la pression concurrentielle est une condition de survie de notre agriculture.

b) S'adapter à la volatilité et aux risques climatiques.

Devant relever le défi du marché, l'agriculture doit aussi faire face à la recrudescence d'évènements climatiques, et à une volatilité croissante.

Dans son rapport sur la volatilité des prix agricoles 5 ( * ) , notre collègue M. Marcel Deneux notait que la volatilité, caractéristique structurelle des marchés agricoles, était aujourd'hui amplifiée par la financiarisation de l'économie. Le rapport de l'OCDE et de la FAO sur les perspectives agricoles 2013-2022 fait le même constat : des phénomènes comme la sécheresse de 2012 peuvent avoir des effets considérables sur les équilibres des marchés agricoles.

Face aux risques d'évènements climatiques, les agriculteurs sont incités à s'assurer. Ils doivent aussi mettre en oeuvre des mesures de prévention, choisir des stratégies de diversification qui accroissent la résilience de l'appareil de production. Un agriculteur qui ne se couvre pas contre les risques est exposé à un risque de perte totale de revenus, ce qui peut entraîner la mort économique de l'exploitation.

La France dispose d'atouts considérables, grâce à un climat tempéré et une production diversifiée. Les risques sont ainsi répartis, mais pas inexistants, comme l'ont montré localement des évènements climatiques de l'été 2013, qui ont détruit totalement de nombreuses parcelles de vignoble dans le bordelais.

c) Une agriculture en lien avec l'agroalimentaire.

Enfin, l'agriculture ne peut pas se désintéresser de l'aval des productions. Le regroupement des agriculteurs paraît indispensable pour assurer un dialogue d'égal à égal avec les acteurs économiques qui assurent le débouché des productions agricoles. Ce regroupement peut s'opérer dans des structures que les agriculteurs maîtrisent pleinement : les coopératives. Mais le négoce agricole reste aussi bien présent et, face à un aval concentré, il s'agit de mettre en place des mécanismes contractuels et de permettre le regroupement des agriculteurs en organisations de producteurs assurant une certaine régulation.

La réforme de la PAC permet d'ailleurs dans l'ensemble des secteurs de la production agricole un regroupement plus large des producteurs, à l'instar de ce qui avait été mis en place dans le cadre du « paquet lait ». Elle encourage également la structuration des filières agricoles à travers les interprofessions.

La transformation des produits agricoles est le débouché naturel des productions agricoles. La force de l'agriculture française fait celle de l'agro-alimentaire et réciproquement . Les outils de transformation sont souvent localisés à proximité des outils de production et irriguent le tissu économique des territoires . L'industrie agro-alimentaire au sens strict, hors commerces de détail (boulangerie-pâtisserie, charcuterie), représente 13 500 entreprises et 420 000 salariés directs. Plus de 40 % de l'activité provient du secteur de la viande ou du lait. Le secteur agroalimentaire français est au deuxième rang européen, et constitue l'un des socles de l'économie nationale.

L'enjeu de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est aussi de mieux organiser ce lien entre amont et aval de la production agricole, pour conforter un fleuron industriel.


* 3 Source : Graphagri 2013.

* 4 Rapport n° 573 (2012-2013) du 15 mai 2013 sur la proposition de résolution européenne sur la réforme de la PAC.

* 5 Rapport n° 623 (2010-2011) du 15 juin 2011 sur la proposition de résolution européenne sur la volatilité des prix agricoles.

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