N° 275

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 janvier 2014

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (1), sur la proposition de loi de Mme Mireille SCHURCH et plusieurs de ses collègues, relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d' autoroutes et à l' affectation des dividendes à l' agence de financement des infrastructures de transports ,

Par Mme Évelyne DIDIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Raymond Vall , président ; MM. Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, MM. Jean-Jacques Filleul, Alain Houpert, Hervé Maurey, Rémy Pointereau, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, M. Michel Teston , vice-présidents ; MM. Pierre Camani, Jacques Cornano, Louis Nègre , secrétaires ; MM. Joël Billard, Jean Bizet, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Philippe Darniche, Marcel Deneux, Michel Doublet, Philippe Esnol, Jean-Luc Fichet, Alain Fouché, Mme Marie-Françoise Gaouyer, M. Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Daniel Laurent, Mme Hélène Masson-Maret, MM. Jean-François Mayet, Stéphane Mazars, Robert Navarro, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Henri Tandonnet, André Vairetto, Paul Vergès .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

59 (2011-2012) et 276 2013-2014)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La loi du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes a autorisé l'Etat à concéder la construction et l'exploitation des autoroutes à des personnes publiques ou à des sociétés d'économie mixte dans lesquelles les intérêts publics étaient majoritaires. La Société de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur-Alpes (ESCOTA), créée en 1956, fut la première d'entre elles. La Société des autoroutes du sud de la France (ASF), la Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) et la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (SANEF) ont vu le jour respectivement en 1957, 1961 et 1963.

Par la suite, le décret n° 70-398 du 12 mai 1970 a permis à l'Etat de confier cette mission à des personnes privées, conduisant à la création, dans un premier temps, de la Compagnie financière et industrielle des autoroutes (COFIROUTE).

Depuis les années 2000, de nouveaux concessionnaires sont apparus. Ils exploitent un réseau moins étendu et parfois moins rentable que les premières sociétés concessionnaires. Il s'agit des sociétés A'LIENOR 1 ( * ) , ALIS 2 ( * ) , ARCOUR 3 ( * ) , ALICORNE 4 ( * ) , ADELAC 5 ( * ) , CEVM 6 ( * ) , ATLANDES 7 ( * ) et ALBEA 8 ( * ) .

En parallèle, le capital des sociétés d'économie mixte créées au tournant des années 1960 a été ouvert à des capitaux privés, ce qui a réduit le niveau de la participation de l'Etat. En 2005, le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de céder les participations de l'Etat dans les groupes ASF, APRR et la SANEF.

Sept concessionnaires privés exploitent désormais un réseau dense, de 8 216 kilomètres au 1 er janvier 2013. Ils représentent 95 % du chiffre d'affaires du secteur et se répartissent entre le groupe VINCI, qui rassemble ASF, ESCOTA et COFIROUTE, le groupe APRR, composé d'APRR et de la Société des autoroutes Rhône-Alpes (AREA), et le groupe SANEF, incluant SANEF et la Société des autoroutes Paris Normandie (SAPN).

Le paysage autoroutier se compose donc essentiellement de sociétés privées 9 ( * ) . Seuls deux des dix-neuf concessionnaires que compte le réseau demeurent majoritairement publics, les sociétés « tunnelières » Autoroute et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) et la Société Française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF).

La présente proposition de loi prévoit la nationalisation de l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes privées. Ce faisant, elle vise à revenir sur la faute politique majeure commise en 2005, lorsque les sociétés concessionnaires historiques ont été privatisées, alors même que les dividendes qu'elles rapportaient à l'Etat devaient abonder les caisses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) qui venait tout juste d'être créée. Cette faute grave est la marque d'une grande incohérence et d'une vision de court terme dans la politique des transports.

Le choix de la nationalisation a pour objet d'inscrire la politique des transports dans une vision de long terme en lui assurant un financement pérenne. Il s'agit aussi de mettre un frein à la hausse continue des péages autoroutiers, régulièrement dénoncée par les usagers comme par la Cour des comptes.

Lors de sa réunion du 14 janvier 2014, votre commission a largement partagé le diagnostic réalisé par votre rapporteure, tant en ce qui concerne les modalités de la cession des participations de l'Etat décidée en 2005, que les inquiétudes relatives au financement de l'AFITF ou à la hausse continue des péages. Elle a toutefois exprimé de fortes réserves sur la solution préconisée par la proposition de loi, celle d'une nationalisation de toutes les sociétés concessionnaires d'autoroutes financée par une hausse de l'impôt sur les sociétés. C'est la raison pour laquelle, au terme d'un large débat, votre commission n'a pas adopté cette proposition de loi.

I. LA CESSION DES PARTICIPATIONS DE L'ETAT DANS LES SOCIÉTÉS CONCESSIONNAIRES D'AUTOROUTES EN 2005 : UNE DÉCISION INCOHÉRENTE ET DE COURT TERME

A. UNE POLITIQUE DES TRANSPORTS INCOHÉRENTE

1. La création de l'AFITF en novembre 2004 : une bonne nouvelle pour la politique des transports...

L'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) a été créée par le décret n° 2004-1317 du 26 novembre 2004, à la suite du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, afin de porter la part de l'Etat dans le financement des grands projets d'infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes et routières.

Cet établissement public à caractère administratif devait bénéficier de plusieurs sources de financement :

- des dotations de l'Etat ;

- du produit de la redevance domaniale versée par l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes, publiques ou privées, en raison de l'occupation du domaine public ;

- du produit des participations détenues par l'Etat et son établissement public Autoroutes de France (ADF) dans le capital des trois groupes de sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes : Autoroutes du Sud de la France (ASF), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et la Société des Autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF).

Cette dernière recette devait constituer la principale ressource de l'agence. Son montant était de 332 millions d'euros en 2005 10 ( * ) et devait augmenter de façon significative les années suivantes. Le réseau autoroutier étant alors quasiment achevé, les recettes des sociétés étaient amenées à être de moins en moins grevées par l'amortissement de nouveaux investissements. En outre, une tendance à l'augmentation du trafic avait été constatée. Les importants bénéfices dégagés par ces sociétés au premier semestre 2006 ont confirmé cette analyse.

La création de l'AFITF et l'affectation de ces ressources devait ainsi répondre à une logique de fléchage durable de crédits au financement des infrastructures de transport. Cette mesure allait dans le sens d'une clarification comme d'une meilleure programmation de l'action publique, dans un domaine où les investissements sont cruciaux. Elle mettait aussi en exergue l'importance d'inscrire la politique des transports dans une perspective de développement durable, avec un objectif de report modal.

2. ... contrecarrée par la décision du Premier ministre de juin 2005

En parallèle de la création de l'AFITF, le CIADT du 18 décembre 2003 avait décidé l'augmentation de capital, par apport de capitaux privés, des sociétés SANEF et APRR « afin d'optimiser le montant des dividendes versés par ces sociétés 11 ( * ) ». Cette décision s'est traduite par la mise sur le marché de 26 % du capital de la SANEF et de 30 % du capital d'APRR, intervenant après une première mise sur le marché de 49 % du capital d'ASF en 2002.

Or, dans sa déclaration de politique générale du 8 juin 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin a annoncé sa décision de poursuivre la cession des participations de l'Etat dans les sociétés d'autoroutes « afin de financer [les grands travaux d'infrastructures] et de leur permettre de souscrire aux appels d'offre européens » , privant ainsi l'Etat de ces dividendes.

Dans un rapport d'information sur « la valorisation du patrimoine autoroutier 12 ( * ) », le député Hervé Mariton a appuyé cette décision qui répondait à ses yeux à un triple objectif : éviter toute confusion entre les rôles de l'Etat, à la fois régulateur et détenteur de patrimoine ; mobiliser des moyens pour les infrastructures de transport ; favoriser le développement du projet industriel des entreprises concessionnaires, par une diversification de leurs activités en France et leur développement sur les marchés étrangers.

Le 18 juillet 2005, la procédure d'appel à candidatures a été lancée par un cahier des charges organisant le processus de privatisation et définissant les conditions de cession. Elle s'est achevée en décembre 2005 avec la désignation des acquéreurs : VINCI pour ASF, un consortium formé par Eiffage et Macquarie Infrastructure Group, un fonds d'investissement australien spécialisé dans les infrastructures autoroutières, pour APRR, et un consortium formé par Albertis, le premier groupe espagnol de gestion d'infrastructures de transport, AXA, la Caisse des dépôts et consignations, CNP Assurances et la Financière et Foncière de participations pour la SANEF. La cession effective des participations de l'État et d'ADF dans les trois sociétés a été réalisée en février et mars 2006, pour un montant total de 14,8 milliards d'euros.


* 1 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 63 entre Langon et Pau.

* 2 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 28 entre Rouen et Alençon.

* 3 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 19 entre Artenay et Courtenay.

* 4 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 88 entre Falaise ouest et Sées.

* 5 Autoroute des lacs (Annecy-Genève).

* 6 Compagnie Eiffage du Viaduc de Millau.

* 7 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 63 entre Salles et Saint-Geours-de-Maremne.

* 8 Chargée de la construction et de l'exploitation de l'A 150 entre Barentin et Écalles-Alix.

* 9 Cf. annexe : « Réseau et recettes de péages des sociétés concessionnaires d'autoroutes ».

* 10 Source : AFITF.

* 11 Rapport 2004 de l'Agence des participations de l'Etat (APE).

* 12 Rapport d'information n° 2407 sur la valorisation du patrimoine autoroutier présenté par Hervé Mariton au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, 2004-2005.

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