EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'article 8 du traité signé à Maastricht le 7 février 1992 reconnaissait à tout ressortissant d'un État membre de l'Union européenne la citoyenneté européenne. Pour donner corps à cette reconnaissance, ce traité imposait aux États membres d'ouvrir aux ressortissants communautaires non nationaux résidant sur leur territoire le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales 1 ( * ) et aux élections européennes dans les mêmes conditions que leurs propres ressortissants.
S'agissant de l'élection des représentants au Parlement européen, les modalités de mise en oeuvre de ce droit ont été déterminées par la directive 93/109/CE du 6 décembre 1993 adoptée par le Conseil sur proposition du Parlement européen. Cette directive a été transposée en France par la loi n° 94-104 du 5 février 1994 qui venait modifier la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.
Alors rapporteur du texte au nom de votre commission, notre ancien collègue Pierre Fauchon relevait que le législateur, pour la première fois, allait « permettre à des non-nationaux de participer en France à des élections politiques », y voyant « la première manifestation tangible de cette « citoyenneté de l'Union » instituée par le Traité de Maastricht ». Ce faisant, la loi consacrait ainsi une citoyenneté de résidence.
Depuis les élections européennes de 1994, tout ressortissant d'un État membre de l'Union européenne peut donc voter et être candidat pour l'élection des représentants au Parlement européen, y compris dans un État membre dont il n'aurait pas la nationalité. Cette avancée marque ainsi, après la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, une seconde étape dans l' approfondissement démocratique de la construction européenne .
Cette avancée n'a cependant pas abouti à la « procédure uniforme » pour l'élection des membres du Parlement européen que le traité de Rome avait pourtant appelé de ses voeux.
Un socle minimal de règles applicables aux élections européennes Dès sa signature à Rome le 25 mars 1957, le traité instituant une communauté européenne économique prévoyait, en son article 138, qu'il reviendrait au Conseil statuant à l'unanimité, sur proposition du Parlement européen, d'arrêter « une procédure uniforme dans tous les États membres » pour l'élection des membres du Parlement européen. Cependant, cette procédure n'a jamais abouti. Longtemps opposée à l'élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, la France s'est finalement ralliée à cette solution lors du sommet de Paris de 1974 en raison du renforcement croissant des pouvoirs du Parlement européen qui rendait indispensable de lui accorder une légitimité démocratique. Au terme de plusieurs mois de négociations, l'acte du 20 septembre 1976 fixait, sans répondre totalement à l'exigence d'une procédure uniforme posée par le traité fondateur, les règles minimales d'une élection des membres du Parlement européen par les citoyens européens eux-mêmes, mettant ainsi fin à un système de désignation par les parlements nationaux. L'acte de 1976, transposé en droit français par la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977, fixe ainsi la durée du mandat à cinq ans et les règles d'organisation du scrutin imposées aux États membres. Il imposait ainsi des élections libres au suffrage universel direct assurant l'égalité et le secret du vote. Prenant acte de l'absence de « procédure uniforme » selon les termes du traité de Rome, le traité signé à Amsterdam signé le 2 octobre 1997 entérinait un régime électoral pour les membres du Parlement européen simplement fondé sur une coordination des règles nationales en vigueur. Deux décisions du Conseil adoptées, sur proposition du Parlement européen, les 25 juin et 23 septembre 2002, renforcent ainsi le socle de règles européennes s'imposant aux États membres pour la détermination des règles d'élection de ses représentants au Parlement européen. Il en est ainsi de l'obligation d'instaurer un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, ce qui rejoignait à l'époque un état de fait, le Royaume-Uni, seul État ayant pratiqué le scrutin majoritaire, l'ayant abandonné dès 1999. En revanche, à ce jour, ne sont définis au niveau européen ni la date commune d'organisation de l'élection, ni le nombre maximal de tours de scrutin pouvant être organisés, ni les modalités de fixation du nombre et des limites des circonscriptions d'élection, ni les règles en matière de financement de la campagne électorale, ni l'âge minimal pour voter 2 ( * ) ou déposer sa candidature. De même, contrairement au souhait du Parlement européen exprimé en 2002, l'ensemble des membres du Parlement européen est élu dans le cadre des États membres sans que des sièges ne soient attribués de manière transnationale. Chaque État membre dispose donc d'une liberté certaine dans la mise en oeuvre des règles applicables à l'élection de ses représentants au Parlement européen. En témoigne la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 qui a remplacé, en France, l'élection au sein d'une circonscription unique par une élection dans le cadre de huit circonscriptions régionales. À cet égard, la proposition de loi, déposée par nos collègues du groupe RDSE le 20 mai 2009 et adoptée par le Sénat le 23 juin 2010 qui visait à rétablir une circonscription nationale a été rejetée par l'Assemblée nationale le 28 mars 2013. L'État membre détermine également les titulaires du droit de vote et d'éligibilité à cette élection, sous réserve de respecter le principe d'égalité entre les électeurs 3 ( * ) . Il existe ainsi des différences entre ressortissants des États membres expatriés, certains États comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni privant leurs ressortissants résidant à l'étranger de leur droit de vote tandis que d'autres États comme la France ou la Pologne l'admettent. En effet, après avoir privé les Français établis hors de l'Union européenne du droit de vote et d'éligibilité à cette élection, la loi n° 2011-575 du 26 mai 2011 a rattaché l'ensemble des Français établis hors de France à la circonscription d'Ile-de-France, mettant ainsi fin à une inégalité entre ressortissants français. Cependant, elle a ouvert aux Français établis hors de France résidant au sein de l'Union européenne une double faculté de vote et d'éligibilité, à la fois dans leur État de résidence et en France. Ce dispositif peut aboutir à une situation paradoxale où, comme en Belgique, un français expatrié est soumis au caractère obligatoire du vote, ce qui le conduit à voter dans son État de résidence, alors qu'il pourrait, en vertu de la loi française, choisir de voter auprès de son ambassade ou de son consulat pour les représentants au Parlement européen au titre de la France. |
• Une égalité des droits entre électeurs français et électeurs ressortissants d'autres États membres de l'Union européenne
Traduisant ce principe d'égalité ente citoyens européens, l'article 2-1 de la loi du 7 juillet 1977 énonce depuis 1994 que « les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne autre que la France résidant sur le territoire français peuvent participer à l'élection des représentants de la France au Parlement européen dans les mêmes conditions que les électeurs français » dès lors qu'ils « y ont leur domicile réel ou si leur résidence y a un caractère continu ».
Les électeurs non nationaux sont ainsi inscrits sur la liste électorale complémentaire , ce qui leur ouvre la possibilité de voter le jour du scrutin auprès du bureau de vote. Lorsqu'ils souhaitent se présenter à l'élection des représentants au Parlement européen, ces mêmes électeurs doivent satisfaire aux conditions d'éligibilité de l'État de résidence mais également jouir de leur droit d'éligibilité dans leur État d'origine, comme le prévoit l'article 5 de la loi du 7 juillet 1977 dans sa rédaction résultant de la loi n° 94-104 du 5 février 1994.
Afin de respecter l'égalité de suffrage des électeurs, le vote multiple est prohibé et sanctionné, en France, par une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement et une amende de 15 000 euros. Ainsi, tout ressortissant non national ayant décidé de voter en France ne peut voter au sein d'un autre État membre. De même, tout électeur français établi hors de France au sein de l'Union européenne ne peut voter simultanément auprès de son ambassade ou poste consulaire et dans son pays de résidence. Pour prévenir toute tentative de vote multiple, la France est tenue, en vertu de l'article 2-5 de la loi du 7 juillet 1977, de communiquer aux autres États membres, depuis les élections de 1994, l'identité des électeurs inscrits sur la liste électorale complémentaire.
Dans la même logique, l'article 5-1 de la loi du 7 juillet 1977 interdit à une personne éligible pour l'élection des représentants au Parlement européen de se présenter en France s'il est candidat au sein d'un autre État membre. Un candidat élu en France et dans un autre État membre est alors, selon l'article 5-2 de la même loi, déchu de son mandat acquis en France par décret.
• Les modalités actuelles de candidature pour les candidats non français
Ce principe d'équivalence posé, les électeurs non nationaux restent soumis à des modalités particulières pour présenter une candidature. Ils doivent ainsi déposer, en sus de la déclaration collective de candidatures, une déclaration particulière de nature à mettre l'État de résidence en mesure d'apprécier ou non leur éligibilité. À ce titre, tout candidat non français doit produire une « attestation des autorités compétentes de l'État dont il a la nationalité certifiant qu'il n'est pas déchu du droit d'éligibilité dans cet État ou qu'une telle déchéance n'est pas connue desdites autorités ».
Si, en 2009, quinze candidats se sont présentés en France sans posséder la nationalité française, aucune difficulté particulière n'a été notée par le ministère de l'Intérieur selon les indications données par ses représentants lors de leur audition par votre rapporteur. En revanche, lors des élections européennes de 2004, des situations problématiques étaient apparues. La presse s'était ainsi fait l'écho de la situation de Mme Isabel Welter, ressortissante luxembourgeoise, et de Mme Maria-Cristina Soler, ressortissante italienne, qui, s'étant vues opposées une fin de non-recevoir lorsqu'elles avaient présenté des documents émanant des villes de Luxembourg et de Rome auprès desquelles elles étaient anciennement inscrites dans leur État d'origine, avaient dû finalement produire des attestations de leurs consulats respectifs certifiant la validité de ces documents municipaux alors même que dans leur État d'origine, ces attestations consulaires étaient « sans valeur juridique pour l'Italie et le Luxembourg » 4 ( * ) .
Sur le plan contentieux, le Conseil d'État avait également été conduit, à l'initiative du ministre de l'Intérieur, à connaître de la candidature de quatre ressortissants d'autres États membres de l'Union européenne. Le juge avait alors admis que ne remplissait pas les conditions légales la liste dont l'un des candidats, de nationalité néerlandaise, avait joint « une simple photocopie de sa carte électorale », dont un autre, de nationalité italienne, n'avait produit qu'une « attestation de la commune de Rome certifiant qu'il est électeur en Italie mais résident à l'étranger et une attestation sur l'honneur rédigée par ses soins » et dont les deux derniers, de nationalité britannique, avaient simplement déposé des attestations qui, « émanant du consulat britannique à Nice, se born[ai]ent à affirmer qu'il n'existe pas de casier judiciaire au Royaume Uni » 5 ( * ) .
• La directive européenne à l'issue des négociations entre États membres
La procédure pouvait donc décourager les candidats non nationaux de figurer sur une liste. Constatant que seuls 81 candidats s'étaient présentés dans leur État de résidence à l'élection des représentants du Parlement européen, la Commission européenne, dans sa communication du 12 mars 2013, « constatait que les citoyens de l'Union souhaitant se porter candidats aux élections européennes dans un État membre où ils se sont installés doivent remplir des formalités administratives onéreuses et pesantes », ce qui l'avait conduit à « réengager des négociations sur une modification de la directive 93/109/CE afin de simplifier les procédures que les citoyens de l'Union doivent suivre pour se porter candidats ».
Ces négociations ont abouti à l'adoption le 20 décembre 2012 de la directive 2013/1/UE qui, modifiant la directive 93/109/CE, vise à faciliter la candidature aux élections européennes dans l'État de résidence de citoyens qui ne disposeraient pas de la nationalité de cet État. En conséquence, les candidats ne seraient plus tenus de prouver qu'ils ne sont pas déchus de leur droit d'éligibilité dans leur État d'origine, l'État de résidence devant désormais s'assurer du respect de cette condition auprès de son homologue.
Par sa résolution du 4 juillet 2013 sur l'amélioration des modalités pratiques d'organisation des élections européennes de 2014, le Parlement européen recommande ainsi aux États membres de « faire le nécessaire afin de mettre en oeuvre efficacement les mesures convenues pour porter assistance aux citoyens qui souhaitent exercer leur droit de vote et d'éligibilité dans les États membres dont ils ne sont pas ressortissants ».
La France dispose ainsi jusqu'au 28 janvier 2014 pour mettre en conformité le droit national, ce qui appelle de sa part des modifications législatives et la publication d'un décret d'application.
• Une proposition de transposition fidèle en droit interne
Déposé le 11 septembre 2013 sur le bureau de l'Assemblée nationale avec engagement de la procédure accélérée, ce projet de loi assure cette transposition. Il propose de modifier les modalités spécifiques de déclaration de candidature des candidats non français .
Supprimant la production d'une attestation délivrée par l'État d'origine garantissant l'éligibilité dans cet État du candidat ( article 2 ), ce projet de loi met en place une procédure d'échange d'informations entre l'État d'origine et de résidence ( article 4 ). En cas d'inéligibilité dans l'État d'origine, le ministre de l'intérieur écarterait de lui-même, au stade de la candidature, le candidat concerné ( article 7 ). Dans ce cas, le candidat serait remplacé sur la liste si le délai limite de dépôt des candidatures n'est pas dépassé ( article 7 ) ou, s'il est déjà élu, le candidat serait déchu de son mandat par décret ( article 1er ). Pour permettre l'échange d'informations et le contrôle par le ministre de l'intérieur, le délai limite de dépôt des candidatures est avancé d'une semaine ( article 3 ) et le délai maximal de délivrance du récépissé définitif de dépôt est allongé de deux jours ( article 6 ).
Applicables dès la prochaine élection des représentants du Parlement européen en mai 2014, ces modifications sont étendues pour l'ensemble des circonscriptions du territoire national ( article 8 ).
Réciproquement, la transposition de la directive du 20 décembre 2012 devrait ouvrir aux citoyens français résidant dans un autre État de l'Union européenne les mêmes facilités pour déposer, dans cet État, sa candidature au Parlement européen 6 ( * ) . En revanche, comme pour la participation des citoyens européens aux élections municipales, seul les institutions de l'Union européenne sont en mesure d'apprécier la réciprocité entre États membres des modalités du droit de vote et d'éligibilité accordé aux ressortissants des autres États membres. Ainsi, l'absence d'une telle réciprocité ne pourrait être sanctionnée que par un recours en manquement contre l'État membre et non par la suspension unilatérale de ce droit par un État aux ressortissants d'un autre État au motif que ce dernier État ne reconnaît pas sur son territoire le même droit aux ressortissants du premier État.
Sous réserve de deux modifications, l'Assemblée nationale l'a adopté le 31 octobre 2013 à l'unanimité. En effet, à l'initiative de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale a souhaité, d'une part, étendre aux ressortissants français la possibilité d'une déchéance par décret de leur mandat de député européen dans l'hypothèse où leur inéligibilité aurait préexisté au scrutin tout en étant révélé postérieurement à l'élection et, d'autre part, explicitement faire figurer, au sein de la loi, le délai accordé à l'État d'origine pour répondre à la demande des autorités françaises afin de vérifier l'éligibilité de ce candidat.
Saisie de ce projet de loi, votre commission a approuvé ce transfert de formalités administratives actuellement à la charge du candidat non français vers l'État de résidence qui, en contrepartie, disposerait des moyens juridiques nécessaires pour sanctionner à tout moment l'absence de la condition d'éligibilité au sein de l'État d'origine de ce candidat.
Marquant une nouvelle étape dans l'intégration de la citoyenneté européenne , ce projet de loi, outre qu'il résulte directement des engagements internationaux auxquels le Parlement ne peut se soustraire, devrait faciliter et favoriser les candidatures de ressortissants européens non nationaux dans leur pays de résidence. C'est pourquoi, à l'invitation de son rapporteur, votre commission l'a approuvé sans modification.
Cette réforme conduit ainsi à un rapprochement des formalités requises pour les élections européennes et municipales, s'agissant de la présentation d'une candidature par un candidat non national. En effet, l'article L.O. 265-1 du code électoral prévoit que lorsqu'une liste pour les élections municipales comporte un candidat non national, seul est exigée la production d'une déclaration certifiant qu'il n'est pas déchu du droit d'éligibilité dans son État membre, la présentation d'une attestation de l'État membre d'origine n'étant requise qu'en cas de doute. D'ailleurs, dans son rapport d'application en 2012 de la directive applicable au droit de vote et d'éligibilité des citoyens européens aux élections locales dans un autre État membre, la Commission européenne jugeait « non conforme à la directive toute législation nationale imposant systématiquement de remettre un certificat délivré par l'État membre d'origine attestant que le citoyen n'a pas été déchu de son droit d'éligibilité ».
Votre rapporteur souligne cependant que, comme les représentants du ministère de l'Intérieur l'ont indiqué lors de leur audition, il subsiste deux listes électorales complémentaires pour l'inscription des électeurs non français : l'une pour l'élection des conseils municipaux, l'autre pour l'élection des représentants du Parlement européen. Cette situation aboutit à ce qu'un citoyen européen non français souhaitant voter pour l'ensemble des élections auxquelles il peut participer en France doit solliciter deux inscriptions concomitantes. Pour votre rapporteur, il devrait être sérieusement envisagé à l'occasion d'une prochaine réforme de supprimer cette dualité de liste qui, loin de l'objectif initial, ne favorise pas la participation de ces électeurs.
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Votre commission a adopté le projet de loi sans modification.
* 1 A la suite de la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, la directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité, a été transposée par la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 ayant créé les articles L.O 227-1 à L.O. 227-5 du code électoral.
* 2 Cet âge minimal pour voter est fixé à 18 ans dans l'ensemble des États membres sauf en Autriche où il est fixé à 16 ans.
* 3 CJCE, 12 septembre 2006, C-145/04 et C-300/04
* 4 Article de Mme Christiane Chombeau du 8 juin 2004, Le Monde.
* 5 CE, 31 mai 2004, n° 268144
* 6 Au 13 novembre 2013, la Finlande, les Pays-Bas et l'Irlande ont notifié à la Commission européenne des mesures de transposition.