C. LE VOLET RELATIF À L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE DU TRANSPORT DE VOYAGEURS
90 % des transports ferroviaires de voyageurs de l'Union sont effectués sous la forme de contrats de service public . Ils couvrent, pour la plupart, des services locaux et régionaux, ainsi que plusieurs services de longue distance. Ils peuvent être attribués directement ou après une procédure de mise en concurrence.
Partant du constat que 47 % des voyageurs-kilomètres sont exploités dans l'Union dans le cadre d'obligations de service public après une attribution directe aux opérateurs historiques, assortie de droits exclusifs, la Commission propose de rendre systématique la procédure de mise en concurrence dans le domaine des contrats de service public de transport ferroviaire. C'est l'objet de la proposition de modification du règlement 1370/2007.
Elle propose par ailleurs d'ouvrir à la concurrence le transport national de voyageurs qui n'est pas régi par ce type de contrats de service public, comme cela a été réalisé pour le fret en 2007 9 ( * ) et pour les services de transport international de voyageurs en 2010 10 ( * ) . C'est l'un des objectifs poursuivis par la proposition de modification de la directive 2012/34.
1. La proposition d'ouverture des contrats de service public ferroviaires à la concurrence
a) Le droit actuel applicable aux contrats de service public : le règlement 1370/2007
Comme l'expose l'article premier du règlement 1370/2007 qui les encadre, l'objectif des contrats de service public est de « garantir la fourniture de services d'intérêt général qui soient notamment plus nombreux, plus sûrs, de meilleure qualité ou meilleur marché que ceux que le simple jeu du marché aurait permis de fournir. »
Par ces contrats, les Etats membres imposent des obligations de service public (OSP) , destinées à « garantir des services d'intérêt général de transports de voyageurs qu'un opérateur, s'il considérait son propre intérêt commercial, n'assumerait pas ou n'assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie. » Cette contrepartie prend la forme d'une compensation et/ou de l'octroi de droits exclusifs.
Le règlement 1370/2007 fixe le contenu obligatoire des contrats de service public. Il inclut une définition précise des obligations de service public et des zones géographiques concernées, ainsi que les paramètres servant de calcul à la compensation, s'il y a lieu, ou la nature et l'ampleur des droits exclusifs accordés, les modalités de répartition des coûts liés à la fourniture des services et les modalités de répartition des recettes. Le règlement précise que la compensation ou les droits exclusifs ne doivent pas conduire à une surcompensation.
Il limite la durée de ces contrats de service public à dix ans pour les services d'autobus et d'autocar , quinze ans pour les services de transport de voyageurs par chemin de fer ou autres modes ferroviaires , ces périodes pouvant être allongées de moitié dans certains cas particuliers, en raison d'un investissement exceptionnel par exemple.
Il impose à chaque autorité compétente de publier, une fois par an, un rapport global sur les obligations de service public relevant de sa compétence, les opérateurs de service public retenus ainsi que les compensations et les droits exclusifs qui leur sont octroyés en contrepartie, afin de permettre le contrôle et l'évaluation de l'efficacité, de la qualité et du financement du réseau de transport public.
Le règlement énonce les règles relatives à l'attribution des contrats de service public.
Sauf interdiction en vertu du droit national, une autorité locale compétente (en France, une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales) peut fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs ou les attribuer directement à une entité sur laquelle elle exerce un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services . Lorsque l'autorité locale décide en revanche de recourir à un tiers, elle doit le faire par voie de mise en concurrence. Une période transitoire a néanmoins été prévue et laisse aux Etats membres jusqu'au 3 décembre 2019 pour se mettre en conformité avec cette obligation.
Il existe plusieurs exceptions à cette règle. En dessous d'un certain seuil, les contrats de service public peuvent être attribués directement, sauf si le droit national en dispose autrement . C'est le cas lorsque leur valeur annuelle moyenne est estimée à moins d'un million d'euros, ou lorsqu'ils ont pour objet la fourniture annuelle de moins de 300 000 kilomètres de service public de transport de voyageurs. Ces plafonds sont portés respectivement à deux millions d'euros et 600 000 kilomètres lorsque le contrat est attribué directement à une petite ou moyenne entreprise n'exploitant pas plus de vingt-trois véhicules.
Le règlement exonère aussi les contrats de service public de transport par chemin de fer 11 ( * ) de la procédure de mise en concurrence, sauf si le droit national en dispose autrement. Dans ce cas, la durée du contrat est limitée à dix ans 12 ( * ) .
La France n'a pas attendu ce règlement pour ouvrir à la concurrence les prestations de service public de transport à l'échelon local. Hors région Ile-de-France qui est soumise à un statut particulier, les prestations de transport public local peuvent être exercées soit en régie, soit par une entreprise avec qui l'autorité compétente a passé un marché public, relevant du code des marchés publics, ou une délégation de service public, relevant de la loi Sapin du 29 janvier 1993 13 ( * ) . Dans ce cas, seules les prestations dont la valeur est inférieure à 106 000 euros pour toute la durée de la convention ou 68 000 euros par an pour une durée inférieure ou égale à trois ans en sont exemptées 14 ( * ) . Ces seuils sont inférieurs à ceux du règlement 1370/2007.
b) La proposition de modification de la Commission
D'après la Commission, les obstacles à l'amélioration de la qualité du service et de l'efficacité opérationnelle des entreprises de transport ferroviaire « sont d'abord liés à la difficulté d'accéder au marché des services nationaux de transport de voyageurs et à l'absence de pression concurrentielle 15 ( * ) . »
Dans la mesure où les services nationaux de transport de voyageurs sont essentiellement fournis dans le cadre de contrats de service public, la proposition de modification du règlement vise à renforcer le dispositif de mise en concurrence des contrats de service public et à supprimer les entraves à la concurrence par des mesures d'accompagnement.
(1) Un renforcement de la concurrence
Un encadrement supplémentaire de la procédure
La proposition de règlement prévoit l'adoption, par les autorités compétentes, de plans pour le transport public de voyageurs couvrant tous les modes de transport concernés . Ils incluent des indications sur la structure du réseau ou des lignes, les exigences de base que doit satisfaire l'offre de transport public, en termes d'accessibilité, de sûreté, etc., les normes de qualité, les principes de la politique tarifaire et les exigences opérationnelles concernant le transport de bicyclettes, la gestion du trafic ou le plan d'urgence en cas de perturbation. Ils sont adoptés après consultation des parties intéressées (opérateurs de transport, gestionnaires de l'infrastructure, associations de voyageurs et syndicats représentatifs).
La fixation des obligations de service public et l'attribution des contrats de service publics doivent être conformes à ces plans. Outre cet impératif, les obligations de service public doivent être nécessaires et proportionnées pour atteindre les objectifs de ces plans.
Les obligations de service public et les compensations qui leur sont liées doivent aussi être fixées de façon à atteindre ces objectifs de la manière la plus efficace possible par rapport aux coûts , et à soutenir financièrement à long terme la fourniture de services publics de transport de voyageurs. Les parties intéressées doivent être consultées sur la détermination des spécifications des obligations de services publics.
L'autorité de régulation des activités ferroviaires est chargée du contrôle de l'application de ces dispositions.
La fin de l'exception pour les contrats de service public ferroviaire
Cette proposition vise à rendre obligatoire la procédure de mise en concurrence des contrats de service public ferroviaire à compter du 3 décembre 2019, alors qu'ils en étaient jusqu'à présent exonérés.
La proposition de modification du règlement précise que les autorités compétentes peuvent décider d'attribuer à des entreprises ferroviaires différentes les contrats de transport public de voyageurs par chemin de fer couvrant les différentes parties d'un même réseau ou d'un ensemble de lignes. Dans cette perspective, elles ont la possibilité de décider , avant de lancer la procédure d'appel d'offres, de limiter le nombre de contrats pouvant être attribués à une même entreprise de transport ferroviaire.
La proposition de la Commission tend également à limiter le volume annuel de tout contrat de service public ferroviaire à 10 millions de trains-km ou un tiers du volume total du transport public national de voyageurs par chemin de fer géré par contrat de service public , la valeur la plus élevée des deux étant retenue. La constitution de lots d'un volume excessif pourrait en effet avoir pour conséquence d'empêcher l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché.
Les seuils en-deçà duquel il n'est pas nécessaire de procéder par appel d'offres, actuellement d'un million d'euros de valeur annuelle ou 300 000 kilomètres de transport annuel, sont adaptés aux spécificités du fer, puisqu'ils sont portés à respectivement cinq millions d'euros et 150 000 kilomètres.
Des dispositions transitoires sont prévues : les contrats de service public ferroviaire attribués directement entre le 1 er janvier 2013 et le 2 décembre 2019 peuvent se poursuivre jusqu'à leur date d'expiration, sauf si celle-ci est postérieure au 31 décembre 2022. Dans ce dernier cas, le contrat doit s'interrompre à cette date.
(2) Les mesures d'accompagnement
Une mesure pour faciliter l'accès au matériel roulant
Afin de lever un obstacle majeur à l'exercice d'une concurrence effective pour les contrats de service public, la proposition de modification du règlement vise à obliger les Etats membres à prendre les mesures nécessaires pour garantir aux opérateurs qui le souhaitent un accès effectif et non discriminatoire à du matériel roulant adapté.
Elle propose à cet effet plusieurs manières de procéder. Lorsqu'il n'existe pas de société de location de matériel roulant exerçant son activité dans des conditions non discriminatoires et commercialement viables pour tous les opérateurs concernés, l'autorité compétente doit supporter le risque lié à la valeur résiduelle du matériel roulant 16 ( * ) , si un opérateur qui envisage de participer à la procédure de mise en concurrence (et en a la capacité) en fait la demande. Elle peut le faire selon l'une des modalités suivantes :
- en acquérant elle-même le matériel roulant pour le mettre à disposition de l'opérateur retenu pour l'exécution du contrat ;
- en fournissant une garantie pour le financement du matériel roulant ;
- en s'engageant, dans le contrat de service public, à reprendre le matériel roulant au prix du marché à son terme.
Un accès à l'information renforcé
La proposition de modification du règlement vise à obliger les autorités compétentes à mettre à la disposition des parties intéressées une liste d'informations utiles pour préparer une offre : le nombre de voyageurs, les tarifs, les coûts et les recettes, des précisions sur les spécifications de l'infrastructure pertinentes pour l'exploitation des véhicules ou du matériel roulant requis.
Elle suggère aussi d' ajouter la date de début des contrats de service public et leur durée à la liste des informations devant figurer dans le rapport publié chaque année par l'autorité compétente ainsi qu'à l'avis de préinformation sur les procédures de mise en concurrence envisagées, afin d'aider les opérateurs à se préparer aux futures procédures de mise en concurrence. La proposition de règlement précise également que les Etats membres facilitent l'accès centralisé à ces rapports, par exemple au moyen d'un portail internet commun.
2. La proposition d'ouverture du transport national de voyageurs a la concurrence
a) Le droit actuel : la directive 2012/34
La directive 2012/34 prévoit à son article 10 l'accès des entreprises ferroviaires aux infrastructures de tous les Etats membres pour des opérations de fret ou de transport international de voyageurs.
Au cours d'un service international de transport, les entreprises ferroviaires sont autorisées à prendre et à déposer des voyageurs dans toute gare située sur le trajet international, y compris dans des gares situées dans un même État membre
Selon l'article 11 de la directive, les Etats membres peuvent limiter cet accès sur des itinéraires déterminés lorsqu'ils font l'objet d'un ou plusieurs contrats de service public conformes au droit de l'Union, dont l'équilibre économique serait compromis par l'exercice de ce droit d'accès.
C'est à l'organisme de contrôle désigné à l'article 55 de la directive (en France, l'autorité de régulation des activités ferroviaires), qu'il incombe de déterminer une éventuelle atteinte à l'équilibre économique d'un contrat de service public.
S'agissant du transport national de voyageurs, les Etats membres ont le choix de l'ouvrir ou non à la concurrence. Des États membres tels que le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suède et l'Italie ont ouvert leurs marchés nationaux unilatéralement.
b) La proposition de modification de la Commission
(1) La libéralisation du transport national de voyageurs
La proposition de modification de la directive tend à ouvrir le transport national de voyageurs à la concurrence , comme l'ont été le fret et le transport international de voyageurs.
D'après la Commission, les services nationaux de transport de voyageurs représentent plus de 94 % du marché du transport ferroviaire de voyageurs dans l'Union européenne.
Les Etats membres conservent la possibilité de limiter le droit d'accès sur des itinéraires déterminés si un tel droit compromet l'équilibre économique d'un ou plusieurs contrats de service public couvrant la même liaison ou une liaison alternative. C'est l'organisme de contrôle qui détermine ce cas de figure, en s'appuyant sur une analyse économique objective réalisée à partir de critères préétablis, à la demande :
- de l'autorité ou des autorités compétentes qui ont attribué le contrat de service public,
- du gestionnaire de l'infrastructure ;
- ou de l'entreprise ferroviaire qui exécute le contrat de service public.
Si un organisme de contrôle considère qu'un service de transport compromet l'équilibre économique d'un contrat, il indique les changements pouvant être apportés à ce service afin que les conditions d'octroi du droit d'accès à l'infrastructure soient remplies.
Pour faciliter cet exercice d'évaluation, la proposition de modification de la directive prévoit que tout candidat ayant l'intention de demander des capacités d'infrastructures en informe les gestionnaires et les organismes de contrôle concernés au plus tard 18 mois avant l'entrée en vigueur de l'horaire de service auquel la demande de capacité se rapporte. Les organismes de contrôle en informent sans délai et au maximum dans les cinq jours les entités susceptibles de faire la demande d'une telle analyse économique.
(2) Les mesures d'accompagnement
La proposition de modification de la directive donne la possibilité aux Etats membres d'exiger la participation des entreprises ferroviaires effectuant des services nationaux de transport de voyageurs à un système d'information et de billetterie intégrée commun pour la fourniture de billets et de réservations . Ils peuvent aussi habiliter les autorités compétentes à mettre en place un tel système. Les Etats membres veillent à ce que ces systèmes ne créent pas de distorsion de concurrence.
La Commission a en effet constaté que « les systèmes de billetterie nationaux obligatoires exploités par un opérateur historique, par exemple en Allemagne et en République tchèque, ont des effets discriminatoires, avec la possibilité de prélever des commissions allant jusqu'à 25 % sur toutes les ventes de billets. » Dans certains États membres, les remboursements aux nouveaux arrivants prennent jusqu'à deux ans, alors que dans d'autres pays, les paiements sont effectués dans les 8 jours, avec une commission de 1,5 %. Si chaque opérateur exploitait son propre système de billetterie, cela nuirait à l'offre de service dont bénéficient les voyageurs en détournant, au profit du paiement de commissions sur la vente de billets, des moyens financiers qui auraient pu servir à améliorer le service, et en réduisant l'attractivité globale du transport ferroviaire par rapport à d'autres modes de transport.
Les Etats membres doivent aussi imposer aux entreprises ferroviaires la mise en place de plans d'urgence afin de prêter assistance aux voyageurs.
La proposition de modification de la directive refond également l'article 63 consacré au rapport de la Commission sur le secteur ferroviaire, en prévoyant la remise par la Commission d'un rapport évaluant l'impact de la directive sur le secteur ferroviaire et sa mise en oeuvre, au plus tard le 31 décembre 2024. L'article dispose qu' « au plus tard à la même date, la Commission évalue s'il subsiste des pratiques discriminatoires ou d'autres types de distorsions de concurrence par rapport aux gestionnaires de l'infrastructure faisant partie d'une structure verticalement intégrée. Elle propose, le cas échéant, de nouvelles mesures législatives.».
* 9 Par la ddirective 2004/51/CE modifiant la directive 91/440/CEE.
* 10 Par la directive 2007/58/CE modifiant la directive 91/440/CEE.
* 11 Exclusivement ; le métro et le tramway ne sont pas concernés par cette exonération.
* 12 Sauf si l'opérateur de service public fournit des actifs significatifs au regard de l'ensemble des actifs nécessaires à la fourniture des services de transport de voyageurs qui font l'objet du contrat.
* 13 Codifiées à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales.
* 14 En vertu de l'article L. 1411-12 du code général des collectivités territoriales.
* 15 Exposé des motifs accompagnant la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n°1370/2007.
* 16 En conformité avec les règles relatives aux aides d'Etat.