N° 55

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (1) sur la proposition de résolution européenne de M. Roland Ries, présentée en application de l'article 73 quater du Règlement, sur les enjeux du quatrième paquet ferroviaire ,

Par M. Jean-Jacques FILLEUL,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Raymond Vall , président ; MM. Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Esnol, Alain Houpert, Hervé Maurey, Rémy Pointereau, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, M. Michel Teston , vice-présidents ; MM. Pierre Camani, Jacques Cornano, Louis Nègre , secrétaires ; MM. Joël Billard, Jean Bizet, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Philippe Darniche, Marcel Deneux, Michel Doublet, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Daniel Laurent, Mme Hélène Masson-Maret, MM. Jean-François Mayet, Stéphane Mazars, Robert Navarro, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Henri Tandonnet, André Vairetto, Paul Vergès .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

839 (2012-2013)

Mesdames, Messieurs,

A l'initiative de notre collègue Roland Ries, la commission des affaires européennes a adopté, le 17 juillet 2013, une proposition de résolution européenne portant sur six propositions d'actes européens, communément désignés sous le terme de « quatrième paquet ferroviaire » :

- la proposition de règlement COM (2013) 26 du Parlement européen et du Conseil abrogeant le règlement (CEE) n° 1192/69 du Conseil relatif aux règles communes pour la normalisation des comptes des entreprises de chemin de fer 1 ( * ) ,

- la proposition de règlement COM (2013) 27 du Parlement européen et du Conseil relative à l'Agence de l'Union européenne pour les chemins de fer et abrogeant le règlement (CE) n° 881/2004,

- la proposition de règlement COM (2013) 28 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1370/2007 en ce qui concerne l'ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer,

- la proposition de directive COM (2013) 29 du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, en ce qui concerne l'ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer et la gouvernance de l'infrastructure ferroviaire,

- la proposition de directive COM (2013) 30 du Parlement européen et du Conseil relative à l'interopérabilité du système ferroviaire au sein de l'Union européenne (refonte),

- la proposition de directive COM (2013) 31 du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité ferroviaire (refonte).

Ces propositions traduisent la préoccupation de la Commission européenne de lever les dernières entraves à la concurrence dans le domaine du transport ferroviaire, que ce soit en renforçant l'interopérabilité des réseaux et l'harmonisation les règles de sécurité, en prévoyant une séparation plus stricte entre gestionnaires d'infrastructures et opérateurs de transport, ou en encadrant davantage le recours aux contrats de service public, ou encore et surtout la libéralisation du transport national de voyageurs.

Elles font aujourd'hui l'objet de débats au sein du Conseil et du Parlement européen, qui doit les examiner en commission à la fin du mois de novembre. Il appartient dès lors au Sénat de faire valoir sa position.

Votre commission a souscrit à la philosophie de la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes. Cette dernière rappelle que la concurrence n'a de sens que si elle est régulée. Elle appelle au maintien d'une péréquation entre lignes rentables et déficitaires, en pleine adéquation avec la conception de l'aménagement du territoire défendue par votre commission. Elle rejette également les règles spécifiques imaginées par la Commission pour les entreprises verticalement intégrées.

Votre commission a toutefois cherché à préciser et à compléter cette proposition de résolution, par dix amendements adoptés à l'initiative de votre rapporteur.

Elle a notamment souhaité rappeler que l'objectif d'ouverture à la concurrence ne devait en aucun cas aboutir à un affaiblissement des exigences de sécurité, qu'elles concernent les installations fixes comme le matériel roulant. Elle a aussi voulu appeler à l'adoption d'un calendrier raisonnable pour la mise en oeuvre de ces réformes, afin de laisser aux acteurs concernés le temps d'en préparer le volet social.

I. UN QUATRIÈME PAQUET FERROVIAIRE RÉSOLUMENT TOURNÉ VERS L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE

Le quatrième paquet ferroviaire est un ensemble de six propositions législatives adoptées par la Commission européenne le 30 janvier 2013, dont l'objectif principal est de lever les dernières entraves à la concurrence. Il se traduit :

- par un renforcement de l'interopérabilité et une harmonisation accrue de la sécurité du réseau ferroviaire ;

- par un ensemble de nouvelles règles relatives à la gouvernance du système ferroviaire ;

- par des mesures d'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs.

A. LE VOLET RELATIF À L'INTEROPÉRABILITÉ ET À LA SÉCURITÉ DU RÉSEAU FERROVIAIRE

L'objectif de la Commission est de réduire les coûts administratifs des entreprises de transport ferroviaire et ainsi, de faciliter l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché.

Dans cette optique, l'agence ferroviaire européenne serait érigée en « guichet unique », responsable pour l'ensemble de l'Union européenne de la délivrance des autorisations de mise sur le marché de véhicules et des certifications relatives à la sécurité. D'après la Commission, il s'agit de réduire de 20 % les délais d'accès au marché pour les nouvelles entreprises ferroviaires et de 20 % le coût et la durée de la procédure requise pour l'utilisation du matériel roulant.

Ce volet est composé de trois propositions d'actes européens :

- une proposition de refonte de la directive 2004/49/CE relative à la sécurité des chemins de fer communautaires ;

- une proposition de refonte de la directive 2008/57/CE relative à l' interopérabilité du système ferroviaire ;

- une proposition de remplacement du règlement 881/2004 par un nouveau règlement sur l' agence ferroviaire européenne, qui serait renommée « agence de l'Union européenne pour les chemins de fer ».

1. Le volet relatif à la sécurité
a) Le droit actuel : la directive 2004/49/CE relative à la sécurité des chemins de fer communautaires

La directive 2004/49/CE établit un cadre destiné à harmoniser les règles de sécurité. Elle met en place des objectifs de sécurité communs (OSC), qui représentent les niveaux de sécurité minimum que doivent atteindre les différentes parties du système ferroviaire et le système dans son ensemble, des méthodes de sécurité communes (MSC), permettant d'évaluer la réalisation des OSC et des autres exigences en matière de sécurité, ainsi que des indicateurs de sécurité communs (ISC).

Elle introduit un contrôle de la Commission sur l'édiction de nouvelles règles de sécurité nationales , afin de limiter au maximum l'introduction de nouvelles règles nationales spécifiques et, partant, prévenir la création de nouveaux obstacles à l'harmonisation progressive des règles de sécurité.

Elle impose aux gestionnaires de l'infrastructure et aux entreprises de transport ferroviaire l'adoption d'un système de gestion de la sécurité dont elle fixe le contenu obligatoire, à son annexe III.

Elle établit un certificat de sécurité , sans lequel les entreprises de transport ferroviaire ne peuvent avoir accès à l'infrastructure. Il est divisé en deux composantes :

- une certification relative au système de gestion de sécurité de l'entreprise ; accordée par le premier Etat membre dans lequel l'entreprise ferroviaire établit ses activités, elle est valable dans toute l'Union ;

- une certification relative aux dispositions prises par l'entreprise pour répondre aux exigences nécessaires pour la fourniture de services sur le réseau concerné en toute sécurité. Il peut s'agir des spécifications techniques d'interopérabilité (STI) et des règles de sécurité nationales. C'est l'autorité de sécurité nationale de l'Etat membre concerné qui l'accorde. En France, ce rôle est assuré par l 'établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF).

Le gestionnaire de l'infrastructure doit quant à lui disposer d'un agrément de sécurité à double composante, l'une relative à son système de gestion de la sécurité, l'autre confirmant l'acceptation de dispositions particulières.

b) La proposition de la Commission

La proposition de la Commission élargit le champ des méthodes de sécurité communes aux méthodes de surveillance à appliquer par les autorités nationales de sécurité et aux méthodes de contrôle à appliquer par les entreprises de transport ferroviaire, les gestionnaires de l'infrastructure et les entités chargées de l'entretien.

Elle énumère de façon limitative les cas dans lesquels les États membres peuvent établir de nouvelles règles nationales de sécurité , qui sont au nombre de deux :

- lorsque les règles concernant des méthodes de sécurité existantes ne sont pas couvertes par une méthode de sécurité commune ;

- lorsque la règle concernée constitue une mesure préventive d'urgence, notamment à la suite d'un accident.

Elle confie par ailleurs à l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer, et non plus à la Commission, la mission de contrôle de l'édiction de règles nationales de sécurité par les Etats membres .

Elle remplace le certificat à double composante par un certificat de sécurité unique , désormais délivré par l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer et non plus par les autorités de sécurité nationales . Cette mesure était déjà envisagée lors de la rédaction de la directive actuelle, puisque cette dernière prévoit que l'agence ferroviaire européenne soumet, avant le 30 avril 2009, un rapport assorti de recommandations pour une stratégie de migration vers un certificat de sécurité communautaire unique.

Le transfert de la délivrance de ce certificat à l'agence européenne s'explique par la volonté de renforcer l'impartialité et l'efficience de cette procédure. D'après la Commission, « certaines entreprises ferroviaires qui ont demandé un certificat de sécurité aux autorités nationales compétentes ont été confrontées à différents problèmes, allant de procédures prolongées et de coûts excessifs à des traitements inéquitables, notamment en ce qui concerne les nouveaux entrants. Les certificats délivrés dans un Etat membre n'ont pas toujours été reconnus sans conditions dans les autres Etats membres, au détriment de l'espace ferroviaire unique européen 2 ( * ) . »

Ce certificat unique est accordé lorsque l'entreprise a établi son système de gestion de la sécurité et qu'elle respecte les exigences des spécifications techniques d'interopérabilité (STI) définies dans la directive « interopérabilité ».

Par ailleurs, trois mois avant le début de l'exploitation d'un nouveau service, l'entreprise ferroviaire doit fournir à l'autorité nationale de sécurité la documentation confirmant qu'elle applique les règles d'exploitation, y compris nationales, qu'elle a établi les arrangements nécessaires pour coopérer et coordonner les tâches avec le ou les gestionnaire(s) d'infrastructure du ou des réseaux sur lesquels elles propose d'exercer ses activités et qu'elle dispose d'une licence conformément à la directive 95/18/CE.

Si l'autorité nationale trouve des preuves du non-respect d'une ou plusieurs de ces conditions, elle doit saisir l'agence européenne, qui prend les mesures appropriées, y compris le retrait du certificat. Il y a donc une inversion des rôles entre l'agence européenne et les autorités de sécurité nationales : alors qu'aujourd'hui, ces dernières ont la possibilité de retirer l'une ou l'autre composante du certificat de sécurité, avant de le notifier à l'agence ferroviaire européenne, c'est désormais l'agence européenne qui aura cette capacité et en informera les autorités de sécurité nationales.

La Commission suggère également une adaptation de la directive à l'évolution du marché ferroviaire. Ce dernier a notamment vu l'apparition ou le renforcement du rôle de certains acteurs, qui peuvent exercer des responsabilités importantes en matière de sécurité. Par exemple, le recours à des sous-traitants, soumis à une pression économique croissante, a augmenté. La Commission considère donc indispensable d'établir de nouvelles formes de contrôle.

La proposition de modification de la directive vise ainsi à obliger un certain nombre d'acteurs à mettre en oeuvre des mesures de maîtrise des risques : les entités chargées de l'entretien des véhicules, les expéditeurs, à savoir les entreprises qui expédient les marchandises pour leur compte ou pour un tiers, les chargeurs, définis comme les entreprises qui chargent des marchandises emballées, y compris dangereuses, des conteneurs ou citernes, sur un wagon, les remplisseurs, entendus comme les entreprises qui chargent les marchandises, y compris dangereuses, dans une citerne ou un conteneur, les fabricants de constituants d'interopérabilité.

Elle impose à chaque entreprise ferroviaire, gestionnaire d'infrastructure ou entité chargée de l'entretien de veiller à ce que les sous-traitants mettent en oeuvre des mesures de maîtrise des risques.

2. Le volet relatif à l'interopérabilité
a) Le droit actuel : la directive 2008/57/CE relative à l'interopérabilité du système ferroviaire

La directive 2008/57/CE vise à promouvoir l'interopérabilité des composantes du système ferroviaire. Les États membres peuvent exclure de son champ d'application les métros, tramways et autres systèmes ferroviaires légers ainsi que les réseaux réservés à un usage strictement local.

Elle établit des spécifications techniques d'interopérabilité (STI) pour les éléments du système ferroviaire.

Elle prévoit une procédure d'autorisation de mise en service s'appliquant aux matériels roulants neufs ou existants, que ces matériels soient conformes ou non aux STI. Une seule autorisation suffit pour l'ensemble du réseau ferroviaire de l'Union.

La directive impose l'attribution à tout véhicule mis en service sur le système ferroviaire de l'Union d'un numéro de véhicule européen (NVE). Elle prévoit la création de registres nationaux d'immatriculation des véhicules ferroviaires dans chaque État membre et d'un registre européen pour les types de véhicules autorisés afin de faciliter le recensement des types de véhicules ayant déjà été autorisés dans des États membres.

b) La proposition de la Commission

La Commission propose « une mise à jour 3 ( * ) » du contenu de la directive en tirant les leçons des travaux de développement menés dans le domaine de l'interopérabilité. Elle introduit par exemple la notion d'autorisation de mise sur le marché d'un véhicule, délivrée par l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer. La mise en service des véhicules relève quant à elle de la responsabilité des entreprises de transport ferroviaire.

3. Le volet relatif à l'agence ferroviaire européenne
a) Le droit actuel : le règlement 881/2004 relatif à l'agence ferroviaire européenne

L'agence ferroviaire européenne a été créée en 2004 , afin de contribuer à la traduction des objectifs de l'Union en matière d'interopérabilité et de sécurité.

Elle est chargée, en s'appuyant sur des groupes d'experts du secteur placés sous sa responsabilité, et après consultation des partenaires sociaux et des organisations d'usagers (passagers et clients de fret), de préparer et proposer les méthodes et les objectifs de sécurité communs (MSC et OSC) et d'assurer un suivi continu des performances de sécurité, en tenant une base de données relative à la sécurité ferroviaire. Elle assure la mise en réseau et la coopération des autorités nationales de sécurité ferroviaire et des organismes d'enquête visant à favoriser les échanges d'expérience et le développement d'une culture commune de la sécurité ferroviaire. En ce qui concerne l'interopérabilité, elle organise et dirige les travaux visant à créer et mettre à jour les spécifications techniques d'interopérabilité (STI) et suit les progrès réalisés dans ce domaine.

L'agence ne dispose pas de pouvoirs de décision en tant que tels, mais est en mesure de présenter des avis, des recommandations et des propositions à la Commission.

b) La proposition de la Commission

La Commission propose de remplacer le règlement 881/2004 par un nouveau règlement « relatif à l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer ».

Ce nouveau règlement élargit les missions de l'agence ferroviaire européenne, en lui confiant la délivrance des certificats de sécurité définis dans la directive sur la sécurité, des autorisations de mise sur le marché de véhicules ferroviaires et des autorisations de mise en service des installations fixes définies dans la directive « interopérabilité ». L'agence ferroviaire européenne peut facturer aux candidats la délivrance de ces certificats et autorisations, sans que le niveau de redevance dépasse la moyenne constatée des redevances aujourd'hui perçues par les autorités nationales dans l'Union.

L'agence européenne ne se substitue toutefois pas aux agences nationales, sur lesquelles elle continue à s'appuyer pour effectuer certaines activités au sein des Etats membres. Ces activités sont réalisées à la demande de l'agence européenne et sous sa direction.

L'agence européenne exerce aussi un rôle de soutien et de contrôle vis-à-vis de ces autorités nationales de sécurité , comme des organismes d'évaluation de la conformité notifiés 4 ( * ) régis par la directive « interopérabilité ».

Cet élargissement des missions de l'agence ferroviaire européenne doit s'accompagner d'une adaptation de ses moyens budgétaires et humains.


* 1 Cette proposition abroge un règlement qui n'a jamais été applicable en France ; elle n'est pas examinée en tant que telle dans ce rapport, dans la mesure où son adoption ne semble soulever aucune objection.

* 2 Considérant 10 de la proposition de règlement relatif à l'agence de l'Union européenne pour les chemins de fer.

* 3 Termes employés dans l'exposé des motifs de la proposition de modification de la Commission.

* 4 Il s'agit des organismes chargés d'établir la déclaration « CE » de conformité ou d'aptitude à l'emploi d'un constituant d'interopérabilité.

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