III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION
A. RÉAFFIRMER LES PRINCIPES FONDATEURS DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉDUCATION
1. Relancer la démocratisation du système scolaire
Le système éducatif est sorti déboussolé de la précédente législature, tant en raison des suppressions de poste que de la multiplication rapide des expérimentations en tout sens et en tout genre, abandonnées ou généralisées brutalement, même en l'absence de toute évaluation. Le malaise enseignant et l'angoisse des parents sont pour partie liées à l'illisibilité de la politique d'éducation. La première pierre de l'édifice refondé est d'ordre symbolique. Il faut fixer le cap et rappeler les valeurs qui doivent guider le service public de l'éducation. Votre commission s'y est largement employée.
Par une série d'amendements, elle a complété le premier article du code de l'éducation (L. 111-1) afin de réaffirmer la mission fondamentale de démocratisation et de lutte contre les inégalités que doit assumer l'éducation nationale. Contre toute tentative de naturalisation de l'échec scolaire , que les idéologies conservatrices enracinent dans l'incapacité fondamentale dont souffriraient certains élèves à entrer dans les apprentissages mêmes les plus simples, il fallait affirmer clairement le principe que tout enfant est capable d'apprendre et de progresser.
Il convenait également de garantir l'universalité du droit à l'éducation en renforçant l'obligation d'inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction d'origine, de milieu ou de condition de santé.
Votre commission a souhaité insister aux endroits appropriés du projet de loi sur la nécessité de développer la coopération et la transversalité dans les enseignements. C'est essentiel pour faire émerger une nouvelle école ouverte, inclusive et bienveillante.
Outre la transmission de connaissances, de compétences et d'une culture, l'école se doit de faire comprendre aux élèves certaines valeurs républicaines fondamentales , qui résultent d'un long mouvement historique de convergence sociale et intellectuelle et qui constituent le socle de notre communauté politique. Ce noyau de valeurs fondamentales est formé de l'égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité . Le service public de l'éducation doit les incarner et les transmettre.
C'est au nom de ces mêmes valeurs que la mise à disposition des locaux et des équipements scolaires à des tiers a été encadrée , pour que la neutralité et la laïcité du service public soient pleinement respectées.
Dans la refonte de la régulation du système éducatif au service de la démocratisation, le conseil supérieur des programmes (CSP) et le conseil national d'évaluation (CNE) auront un rôle clef à jouer. Pour renforcer leur indépendance, votre commission a prévu que les personnalités qualifiées soient nommées après avis des commissions compétentes en matière d'éducation de l'Assemblée nationale et du Sénat . De plus, elle a instauré une règle de non-cumul des mandats de membre du CSP et de membre du CNE.
2. Faire de la mixité sociale une priorité
Pour appliquer les recommandations qu'elles avaient émises dans son rapport d'information sur la carte scolaire 19 ( * ) , votre commission a assigné explicitement au service public de l'éducation la mission de veiller à la mixité sociale au sein des établissements scolaires.
Elle a souhaité également que dans le cadre du développement de l'éducation artistique et culturelle, une évaluation rigoureuse des classes à horaire aménagé-musique (CHAM) soit menée. Au cours de la mission, elles ont en effet été identifiées comme des ressources d'évitement de la carte scolaire, qui pèsent sur les finances de collectivités et dont les bienfaits pour les élèves sont mesurés. Au contraire, le dispositif orchestré à l'école s'avère un gage de réussite pour des enfants jusque-là en difficultés.
Reprenant une dernière recommandation du rapport précité, votre commission a également proposé l'élargissement des secteurs de recrutement des collèges sous l'autorité des conseils généraux. Ces derniers pourront désormais définir des secteurs communs à plusieurs collèges publics , pourvu qu'ils se situent dans un même périmètre de transports urbains.
Par ailleurs, dans la lutte contre les inégalités sociales, l'école maternelle a un rôle fondamental à jouer . Plus particulièrement, la préscolarisation des moins de trois ans peut apporter beaucoup en termes de sécurisation affective et de développement du langage aux enfants de milieu modeste. Pour sanctuariser les moyens affectés à la maternelle, elle a prévu la comptabilisation des enfants de moins de trois ans dans les effectifs d'élèves servant à décider pour la rentrée des ouvertures et des fermetures de classes et des affectations de postes d'enseignants. Votre commission a également prévu que des éléments de formation spécifiques soient dispensés aux enseignants affectés en maternelle , afin qu'ils connaissent le mieux possible les caractéristiques du développement des très jeunes enfants dont ils auront la charge.
3. Inclure pleinement l'enseignement agricole
L'enseignement technique agricole appartient au service public de l'éducation et accomplit sa mission avec une efficacité et une souplesse remarquables. Il convient donc de lui assurer toute sa place dans la refondation de l'école.
Il faut par exemple souligner que l'enseignement agricole fait souvent figure de précurseur . Ainsi, l'éducation socioculturelle dispensée dans ses établissements préfigure la rénovation de l'éducation artistique et culturelle au sien de l'éducation nationale.
La confection de la carte régionale des formations professionnelles nécessitera un dialogue approfondi entre les recteurs et les directeurs régionaux de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF) pour arbitrer les ouvertures et les fermetures de filières, lorsqu'elles existent à la fois dans l'éducation nationale et dans l'enseignement technique agricole. Il faut garantir la complémentarité des réseaux sans concurrence et dans le respect des spécificités de chacun.
Votre commission a corrigé certaines dispositions qui laissaient de côté l'enseignement agricole. Elle a précisé qu'étaient à la charge de l'État les manuels scolaires non seulement dans les collèges mais aussi dans les établissements d'enseignement agricole. Elle a tenu compte lorsque c'était nécessaire du fait que les établissements de l'enseignement agricole ne prenaient pas systématiquement la forme de lycées, puisque les maisons familiales et rurales n'en sont pas.
La prise en compte de l'enseignement agricole par le CNE a été assurée par la mention explicite du pouvoir de saisine du ministre de l'agriculture . En outre, les rapports annuels du CSP et du CNE devront lui être remis , comme au ministre de l'éducation nationale.
4. Ouvrir l'école aux familles
Le rapport de la concertation qui a précédé l'élaboration du projet de loi reprenait la notion d'une coéducation entre les parents et l'école. Cependant, certaines mesures du texte demeuraient trop timides, voire contradictoires avec cette prise de position. Votre commission y a remédié.
Elle a supprimé l'article 4 ter qui permettait la saisine de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) par l'équipe enseignante, sans l'accord des parents, pour demander un changement d'orientation ou de mode d'accompagnement d'un élève handicapé. Cette disposition contre-productive, qui revient sur le principe même d'une école inclusive, n'aurait fait qu'attiser l'incompréhension et la méfiance entre les familles et l'école.
De même, il convenait de maintenir le principe d'un accord des parents et d'une mise en oeuvre conjointe entre ceux-ci et l'équipe éducative des programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) et des autres dispositifs d'aide . Toute rupture entre la sphère familiale et la sphère scolaire serait préjudiciable au suivi de l'enfant.
Plus généralement, l'éducation nationale doit mener un travail approfondi de dialogue avec les parents pour établir des relations de confiance . Il est particulièrement important de s'efforcer de tisser des liens avec les familles les plus éloignées de l'école, et notamment les plus pauvres. Pour rapprocher les familles de l'institution scolaire , qui s'est pour partie construite contre elles historiquement, votre commission a inséré des amendements pour que :
- dans les missions des enseignants, figurent l'information et l'aide aux parents pour leur permettre de suivre la scolarité de leur enfant ;
- soit prévu dans chaque établissement scolaire un espace à l'usage des parents et de leurs délégués , où ils pourront se retrouver et échanger ;
- chaque année, le conseil d'administration des collèges et des lycées dresse un bilan des actions menées à destination des parents d'élèves .
De surcroît, dans un esprit constructif de responsabilisation des parents d'élèves, votre commission a inscrit dans la loi l'autorisation de mener une expérimentation sur trois ans en matière d'orientation à la fin de la classe de 3 e - [ et non simplement dans l'annexe qui ne revêt aucune portée normative et ne produit pas d'effet juridique]. Par dérogation à la procédure prévue par l'article L. 331-8 du code de l'éducation, la décision d'orientation serait retirée au chef d'établissement et confiée aux parents dans le souci de lutter contre l'orientation subie par défaut, bien souvent à la source de l'absentéisme et du décrochage scolaire. Les parents ne seront toutefois pas laissés seuls, car la décision d'orientation demeurera préparée en amont et fera l'objet d'une proposition du conseil de classe.
L'ouverture aux parents passera également par une refonte de l'architecture scolaire et notamment des centres de documentation et d'information (CDI). Votre commission a ouvert la voie à leur transformation en centres de connaissances et de culture ouverts sur la cité, comme c'est le cas dans certains lycées à Schiltigheim ou à Grenoble.
Enfin, votre commission a souhaité accorder une place toute particulière aux langues. Outre un enseignement de langue étrangère, elle a prévu que dès le primaire, les enfants reçoivent une initiation à la diversité linguistique. Elle a accordé dans cette perspective une reconnaissance aux langues familiales , c'est-à-dire parlée dans les familles allophones ou bilingues, qui pourront être utilisées à cette fin.
* 19 Françoise Cartron, Réguler la carte scolaire : pour une politique ambitieuse de mixité sociale, Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Rapport n° 617 (2011-2012), juin 2012.