C. LA LOI DU 30 DÉCEMBRE 1996 A TENTÉ D'APPORTER UNE RÉPONSE GLOBALE AUX PROBLÉMATIQUES DE LA ZONE DES CINQUANTE PAS MAIS ELLE A ÉTÉ ELLE-MÊME MODIFIÉE À PLUSIEURS REPRISES
La loi du 30 décembre 1996 précitée visait à apporter une solution à la situation d'occupation sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques des départements antillais 21 ( * ) .
Notre ancien collègue Jean Huchon soulignait alors l'importance de l'enjeu en relevant qu'« une grande partie des terrains occupés sont situés dans le centre ville des communes concernées, et supportent des bâtiments publics et privés de toute nature, des voies de circulation, des places, des cimetières » 22 ( * ) . On comptait en 1996 environ 15 000 cas d'occupation en Martinique et 12 000 en Guadeloupe , couvrant respectivement 563 hectares (16 % de la zone des cinquante pas géométriques) et 1 655 hectares (38 % de la zone) 23 ( * ) .
? La loi de 1996 a cherché à définir « un dispositif législatif de nature à résoudre les problèmes posés (...) par l'occupation mal maîtrisée de [la] zone [des cinquante pas géométriques] » 24 ( * ) .
Ce texte avait ainsi pour objectifs d'« améliorer la situation des habitants en leur permettant d'acheter les terrains sur lesquels ils résident (...) [, d']assurer l'aménagement des zones, grâce à la création d'une agence publique dans chacun des départements (...) [et] enfin [de] faciliter le développement économique de la zone dite des cinquante pas géométriques » 25 ( * ) .
Les principales dispositions de cette loi sont les suivantes :
- la délimitation par le préfet , après consultation des communes, à l'intérieur de la zone des cinquante pas géométriques, d'une part des espaces urbains et des secteurs occupés par une urbanisation diffuse, d'autre part des espaces naturels ;
- la réouverture de la procédure de validation des titres d'occupation initiée par le décret de 1955 qui n'avait pas pu produire tous ses effets : la loi institue dans chacun des départements antillais une commission départementale de vérification des titres ;
- la fixation des modalités de cession des terrains situés dans les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation diffuse de la zone des cinquante pas :
Ø peuvent être cédés à titre gratuit aux communes et aux organismes de logement social les terrains destinés à la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'opérations d'habitat social. Ces terrains reviennent dans le patrimoine de l'État s'ils n'ont pas été utilisés conformément à l'objet qui a justifié la cession dans un délai de dix ans à compter de celle-ci ;
Ø peuvent être cédés à titre onéreux les terrains situés dans ces espaces ou secteurs au bénéfice des occupants qui ont édifié ou fait édifier avant le 1 er janvier 1995 des constructions affectées à l'exploitation d'établissements à usage professionnel ainsi qu'au bénéfice des personnes ayant édifié ou fait édifier avant le 1 er janvier 1995, ou à leurs ayants droit, des constructions à usage d'habitation qu'elles occupent à titre principal ou qu'elles donnent à bail en vue d'une occupation principale. A défaut d'identification des personnes mentionnées précédemment, ces terrains peuvent être cédés aux occupants de constructions affectées à leur habitation principale et édifiées avant le 1 er janvier 1995.
- la remise gratuite des espaces naturels de la zone des cinquante pas au Conservatoire du littoral ;
- la création d'une aide aux acquéreurs de terrains occupés au titre de leur habitation principale (article 3 de la loi), aide modulée en fonction des ressources de l'acquéreur et de l'ancienneté de l'occupation. Comme l'indiquait notre ancien collègue Jean Huchon, il apparaissait alors « souhaitable de faire en sorte que des personnes installées depuis plusieurs dizaines, voire centaines d'années, qui n'ont pas pu faire jouer la prescription acquisitive, puissent bénéficier d'une aide spécifique » 26 ( * ) ;
- la création pour dix ans dans chaque département antillais d'une « Agence pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques » (article 4 de la loi), cette création visant à assurer un « développement harmonieux de la zone et à en organiser l'aménagement » 27 ( * ) . Ces agences, « instrument de coopération entre l'État et les communes » 28 ( * ) , se voient confier pour missions d'établir un programme d'équipement des terrains relevant de leur compétence et d'émettre un avis sur les projets de cessions envisagées à titre gratuit ou à titre onéreux (article 5). Le conseil d'administration de ces établissements publics est composé de représentants de l'État et des collectivités territoriales, et de personnalités qualifiées compétentes en matière d'urbanisme et de connaissance du littoral. Leur directeur est nommé par décret (article 6). Elles bénéficient des ressources suivantes (article 7) : les subventions européennes, de l'État et des collectivités territoriales, des redevances d'occupation du domaine public de l'État, le produit des cessions et le produit d'une taxe spéciale d'équipement (TSE).
Comme l'indiquait le rapport de la mission IGA/CGPC de 2004, la loi de 1996 « a entendu sortir du cercle vicieux dans lequel l'État était entraîné par la rigueur du droit sur la zone et son incapacité à le faire respecter complètement ». Elle a « voulu privilégier, dans un équilibre certes difficile à atteindre, une mesure à caractère social : l'amélioration de la situation des occupants de bonne foi dépourvus de titre d'une part, et une perspective de développement durable liée à l'aménagement des zones urbaines et à la protection des espaces naturels d'autre part » 29 ( * ) .
? La durée de vie des Agences des cinquante pas géométriques a été modifiée pas moins de trois fois au cours des dix dernières années .
Comme indiqué précédemment, la durée de vie des agences avait été fixée initialement à dix ans .
Cette durée a été étendue à 15 ans par l'article 52 de la loi de programme pour l'outre-mer de 2003 30 ( * ) car les délais de nomination des directeurs des agences - cette dernière étant intervenue seulement le 16 février 2001 - avaient retardé d'autant la mise en marche des agences.
L' article 45 de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) de 2009 a modifié l'article 4 de la loi de 1996 afin de prévoir qu'un décret pourrait prolonger la durée de vie des agences pour cinq ans, renouvelable deux fois. Les agences pouvaient ainsi être potentiellement maintenues jusqu'au 1 er janvier 2027 .
L' article 32 de la loi portant engagement national pour l'environnement de 2010 , dite « loi Grenelle II », 31 ( * ) a modifié à son tour l'article 4 précité afin de permettre une prolongation par décret de la durée de vie des agences pour une durée maximale de deux ans . Le I de cet article prévoyait que, à leur disparition, les missions de régularisation foncière des agences seraient exercées par des établissements publics fonciers d'État . Un décret du 27 janvier 2011 32 ( * ) a ainsi prolongé jusqu'au 1 er janvier 2014 la durée de vie des agences.
? Outre la modification de la durée de vie des agences, la « loi Grenelle II » a modifié sur plusieurs points la loi de 1996 :
- les agences se sont vues confier de nouvelles missions relatives à la régularisation des occupants sans titre , à savoir l'observation et le suivi des occupations, la recherche des occupants éligibles à la régularisation et l'assistance dans leurs démarches, l'établissement des formalités et documents nécessaires à la cession et, enfin, la contribution à la libération des terrains dont l'occupation sans titre ne peut être régularisée et au relogement des occupants. Ces missions deviennent, avec l'établissement des programmes d'équipement de la zone, les missions prioritaires des agences . Autrement dit, « la fonction d'aménagement des agences devient une activité secondaire » 33 ( * ) ;
- les agences bénéficient d'une nouvelle ressource : la participation des personnes régularisées au financement des programmes d'équipement 34 ( * ) , participation dont sont exonérées les personnes bénéficiant de l'aide exceptionnelle ;
- les agences peuvent désormais intervenir dans les zones contiguës à leurs territoires traditionnels d'intervention ;
- des opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) peuvent être menées dans les secteurs les plus dégradés de la zone des cinquante pas géométriques 35 ( * ) ;
- afin d'accélérer le processus de régularisation , c'est-à-dire « inciter les occupants sans titre de la zone à se régulariser au plus vite » 36 ( * ) , les demandes de cession doivent être déposées avant le 1 er janvier 2013 ;
- les résidences secondaires peuvent désormais être régularisées , mais seuls les occupants ayant leur résidence principale pourront bénéficier de l'aide exceptionnelle.
* 21 Si la zone des cinquante pas géométriques existe également à La Réunion et en Guyane, ces deux départements ne sont pas concernés par des problématiques similaires à celles rencontrées par la Guadeloupe et la Martinique. A La Réunion, la situation des occupants sans titre a été résolue notamment par la publication d'un décret du 13 janvier 1922 qui a permis la délivrance de titres de propriété. Le problème de l'occupation sans titre des rivages ne s'est pas posée en Guyane.
* 22 Rapport n° 113 (1995-1996), Ibid., p. 9.
* 23 Cf. Ibid.
* 24 Ibid., p. 5.
* 25 Ibid., p. 13.
* 26 Ibid., p. 16.
* 27 Ibid.
* 28 Deuxième alinéa de l'article 4 de la loi de 1996 précitée.
* 29 « Rapport sur les cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique », Ibid., p. 10.
* 30 Loi n° 2003-660 de programme pour l'outre-mer.
* 31 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.
* 32 Décret n° 2011-119 du 27 janvier 2011 pris pour l'application de l'article 4 de la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer.
* 33 Exposé sommaire de l'amendement n° 1648 du Gouvernement sur le projet de loi portant engagement national pour l'environnement déposé lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale.
* 34 Un arrêté du préfet prévoit le montant de la participation. Pour autant, comme l'indique le ministère des outre-mer, « en Martinique, il existe des discordances sur les modalités de calcul de la participation ce qui amène à revoir les modalités de l'arrêté préfectoral. Ce désaccord en freine l'exécution et l'application à d'autres sites notamment directement au niveau des études. En Guadeloupe, cette participation n'est pas appliquée ». Votre rapporteur estime indispensable que la loi soit appliquée et que les agences puissent bénéficier de cette ressource.
* 35 D'après les informations transmises par le ministère des outre-mer, ces dispositions n'ont pas été mises en oeuvre à ce jour.
* 36 Ibid.