D. LES MÉCANISMES ET LES ENJEUX DE LA NUTRITION ANIMALE : LES INCONVÉNIENTS DU STATU QUO
1. L'élevage est devenu techniquement dépendant des produits d'alimentation animale
Comme la plupart des activités agricoles, l'élevage constitue une technologie multi-produits : c'est ainsi que la viande peut être co-produite avec le lait ou la laine. Des sous-produits sont également issus des filières viandes - gras, os, pattes, sang, viscères, coquilles - qui représentent un volume annuel global d'environ 3 millions de tonnes. L'agriculture prise dans son ensemble est ainsi à la fois productrice, transformatrice et consommatrice d'aliments pour animaux .
Jusqu'au milieu du 20 e siècle, l'agriculture produisait ses propres intrants et, en particulier, les aliments pour animaux. Progressivement, une mutation s'est opérée et elle est devenue de plus en plus dépendante d'autres secteurs d'activité, en amont et en aval de l'exploitation agricole. La nutrition animale, externalisée de la sphère agricole stricto sensu, est aujourd'hui soumise à des systèmes d'échanges désormais largement mondialisés . Sur le terrain, votre rapporteur constate ainsi que la survie économique de l'éleveur dépend parfois aujourd'hui tout autant de sa compétence technique que de sa capacité à gérer la volatilité des prix internationaux de l'alimentation animale.
Or, comme le rappelle le CNA, la sélection génétique des animaux d'élevage implique, pour exprimer son potentiel et permettre des durées d'élevage très courtes, des formulations alimentaires très exigeantes en termes de densité protéique, sans quoi les capacités d'ingestion de l'animal sont dépassées. D'où l'intérêt des végétaux (graines, tourteaux) à forte densité protéique (soja, protéagineux) ou des PAT.
En France, la production d'aliments composés pour animaux d'élevage qui atteignait 21 millions de tonnes en 2010, a baissé de 10 % depuis le début des années 2000. Globalement, les volailles absorbent 40 % des aliments composés produits, les porcins 27 %, et les bovins 21 %. En 2011, on dénombrait 289 sites de production et 198 entreprises fabricants d'aliments composés pour animaux, dégageant un chiffre d'affaires de près de 7 milliards d'euros par an.
Tous aliments confondus, les céréales et co-produits céréaliers constituent 60 % des matières premières utilisées, les tourteaux 24 % - dont plus de la moitié sont importés sous forme de tourteau de soja, les graines oléo-protéagineuses 4 %, et enfin d'autres matières premières, pour la plupart sous-produits d'autres industries agro-alimentaires, 12 %.
La formulation des aliments doit permettre de couvrir au mieux les besoins nutritionnels des animaux en fonction des matières premières disponibles. Pour ce faire, les fabricants utilisent le fait que les matières premières sont plus ou moins substituables et complémentaires les unes des autres, en fonction de leurs profils respectifs, protéique (tourteau de soja, PAT...), énergétique (maïs, blé...) ou mixtes (protéagineux).
Cependant, comme le soulignent les fabricants entendus par votre rapporteur, le choix des matières premières intègre d' autres paramètres déterminants : la disponibilité sur le marché mondial, la gestion de risques d'approvisionnement, la réglementation environnementale, ainsi que l'optimisation économique de la formulation, qui s'avère d'autant plus décisive que le poste alimentaire constitue, par exemple, 60 % du prix de revient d'un porc charcutier et 65 % de celui d'un poulet .
Dans ce contexte, l'intérêt des PAT dans l'alimentation animale tient à leur teneur élevée en protéines qui oscille entre 50 et 60 %. Ce rapport atteint même 65 à 70 % pour les farines de poisson, contre 45 à 50 % pour le tourteau de soja, c'est-à-dire le plus riche en matière azotée totale (MAT) des tourteaux utilisés, mais aussi le plus largement importé.
2. Le déficit commercial en aliments à forte densité protéique
En l'absence de protéines animales, les apports protéiques des animaux d'élevage sont, aujourd'hui essentiellement couverts par l'incorporation de tourteaux dans les formulations. Mais, comme l'ont souligné à plusieurs reprises l'exposé des motifs et les travaux préparatoires du règlement (UE) 56/2013 l'Union européenne est largement déficitaire en tourteaux : en 2008-2009, le déficit de l'Union en protéines végétales était de 73 % et celui de la France de 53 %. La France importe ainsi chaque année, entre 3,7 et 4,5 millions de tonnes de tourteau de soja pour nourrir ses animaux. Derrière les Pays-Bas, notre pays est le second plus gros importateur de l'Union européenne de tourteau, principalement en provenance du Brésil (17 % du tourteau de soja exporté par le Brésil lui sont destinés) et le second consommateur européen de l'ensemble des tourteaux après l'Allemagne. Le CNA note, de façon incidente, que le tourteau de soja d'Amérique du Sud est souvent issu de variétés génétiquement modifiées, dont la culture n'est pas autorisée en Europe mais dont l'usage en alimentation animale est admis.
Les fabricants d'aliments entendus par votre rapporteur ont également souligné la valeur alimentaire des PAT : leur concentration en protéines n'est pas spectaculairement plus élevée que celle des tourteaux de soja mais elles se caractérisent par un meilleur équilibre des acides aminés, qui sont les « briques de construction des protéines ». Les PAT constituent également un apport important en phosphore assimilable pour les animaux, phosphore dont les réserves mondiales sont limitées.
Outre leur valeur intrinsèque, la réintégration de PAT dans les aliments destinés à certains animaux d'élevage permettrait, du fait de leur teneur en protéines, en énergie et en minéraux (phosphore), une substituabilité plus importante des autres matières premières entre elles, notamment les coproduits céréaliers. A l'heure où le prix des matières premières est soumis à des fluctuations rapides et importantes sur le marché mondial, cette marge de manoeuvre permettrait aux fabricants d'aliments d'amortir en partie l'impact financier pour les éleveurs et de réduire leur niveau de dépendance à certaines matières premières importées.