B. FINANCEMENT DES TRANSPORTS COLLECTIFS EN ILE-DE-FRANCE : LA QUADRATURE DU CERCLE
1. Des tensions sur toutes les lignes budgétaires
EXPLOITATION DES TRANSPORTS COLLECTIFS EN
ÎLE-DE-FRANCE
RÉPARTITION DES CHARGES
Source : Stif
Ce tableau résume l'ensemble des coûts du réseau des transports collectifs en Ile-de-France et la répartition entre les différents contributeurs du « tour de table ».
Entre 2000 et 2011, le coût global a augmenté de 53,4 % passant de 5,43 à 8,33 milliards d'euros annuels .
Les évolutions sont très marquées entre 2004 et 2011, où le coût d'exploitation a augmenté de 24,8 %.
Qui a pris en charge l'augmentation de 2,06 milliards annuels entre 2004 et 2011 ?
- d'abord les contributions publiques (principalement la région), pour 792 millions : leur participation a quasiment doublé (+ 88 %) et leur part est passée de 14,3 % à 20,2 % ;
- ensuite les usagers, pour 744 millions : leur participation a progressé de 22,5 % ce qui est très proche de la progression d'ensemble (en conséquence, leur part est stable, à 39 %) ;
- enfin, les entreprises, le versement transport augmentant de 654 millions : leur participation a progressé de 20,9 %, légèrement en dessous de l'enveloppe globale, ce qui explique un léger recul de leur part, de 39,3 % à 37,4 %.
Ce niveau d'augmentation des coûts tient, bien entendu, à la « reprise en mains » du réseau et aux améliorations de l'offre de service. Mais il ne prend pas en compte les projets d'investissements tels qu'ils figurent dans le protocole d'accord.
On comprend, devant ces chiffres, la tension généralisée sur les ressources : comme cela se passe à l'échelle nationale avec le schéma national des infrastructures de transports (SNIT), les projets sont nombreux et les ressources sont si rares, que la compétition est ouverte entre eux, sans garantie de cohérence. Dans ce type de situation, le risque est grand que des dossiers l'emportent non pas parce qu'ils servent mieux le projet d'ensemble, mais pour des motifs de convenance (calendrier, coïncidence avec le « portage » par un élu, etc.). Autre risque : celui de privilégier des « grands projets » sur des actions qui, parce qu'elles sont moins chères, ont moins de « poids » dans les circuits de décision publique, quand bien même elles seraient plus utiles à la vie quotidienne des usagers.
2. Une réforme limitée du versement transport
La loi de finances rectificative pour 2010 18 ( * ) a réformé le découpage du versement transport, taxe créée en 1971 pour financer les transports collectifs en Ile-de-France et assise sur la masse salariale des entreprises privées et des administrations publiques employant au moins dix salariés. Depuis 1971, trois zones coïncidaient avec les limites départementales : Paris et les Hauts-de-Seine composaient la zone 1, avec un taux plafond à 2,6 %, les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne formaient la zone 2, avec un taux plafond de 1,7 %, tandis que les trois départements de « grande couronne » constituaient la zone 3, avec un taux plafond de 1,4 %.
Le « redécoupage » intervenu en 2010, effectif seulement à compter de juillet 2013, a élargi la zone 2 au périmètre de l'unité urbaine de Paris 19 ( * ) (hors la zone 1) pour mieux tenir compte de l'accessibilité des lieux de travail, dont le versement représente la contrepartie. Le supplément de recette a été évalué à 100 millions d'euros .
La loi de finances pour 2013, ensuite, a relevé les trois plafonds de 0,1 point , les portant respectivement 2,7 %, 1,8 % et 1,5 %.
Ces deux modifications sont fidèles à « la modernisation » du versement transport proposée par Gilles Carrez dans le rapport qu'il a consacré en 2009 au financement du projet de transports en commun du Grand Paris.
Extrait du rapport de Gilles Carrez
L'évolution du VT sur la période 2010-2025 permet de dégager des ressources pour financer les besoins de fonctionnement. Tout d'abord, le VT augmentera tendanciellement à taux constants, du fait de la croissance de la masse salariale accompagnant le développement économique régional : croissance du nombre d'emplois, croissance des salaires plus rapide que l'inflation. Ainsi, sur la période 2000-2008, ce phénomène s'est traduit par un rythme de + 1,1 point au-dessus de l'inflation. La mission propose de tenir compte de l'impact du projet sur l'économie francilienne en revoyant ce rythme à la hausse, dans des proportions raisonnables : elle fait l'hypothèse d'une évolution tendancielle à taux constant du VT de +1,5 point au-dessus de l'inflation. Parallèlement, la modernisation du VT paraît légitime pour deux raisons : - la pertinence du zonage, conçu initialement pour prendre en compte la différence de niveau de service offert, n'est plus avérée face à la structure actuelle du réseau ; plus encore, il apparaît périmé dans la perspective de la mise en oeuvre du projet, prévoyant la réalisation de barreaux structurants en proche et moyenne couronnes ; - le taux du VT appliqué dans les agglomérations de province est de 1,8 % : il est donc supérieur à celui s'appliquant en petite et grande couronnes franciliennes (hors Hauts-de- Seine), pour une part modale des transports collectifs comparable, voire inférieure. Pour ces raisons, la mission propose : - d'actualiser le zonage du VT, en intégrant en zone 2 l'ensemble de l'agglomération au sens de l'INSEE : sa morphologie est en bonne adéquation avec celle du réseau de transports ; à structure d'emplois et de salaires constante, cette mesure conduit à une augmentation du VT de 105 millions d'euros ; - d'augmenter deux fois les taux de 0,1 point : une première fois en début de période avec stabilisation pendant 10 ans, puis une seconde fois en fin de période (2020) ; à structure d'emplois et de salaires constante, cette mesure conduit à un gain de VT de 135 millions d'euros entre 2010 et 2020, puis de 305 millions d'euros à partir de 2020. Au bilan, la ressource dégagée sur la période 2010-2025 est de 11,9 milliards d'euros. |
Source : rapport de la mission « Grand Paris - Financement du projet de transports » par Gilles Carrez, député, 30 septembre 2009.
La réforme, cependant, est-elle allée jusqu'à harmoniser le versement transport à l'ensemble de l'agglomération , comme le proposait le rapport Carrez ?
Le débat n'a pas été véritablement conduit, dès lors que le législateur, dans le cadre du collectif budgétaire 2010, s'est contenté de demander au Gouvernement de « tenir compte de l'unité urbaine de Paris ».
Techniquement, l'INSEE définit l'unité urbaine comme « une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. » 20 ( * ) . Celle de Paris compte 412 communes 21 ( * ) et compte 10,46 millions habitants selon le recensement de 2008.
Cette notion est plus étroite que l'aire urbaine, définie par l'INSEE comme « un ensemble de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unités urbaines (commune périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci . ». L'aire urbaine de Paris déborde de la région Île-de-France 22 ( * ) et compte, selon le recensement de 2008, quelque 12,08 millions d'habitants . L'aire urbaine traduit bien le double phénomène de métropolisation et de périurbanisation constaté au fil des recensements de la population. L'INSEE constate que « les emplois se concentrent davantage dans les grands pôles urbains, alors que de nombreux ménages font le choix de s'en éloigner. Résultat de ces deux effets conjugués, un grand nombre de communes entrent dans l'espace d'influence des grandes aires urbaines. La croissance des grands pôles urbains est forte, mais celle de leurs couronnes est encore plus marquée. » 23 ( * )
Dans le décret du 6 avril 2012 , le Gouvernement a finalement choisi de faire coïncider la zone 2 avec l'unité urbaine de Paris , hors la zone 1 elle-même : pour cette zone 2, qui compte 375 communes, le taux de versement transport est plafonné à 1,8 %, comme pour les métropoles en régions. Enfin, les quelque 960 autres communes franciliennes de grande couronne forment la « zone 3 », avec un plafond à 1,5 %.
3. Des pistes complémentaires souvent évoquées mais peu empruntées
La relance de l'investissement dans les transports collectifs franciliens nécessite de nouvelles sources de financement, pour les infrastructures aussi bien que pour l'exploitation elle-même. Après la Cour des comptes en 2010, le rapport Carrez multiplie les pistes de financement supplémentaires, sinon complémentaires.
Côté fonctionnement, les pistes consistent principalement à faire payer davantage les entreprises et les usagers, tout en demandant un effort supplémentaire de productivité aux opérateurs, avec l'idée « d'un parallélisme de l'effort demandé aux usagers, au monde économique, et aux contribuables - ainsi qu'aux opérateurs par le biais de la productivité » 24 ( * ) . Le rapport Carrez y ajoute le recours à l'emprunt, en particulier pour l'acquisition de matériels roulants et la mise en accessibilité du réseau.
Côté investissement, hors la poursuite de l'autofinancement, les pistes sont plus nombreuses, mais elles sont également plus lointaines :
- un élargissement de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, de commerce et de stockage et une redevance sur la création de bureaux (RCB) ;
- une contribution des usagers de la route, via l'écotaxe poids lourds et des ressources nouvelles liées à la politique de stationnement, voire - pour la Cour des comptes - la création d'un péage urbain ;
- une taxe spéciale d'équipement additionnelle ;
- une augmentation de la taxe de séjour ;
- enfin, un prélèvement sur la valorisation foncière autour des gares.
Le rapport Carrez chiffre ces ressources d'investissement à 17,6 milliards sur 15 ans, ce qui est très optimiste compte tenu des modifications législatives nécessaires, et qui ne sont pas encore intervenues.
Dans son protocole pour une réforme de la tarification des transports en Ile-de-France de décembre 2011, le Stif reconnaît pour sa part que le développement de l'offre représente « un effort exigeant » 25 ( * ) . Il prévoit une clause de rendez-vous courant 2013, entre l'État et la région pour examiner la mobilisation des ressources suivantes :
- des ressources fiscales, pour un montant évalué à 5,53 milliards en provenance de la taxe annuelle sur les bureaux et de la taxe spéciale d'équipement instituée par le collectif budgétaire de 2010, ainsi que de ressources liées au foncier ou à la location de locaux commerciaux en gares ;
- la faculté pour la région de moduler la TIPP, conformément à la loi Grenelle II ;
- la possibilité pour la SGP de consentir des avances remboursables ;
- enfin, la possibilité « d'élargir les limites de la zone 1 du versement transport aux communes de petite couronne les mieux desservies par des moyens de transport public urbains de voyageurs. » 26 ( * )
* 18 Loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, article 32.
* 19 Pour mémoire, le législateur a préféré ce critère à celui de la densité des transports collectifs qui aurait été appréciée par commune. En effet, cette solution est apparue trop complexe puisqu'il aurait fallu agréger plusieurs indicateurs comme la fréquence, le nombre de gares et le temps de trajet à la capitale (la pertinence de ce dernier critère étant du reste contestée, dès lors que les déplacements de banlieue à banlieue gagnent en importance).
* 20 http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/unite-urbaine.htm
* 21 http://www.insee.fr/fr/methodes/nomenclatures/zonages/zone.asp?zonage=UU2010&zone=00851
* 22 Voir les cartes élaborées par l'INSEE en 2011 à l'issue du « nouveau zonage 2010 des aires urbaines », par exemple : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=20&ref_id=17915&page=alapage/alap374/alap374_carte.htm#carte1
* 23 Voir Jean-Michel Floch, et David Levy, « Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010. Poursuite de la périurbanisation et croissance des grandes aires urbaines », INSEE Première n°1375, octobre 2011.
* 24 Rapport Carrez, p. 13
* 25 Protocole pour une réforme de la tarification des transports publics en Ile-de-France, Stif, 7 décembre 2011, annexe, p. 4
* 26 Protocole d'accord du 26 janvier 2011, p.8