2. Le difficile abandon d'une politique qui excluait les salariés âgés de l'emploi
a) L'emploi des seniors ne diminue pas l'emploi des jeunes
La politique de l'emploi a longtemps reposé sur le présupposé selon lequel la sortie de l'emploi des salariés âgés favoriserait l'insertion professionnelle des jeunes et leur libérerait des emplois.
Cette injonction de « laisser la place aux jeunes » ne repose en réalité sur aucun argument économique sérieux. Au contraire, les pays qui enregistrent le plus fort taux d'activité des jeunes sont également ceux dans lesquels le taux d'activité des seniors est le plus élevé. Contrairement à une conception malthusienne de l'emploi, il semble donc exister un cercle vertueux dans certains pays, où les forts taux d'emploi des jeunes et des seniors se renforcent mutuellement.
Dans un contexte de chômage de masse, cette opinion fausse, largement répandue dans la société française, a conduit l'Etat, en accord avec les partenaires sociaux, à mettre en oeuvre des politiques incitant les personnes de plus de cinquante ans à l'inactivité.
Taux d'emploi des jeunes et des seniors en 2011
En
pourcentage du groupe d'âge
Source : OCDE (2012), Perspectives de l'emploi, Editions OCDE, Paris
b) Les salariés âgés ont longtemps été la variable d'ajustement de la politique de l'emploi
Les cessations anticipées d'activité accompagnées d'un important financement public ont longtemps constitué le coeur du consensus social français sur l'emploi, garantissant aux 30-55 ans un emploi stable. Comme le dénonçait déjà le Conseil d'analyse économique (CAE) dans un rapport de 2005 19 ( * ) , le développement des préretraites publiques dans les années 1980 et 1990 a eu pour conséquence de maintenir le taux d'emploi des seniors à un niveau très bas tout en les faisant sortir des statistiques du chômage. Les différents dispositifs de préretraites dont le principal, l'allocation spéciale du fonds national de l'emploi (AS-FNE), était destiné aux salariés licenciés économiques d'au moins cinquante-sept ans, ont concerné jusqu'à 240 000 personnes à la fin des années 1990.
Le second volet de cette politique de soutien à l'inactivité des salariés âgés était incarné par la dispense de recherche d'emploi (DRE), créée en 1984 20 ( * ) . Ouverte à l'origine sans conditions aux personnes âgées de plus de cinquante-sept ans et demi sans emploi, elle leur offrait un revenu de remplacement jusqu'à la liquidation de leur pension de retraite sans être astreints à la recherche d'un emploi. Elle était également applicable à partir de cinquante-cinq ans sous conditions. Qualifiée de « préretraite universelle » par les auteurs du rapport du CAE, elle a concerné jusqu'à 415 000 personnes au début de l'année 2006.
Entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, le nombre de seniors inactifs bénéficiant d'une aide publique est resté stable alors que le nombre des préretraites a diminué. La DRE s'est en effet substituée aux préretraites, préservant la possibilité pour les employeurs de se séparer prématurément de leurs salariés âgés . En conséquence, en 2000, seulement quatre personnes sur dix passaient directement de l'emploi à la retraite, la différence étant principalement constituée, pour trois personnes sur dix, par les préretraites et pour deux personnes sur dix par le chômage.
Des années 1980 au début des années 2000, dans un contexte de croissance faible et de profondes mutations de l'activité économique, la France a fait le choix d'inciter les personnes de plus de cinquante-cinq ans à l'inactivité au nom de la solidarité envers les jeunes actifs. Les résultats ne furent pas ceux escomptés et ce n'est que récemment qu'un changement de cap a été opéré.
* 19 Antoine d'Autume, Jean-Paul Betbèze, Jean-Olivier Hairault, Les seniors et l'emploi en France, CAE, 2005.
* 20 Par l'ordonnance 84-198 du 21 mars 1984 relative au revenu de remplacement des travailleurs involontairement privés d'emploi et portant modification du code du travail.