EXAMEN COMMISSION
MERCREDI 7 NOVEMBRE 2012
M. Christian Cointat , rapporteur. - L'institution des pupilles de la Nation a été créée par la loi du 27 juillet 1917. Le dispositif mis en place permet à la Nation d'adopter, et de prendre en charge, les enfants de parents morts ou grièvement blessés pour la France.
Ce dispositif a d'abord été utilisé à la suite des guerres de 1914 et 1940. Il s'est ensuite appliqué aux guerres d'Indochine et d'Algérie. Il a progressivement été étendu à d'autres situations comme celle des enfants de victimes d'actes de terrorisme ou celle des enfants d'élus, morts dans l'exercice de leur mandat.
La loi du 9 décembre 2004 a prévu que la qualité de pupille de la Nation pourrait être accordée à des majeurs de plus de 21 ans à titre moral. Il s'agit de l'expression d'un devoir de mémoire et de reconnaissance, qui n'emporte aucune obligation de soutien, matériel notamment, de l'État envers ces pupilles.
La proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Leconte vise à compléter ce dispositif, en accordant la nationalité française aux pupilles de la Nation qui la demandent.
Avant d'être nommé rapporteur de ce texte, je croyais qu'il en était déjà ainsi. En effet, il me semble tout à fait curieux que l'adoption par une personne physique puisse permettre à l'adopté d'obtenir la nationalité française, alors que l'adoption par la Nation n'emporte pas une telle conséquence, alors même que la mention de l'adoption par la France est portée en marge de l'acte de naissance du pupille. C'est pourquoi, je vous invite à soutenir ce texte.
Pour être aussi favorable que possible aux enfants, le dispositif a conservé une limite d'âge fixée à 21 ans, âge de l'ancienne majorité. Au-delà de 21 ans, l'office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG) ne gère plus les situations des pupilles de la Nation.
Au cours des auditions, j'ai été très surpris que personne ne puisse me donner une estimation précise du nombre de personnes susceptibles de bénéficier de l'accès à la nationalité française prévu par la proposition de loi.
Si, pour les pupilles de moins de 21 ans le calcul est aisé - un seul enfant serait concerné -, il n'en est pas de même une fois cet âge dépassé. Se pose par exemple la question du nombre de pupilles de la Nation ayant perdu la nationalité française au moment de la décolonisation de l'Algérie, du Maroc ou de la Tunisie. Au total, le texte pourrait concerner quelques milliers de personnes.
Je vous proposerai de compléter la proposition de loi par un article tendant à conférer aux étrangers ayant la qualité de pupille de la Nation, le même droit au séjour que celui reconnu aux ressortissants de l'Union européenne. Il s'agit de l'amendement n° 4. Il paraît en effet surprenant qu'une personne adoptée par la France n'ait pas accès à son territoire.
Quant aux amendements n°s 1, 2 et 3, ils ne sont pas dissociables les uns des autres. Je les ai déposés, pour votre information, pour que vous puissiez vous prononcer en toute connaissance de cause.
En l'état actuel de la proposition de loi, l'octroi de la nationalité française est de droit. Elle est accordée sur simple déclaration.
En l'absence de connaissances précises sur le nombre de bénéficiaires potentiels de ce dispositif, il pourrait être envisagé de distinguer en fonction de l'âge du pupille.
L'objet de l'institution des pupilles de la Nation est d'apporter aux enfants de ceux qui sont tombés pour la France, aide et protection jusqu'à leurs 21 ans. Il est donc tout à fait justifié de leur ouvrir un droit à la nationalité sur simple déclaration.
En revanche, s'agissant des pupilles de plus de 21 ans, l'exigence de protection n'est plus la même et le lien avec la France a pu s'affaiblir avec le temps. Dans cette hypothèse, la procédure de naturalisation, qui est actuellement applicable aux enfants de légionnaires étrangers tués ou grièvement blessés au combat, pourrait apparaître plus adaptée, à la condition qu'elle soit rendue plus accessible aux intéressés, par la dispense des conditions de stage et de résidence.
Quant aux pupilles « à titre moral », ils auraient la possibilité de réclamer la nationalité française par déclaration, dans le délai de trois ans après le prononcé du jugement d'adoption.
Je vous l'ai dit... Ces amendements visent à lancer le débat. Si vous estimez que, malgré l'absence d'évaluation du nombre de personnes qui seront concernées par l'acquisition de la nationalité française, le risque peut-être pris, s'il s'agit d'une volonté politique affirmée, je suis tout à fait disposé à retirer ces trois amendements.
En revanche, je tiens à l'amendement n° 4, sur l'accès au territoire des pupilles de la Nation.
M. Jean-Yves Leconte . - Je tiens à remercier notre rapporteur pour la qualité de son travail. Cette proposition de loi est la reprise d'un texte qui avait été déposé par notre ancienne collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il me semble évident d'accorder la nationalité française à une personne déclarée pupille de la Nation.
Il s'agit de réparer une injustice, presque une erreur, de notre droit de la nationalité.
Pour moi, l'octroi de la nationalité française est fondé sur la qualité de pupille de la Nation. Je ne vois pas de raison de distinguer selon l'âge de la personne. Je préfère donc conserver la rédaction actuelle de la proposition de loi.
Notre rapporteur a toutefois raison, il y a un risque. Pour certains dossiers, les plus anciens, il sera difficile de retrouver la trace de la qualité de pupille de la Nation. Certaines archives ont disparu. La Nation a parfois perdu la mémoire...
Il est donc important que nous ayons ce débat, pour ne pas tromper ceux qui pourraient s'attendre, dès le lendemain de l'adoption de la loi, à avoir la nationalité française.
Mme Hélène Lipietz . - J'ai moi-même vu les effets du droit actuel, ma tante, âgée de 98 ans est pupille de la Nation au titre de la guerre de 14.
Je citerai, en particulier, le cas de pupilles de la Nation, ressortissants algériens, qui vivent en Algérie et n'ont pas de visa pour venir sur la tombe de leurs pères, morts pour la France, au champ d'honneur.
J'approuve donc totalement l'amendement n° 4 du rapporteur qui répare une véritable injustice.
M. Jean-Pierre Sueur , président. - Mes chers collègues, la commission se réunira pour l'examen des amendements extérieurs. Il y aura ensuite un examen en séance publique, au cours duquel nous pourrons interroger le Gouvernement. Nous sommes en première lecture et la procédure accélérée n'a pas été engagée... Ce débat très intéressant pourra donc avoir lieu.
C'est pourquoi, si les trois amendements du rapporteur sont des amendements d'appel, je suggère qu'ils soient retirés. Il s'agit d'un retrait « positif ». Ils pourront tout à fait être repris au titre des amendements extérieurs pour la séance.
M. Christian Cointat , rapporteur. - Monsieur le président, je m'apprêtais à faire la même proposition. Je retire les amendements n°s 1, 2 et 3.
M. André Reichardt . - Monsieur le président, votre proposition est intéressante. Tout sénateur qui le souhaite pourra donc reprendre les amendements du rapporteur pour la séance publique. Nous pourrons ainsi débattre à nouveau de ce sujet, en fin de semaine prochaine.
Les amendements n°s 1, 2 et 3 sont retirés.
M. Jean-Pierre Sueur , président. - Je vous consulte sur le texte ainsi amendé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.