EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN SYSTÈME D'EXPERTISE ET DES MÉCANISMES D'ALERTE QUI ONT MONTRÉ LEURS INSUFFISANCES
A. LES SCANDALES SANITAIRES SUCCESSIFS ONT RÉVÉLÉ LES CARENCES DU DISPOSITIF D'EXPERTISE ET D'ALERTE
Ces dernières années, plusieurs crises sanitaires ont secoué l'opinion publique et mis en question l'efficacité de l'expertise et le traitement et la gestion des alertes par les pouvoirs publics.
La crise de l'amiante en est un exemple caractéristique. Malgré des études récurrentes sur les dangers de l'exposition à l'amiante, vingt-et-une années se sont écoulées entre la reconnaissance de sa cancérogénicité et son interdiction le 1 er janvier 1997. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a ainsi estimé que l'amiante pourrait causer 100 000 décès d'ici à 2025. Exemple d'un cas où les alertes ont été ignorées, celui des salariés des usines de Condé-sur-Noireau, dans le Calvados. Un inspecteur du travail avait alerté dès 1906 sur la mortalité excessive des salariés, qui ont pourtant continué à être exposés à l'amiante jusqu'en 1996, alors même que les risques étaient connus. Quatre-vingts ans plus tard, le médecin du travail des usines, salarié par l'employeur, n'a lui-même jamais donné l'alerte. Il était membre du Comité permanent amiante (CPA), installé en 1982, et aujourd'hui soupçonné d'avoir constamment minimisé les risques pour les salariés exposés à l'amiante. La proximité de ce comité avec les industriels illustre clairement les conflits d'intérêts pouvant exister entre indépendance de l'expertise et intérêts économiques privés.
Deuxième exemple : la révélation de l'affaire du sang contaminé. Celle-ci, en avril 1991, est le fait d'un journaliste, qui publie dans l'hebdomadaire « L'événement du jeudi » un article prouvant que des produits sanguins contaminés par le virus du sida ont été transfusés à des hémophiles. Un rapport du Centre national de transfusion sanguine d'août 1986 avait pourtant alerté sur l'ampleur du drame , affirmant qu'un hémophile sur deux avait été contaminé.
A la suite de ce scandale, la direction de la pharmacie et du médicament, créée en 1977, a été remplacée en 1993 par l'Agence du médicament . Il s'agissait alors de renforcer, de moderniser et de doter de la capacité d'expertise nécessaire une administration très faible. La loi du 1 er juillet 1998 a transformé l'Agence du médicament en Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Cette agence a été entièrement rénovée avec la loi dite « médicament » du 29 décembre 2011, pour tirer les conséquences du scandale Médiator.
Plus récemment, les crises de la grippe A(H1N1) et du Mediator ont relancé le débat sur la nécessité d'améliorer le fonctionnement de l'expertise. Le rôle joué par les firmes pharmaceutiques et le problème des conflits d'intérêts lorsque des enjeux financiers considérables sont en cause a été directement questionné.
L'exemple du Mediator permet notamment de mettre en lumière les dysfonctionnements intervenus dans le système d'expertise . En 1976, le benfluorex, molécule présentée comme une innovation technologique sans précédent, est mise sur le marché dans l'urgence, en négligeant une bonne évaluation des risques . Il faut attendre 1998 pour que de premiers signalements de médecins de la Sécurité sociale pointent les risques de l'utilisation du Mediator comme coupe-faim , c'est-à-dire hors autorisation de mise sur le marché (AMM). En mars 2009, le docteur Irène Frachon, pneumologue au centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, tente de lancer l'alerte sur les risques cardiaques liés à la prise du Mediator . Elle n'est pas entendue et est victime de tentatives d'intimidation. Les laboratoires Servier mènent dans le même temps un intense lobbying auprès des autorités sanitaires, afin d'éviter que le scandale éclate. Le retrait du Mediator intervient finalement en novembre 2009. Deux ans plus tard, le Gouvernement annonce la création d'un fonds public d'indemnisation . Le Mediator serait responsable de 500 à 2 000 décès et représenterait un coût pour la Sécurité sociale de l'ordre de 1,2 milliard d'euros . Le coût, très faible pour l'État, de création de la Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte est à mettre en perspective avec le coût social et financier considérable des scandales sanitaires et environnementaux.