2. Les principales dispositions de la proposition de règlement
Le règlement EMIR vise à traduire les engagements du G 20 en droit européen.
a) L'obligation de compenser les dérivés négociés de gré à gré
L'article 3 pose le principe selon lequel « chaque contrepartie [...] fait compenser ses contrats de produits dérivés de gré à gré » pour autant qu'ils soient considérés comme éligibles, c'est-à-dire standardisés (ou normalisés) pour être traités par une chambre de compensation.
A priori , il est toujours possible qu'un dérivé ne soit pas standardisé, mais dès lors qu'il est standardisé, il est obligatoire qu'il soit compensé.
Ainsi, les dérivés dits « éligibles » à la compensation sont identifiés soit par la CCP qui doit ensuite obtenir l'accord de son autorité nationale de supervision (laquelle informe l'Autorité européenne des marchés financiers [AEMF]), soit par l'AEMF elle-même (article 4).
En effet, l'exposé des motifs du règlement rappelle que, « afin de garantir parallèlement que le plus grand nombre possible de contrats dérivés de gré à gré sera compensé , le règlement prévoit deux approches pour déterminer quels contrats doivent être compensés :
- une approche ascendante (« bottom-up ») : une contrepartie centrale décide de compenser certains contrats et y est autorisé par son autorité compétente, qui est tenue d'en informer l'AEMF. L'AEMF a alors le pouvoir de décider si l'obligation de compensation centrale doit s'appliquer à tous les contrats dans l'Union européenne . [...] ;
- une approche descendante (« top-down ») : l'AEMF décide, en collaboration avec le Comité européen du risque systémique (CERS), quels contrats devraient potentiellement être soumis à l'obligation de compensation centrale ».
L'article 4 ter , ajouté par le Parlement européen, prévoit que l'AEMF crée et gère un registre public indiquant notamment les catégories de contrats dérivés qui sont soumis à l'obligation de compensation centrale et les contreparties centrales qui peuvent être utilisées aux fins de compensation.
Il convient enfin de noter que les contreparties dites « non financières », concrètement les grandes entreprises non financières qui ont recours aux dérivés pour couvrir un risque, devront également faire compenser leurs contrats sous réserve qu'elles dépassent certains seuils définis par l'AEMF.
b) L'obligation de déclaration à un référentiel central des dérivés
L'article 6 du projet de règlement prévoit également que « tous les contrats sur produits dérivés sont transmis à un référentiel central [...]. Les contreparties transmettent les détails de tout contrat dérivé conclu par elles qui n'est pas traité par une contrepartie centrale et de toute modification substantielle, novation ou cessation du contrat ».
Il convient de relever que tous les dérivés sont visés et non seulement ceux négociés de gré à gré. Concrètement, les dérivés dits « listés » et faisant l'objet d'une négociation sur un marché seraient également enregistrés dans la base de données du référentiel central.
L'AEMF aura le pouvoir de décréter une application rétroactive de cette règle de sorte que le référentiel central puisse également enregistrer les contrats déjà signés lors de l'entrée en vigueur du règlement.
Article 6 dans sa rédaction issue des travaux du
Parlement européen
« Ces déclarations comportent au moins les éléments suivants : « a) l'identification appropriée des parties au contrat et, s'il est autre, du bénéficiaire des droits et obligations découlant du contrat ; « b) les principales caractéristiques du contrat, notamment le type de contrat, le sous-jacent, l'échéance, l'exercice, la date de livraison, les données relatives aux prix et la valeur notionnelle ; « b bis ) pour les produits dérivés qui ne sont pas conformes à un format normalisé, il est prévu un espace à compléter permettant aux autorités compétentes d'avoir connaissance de l'existence de cette négociation et de prendre les mesures réglementaires qui s'imposent ; « b ter ) un identifiant unique par contrat ». |
c) L'agrément, la surveillance et les exigences imposées aux contreparties centrales
Les CCP concentrent le risque. Elles doivent par conséquent faire preuve d'une grande robustesse financière . Le projet de règlement définit en détail la procédure d'agrément, la surveillance dont elles font l'objet ainsi que les exigences organisationnelles et prudentielles qui leur sont imposées.
Le texte de la Commission européenne, non modifié sur ce point par le Parlement européen, prévoyait tout d'abord que les CCP relèvent de la supervision de l'autorité compétente sur le territoire duquel elles sont implantées 7 ( * ) .
(1) Le collège des superviseurs
L'agrément (ou son retrait) est valable sur l'ensemble du territoire européen. La décision d'un superviseur pourrait donc avoir des conséquences pour un grand nombre d'Etats membres. La Commission européenne avait prévu, dans le texte initial, que l'autorité nationale ne pouvait délivrer l'agrément qu'après avis de l'AEMF et après avis d'un collège des autres autorités nationales concernées par l'activité de la CCP (articles 13, 14 et 15).
Le Parlement européen a adopté un texte donnant un rôle plus important au collège et à l'AEMF . En effet, aux termes de l'article 13 modifié, « l'autorité compétente n'octroie l'agrément que si elle a acquis la certitude que la contrepartie centrale [...] se conforme à toutes les exigences prévues par le présent règlement [...] et à la condition que l'AEMF ait émis un avis favorable » et après avis du collège des superviseurs. L'article 15 modifié dispose également qu'un « avis favorable ou défavorable du collège requiert un accord à la majorité simple des membres ». Le retrait de l'agrément s'effectue par parallélisme des formes.
Par ailleurs, le Parlement européen a également souhaité que le collège des superviseurs soit présidé par l'AEMF et non par l'autorité nationale compétente et qu'il soit composé au minimum de sept membres.
Il a ajouté deux alinéas précisant que « si la majorité des membres du collège estime que l'autorité compétente [...] n'exerce pas ses responsabilités d'une façon appropriée et que cela constitue une menace pour la stabilité financière, l'AEMF décide si elle juge appropriée la surveillance exercée par l'autorité compétente [...].
« Si elle estime que la surveillance n'est pas appropriée, l'AEMF peut imposer aux autorités compétentes des mesures correctives ».
Ces dispositions ont été au coeur des ultimes négociations entre le Conseil et le Parlement européen ( cf. infra ).
(2) L'accès à la liquidité
Aux cotés des exigences prudentielles, l'accès à la liquidité constitue le pilier essentiel de la robustesse financière des CCP.
Ainsi, le premier alinéa de l'article 10 de la proposition de règlement édicte que ne peut être agréée en tant que CCP qu'une « personne morale établie dans l'Union européenne et qui a accès à une liquidité appropriée ».
Devant la commission des finances et la commission des affaires européennes, le 18 janvier 2012, Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, indiquait : « le défaut d'une chambre de compensation pourrait-il être absorbé par la banque centrale concernée ? On n'attend pas qu'elle recapitalise une chambre de compensation, ce n'est pas son rôle . Dans un bon système de régulation, ce sont les membres qui sont responsables d'un éventuel défaut. Ils doivent mettre en place un système de coussin de sécurité, certains sont logés dans le capital, d'autres sont appelables à tout moment en cas de risque. Sans doute peut-on relever le niveau des coussins de sécurité, mais une partie du risque sera inévitablement répercutée sur les membres. La chambre de compensation cependant, en cas de défaut d'une des parties, commence par saisir le collatéral déposé par l'intervenant défaillant et le vend pour éponger la perte : l'accès à la liquidité de la banque centrale lui évite de brader les actifs dans un contexte de marchés perturbés » 8 ( * ) .
L'accès à la liquidité est donc l'un des éléments fondamentaux de la stabilité financière du système.
Ainsi, l'article 10 prévoit également que « la liquidité peut provenir d'un accès à la liquidité d'une banque centrale ou d'une banque commerciale digne de crédit et fiable, ou aux deux ».
Le Parlement européen n'a pas modifié cet alinéa et chaque Etat reste libre d'imposer que les CCP aient le statut d'établissement de crédit et aient donc un accès privilégié à la liquidité de la banque centrale.
Le Royaume-Uni était en réalité très opposé à l'idée d'obliger les chambres de compensation à se constituer sous forme d'établissement de crédit. En effet, la majorité des dérivés traités en Europe ont un sous-jacent coté en euro. Une telle obligation aurait donc conduit les CCP à privilégier l'accès à la liquidité fournie par la Banque centrale européenne (BCE) et, par là, à être nécessairement implantées dans un Etat membre de la zone euro - au détriment de la City qui possède plusieurs importantes CCP.
Par ailleurs, l'article 43 impose aux CCP d'accepter des garanties « très liquides telles que les espèces, l'or ou des obligations d'Etat ou de société de haute qualité, comportant un risque de crédit minimal pour couvrir leur exposition initiale et présente vis-à-vis des membres compensateurs ».
(3) Les exigences prudentielles
En matière de solvabilité, l'article 12 prévoit que les CCP doivent disposer d'un capital minimum de 10 millions d'euros (5 millions d'euros dans le texte initial de la Commission européenne).
En tout état de cause, le capital doit être « proportionné au volume des activités de la [CCP] et au risque qui leur est attaché ».
A cette fin, l'article 38 dispose que la CCP « mesure et évalue, en temps quasi-réel, sa liquidité et ses expositions de crédit vis-à-vis de chaque membre compensateur [...] ».
La CCP gère le risque en collectant des appels de marge (collatéral déposé en garantie par les membres compensateurs) et en dotant un fonds de défaillance. Ce dernier instrument a pour unique objet de couvrir les pertes supérieures aux appels de marge résultant de la défaillance d'un ou plusieurs membres compensateurs.
Le Parlement européen a renforcé la « force de frappe financière » du fonds de défaillance en prévoyant qu'il doit permettre à la CCP « de résister à la défaillance des deux membres compensateurs vis-à-vis desquels elle présente les plus fortes expositions ».
(4) La gestion des conflits d'intérêts et exigences organisationnelles
La proposition de règlement prévoit également une série d'exigences organisationnelles (administrateurs indépendants, création d'un comité des risques notamment) destinés à promouvoir la bonne gouvernance des CCP.
L'article 5 pose également le principe d'un accès « non discriminatoire » à la compensation . En effet, certaines chambres de compensation sont détenues par leurs membres compensateurs qui pourraient être tentés d'exclure les transactions effectuées par des membres non actionnaires de la chambre.
d) L'enregistrement, la surveillance et les exigences imposées aux référentiels centraux
Les référentiels centraux doivent être enregistrés auprès de l'AEMF (article 51) et doivent pour cela se conformer aux exigences posées par les articles 64 à 67 du règlement. L'AEMF est seule compétente pour enregistrer, surveiller et sanctionner les référentiels centraux en cas de manquement .
Tout comme pour les CCP, le règlement impose des exigences organisationnelles aux référentiels centraux. Outre des dispositions relatives à leur gouvernance, ils doivent notamment rendre « publics les prix et les frais afférents aux services fournis » (article 64).
L'article 66 impose que les référentiels centraux « assurent la confidentialité, l'intégrité et la protection des informations » qu'ils détiennent. Ils doivent également calculer les positions par catégorie de dérivés (qui sont régulièrement publiées de manière agrégée) et par entité déclarante.
e) L'interopérabilité
L'interopérabilité entre les chambres de compensation était initialement inscrite dans le texte de la Commission européenne. Cependant, comme l'indique l'exposé des motifs de la proposition, « l'interopérabilité représente un outil essentiel pour réaliser l'intégration effective du post-marché européen. Elle peut toutefois exposer les contreparties centrales à un surcroît de risques ».
Le Parlement européen a par conséquent souhaité limiter cette possibilité aux échanges effectués au comptant. L'AEMF remettra, au plus tard le 30 septembre 2014, un rapport sur l'opportunité d'étendre le champ d'application de cette disposition.
f) La coopération avec les pays tiers
(1) En matière de chambre de compensation
Une CCP d'un pays tiers peut être reconnue par l'AEMF et être ainsi autorisée à offrir les mêmes services qu'une CCP établie dans l'Union européenne. Pour cela, l'AEMF doit notamment s'assurer que :
- le cadre juridique et le dispositif de surveillance du pays tiers sont équivalents à ceux existant au sein de l'Union ;
- la CCP est agréée dans le pays tiers et y est soumise à une surveillance effective ;
- des modalités de coopération ont été établies avec les autorités de supervision compétentes, notamment en vue d'échanges d'informations.
Le Parlement européen a renforcé les conditions d'accès des CCP de pays tiers au marché européen en y ajoutant six conditions supplémentaires (notamment sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et la lutte contre la fraude fiscale).
(2) En matière de référentiel central
La reconnaissance internationale des référentiels centraux soulève des questions économiques très importantes étant donné que la transparence sur les produits dérivés de gré à gré n'aura véritablement de sens que dès lors qu'un référentiel central sera capable de compiler toutes les données disponibles au niveau mondial ( cf. infra ).
Ainsi, l'article 62 dispose que « la Commission soumet des propositions au Conseil pour la négociation d'accords internationaux avec un ou plusieurs pays tiers portant sur l'accès réciproque aux contrats dérivés de gré à gré détenus dans des référentiels centraux établis dans des pays tiers ».
Sur le modèle applicable aux CCP, les référentiels centraux des pays tiers peuvent proposer leurs services dans l'Union européenne pour autant qu'ils sont reconnus par l'AEMF. L'Union européenne doit, entre autre, avoir conclu un accord international mentionné ci-dessus. Là encore, le Parlement européen a souhaité durcir les conditions de réciprocité.
* 7 Par exemple, en France, la chambre de compensation LCH Clearnet SA a le statut d'établissement de crédit - agréé par l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) - et ses règles de fonctionnement sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers (AMF).
* 8 Table-ronde du 18 janvier 2012 sur la régulation des marchés financiers.