Rapport n° 345 (2011-2012) de M. Dominique WATRIN , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 8 février 2012

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AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Face à l'ampleur de la crise, à la montée dramatique du chômage, à la multiplication des licenciements boursiers alors que les dividendes distribués continuent, malgré la crise, à atteindre des sommes colossales, il est devenu urgent de réagir et d'apporter de nouvelles protections pour les salarié-e-s. Régulièrement, l'actualité est marquée par l'annonce de plans de licenciement décidés par des entreprises qui affichent par ailleurs des profits élevés, ce qui choque légitimement l'opinion publique. Chacun garde en mémoire le cas des entreprises Michelin en 1999 et Lu-Danone en 2001, mais de nombreux autres exemples peuvent être cités.

Nos concitoyens n'acceptent plus que des emplois soient supprimés par des entreprises rentables, dans le seul but d'améliorer la rémunération des actionnaires. Comme l'attestent les 40 milliards d'euros versés aux actionnaires du Cac 40 en 2010, la rémunération du capital est toujours privilégiée sur la défense de l'emploi, ce qui est une illustration de la domination que la finance exerce sur l'économie réelle. Il convient aujourd'hui d'inverser ce rapport de force et de remettre la finance au service de l'économie. On ne peut plus accepter que des milliers d'emplois soient sacrifiés au nom de la crise, alors que dans le même temps, selon le Cabinet PimeView, la valeur des dividendes versés aux actionnaires a augmenté de 13 % en 2010. Dans un tel contexte, une action déterminée du pouvoir politique est indispensable pour y parvenir. A défaut, les suppressions d'emplois vont se poursuivre, notamment dans l'industrie qui a perdu à elle seule 500 000 emplois depuis cinq ans.

La proposition de loi soumise au Sénat s'inscrit dans cette perspective, même si elle n'en constitue bien sûr qu'une première étape. Elle propose une mesure très concrète consistant à interdire les licenciements boursiers . On peut définir un licenciement boursier comme une réduction d'effectifs subordonnée à une logique financière, étrangère à toute nécessité économique ou industrielle.

Si on ne peut empêcher une entreprise connaissant de réelles difficultés, ou confrontée à un bouleversement de son environnement technologique, de se restructurer, il est juste et réaliste, en revanche, d'exiger qu'aucun licenciement pour motif économique ne soit prononcé, tant que les richesses produites dans l'entreprise continuent de profiter aux actionnaires ou détenteurs de parts sociales. Ainsi, un licenciement pour motif économique ne devrait pas être autorisé tant que les détenteurs du capital continuent à être rémunérés. La proposition de loi prévoit, en conséquence, qu'un licenciement économique ne pourrait avoir lieu que si l'entreprise a renoncé à distribuer des dividendes au titre de son dernier exercice comptable.

Pour être respectée, cette règle devra être assortie de sanctions dissuasives : il est donc proposé d'obliger l'entreprise qui procéderait à un licenciement boursier, en violation de la loi, à rembourser les aides publiques qu'elle a perçues. Il n'est pas acceptable que l'argent des contribuables serve à financer des entreprises qui sacrifient l'emploi au nom d'une pure logique financière.

Les salariés victimes d'un licenciement abusif peuvent saisir les tribunaux mais la procédure est longue, ce qui peut en décourager certains d'engager un recours. C'est pourquoi l'inspection du travail devrait pouvoir intervenir en amont, pour vérifier que le licenciement décidé par une entreprise correspond bien à un licenciement pour motif économique et non à un licenciement boursier prohibé par la loi.

Les auteurs de la proposition de loi sont convaincus que ce nouveau cadre juridique est de nature à corriger les abus les plus criants dans le fonctionnement actuel du monde du travail.

I. UN DROIT DU LICENCIEMENT ENCORE INSUFFISAMMENT PROTECTEUR DES SALARIÉS

La proposition de loi vise à renforcer la protection des salariés contre le risque de licenciement boursier, toujours présenté comme étant économique. A l'heure actuelle, l'objectif de mieux rémunérer le capital l'emporte trop souvent sur le souci de développer ou de préserver l'emploi : des entreprises licencient alors que dans le même temps, elles continuent à verser d'importants dividendes.

A. RAPPEL DE LA DÉFINITION DU LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE

Il existe en droit français deux catégories de licenciements : le licenciement pour motif personnel, qui peut sanctionner par exemple une insuffisance professionnelle ou une faute disciplinaire, et le licenciement pour motif économique. C'est la définition de cette deuxième catégorie de licenciements que la proposition de loi entend compléter.

1. La définition légale du licenciement pour motif économique

D'après l'article L. 1233-3 du code du travail, « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » .

Cette définition conduit à distinguer le motif économique du licenciement - la loi en cite deux : les difficultés économiques et les mutations technologiques - et l'élément matériel qui est directement à l'origine du licenciement : suppression ou transformation d'emploi ou modification refusée par le salarié d'un élément essentiel de son contrat de travail 1 ( * ) . Motif économique et élément matériel doivent être réunis pour que le licenciement soit considéré comme ayant une cause réelle et sérieuse 2 ( * ) .

2. Les motifs de licenciements introduits par la jurisprudence

Le code du travail cite seulement deux motifs économiques de licenciement mais les fait précéder de l'adverbe « notamment » , ce qui indique que cette liste n'est pas limitative. La Cour de cassation l'a d'ailleurs complétée en introduisant deux autres motifs économiques de licenciement.

La jurisprudence de la Cour de cassation admet tout d'abord que la cessation d'activité de l'entreprise, sauf si elle est due à une faute de l'employeur ou à sa légèreté blâmable, constitue un motif de licenciement 3 ( * ) .

Elle admet aussi qu'une réorganisation constitue un motif valable de licenciement si elle est nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise 4 ( * ) .

L'introduction de cette notion de sauvegarde de la compétitivité permet aux entreprises de se situer dans une démarche d'anticipation : alors que les difficultés économiques s'apprécient à la date de notification du licenciement 5 ( * ) , l'objectif de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise permet à une entreprise de se réorganiser et de procéder à des licenciements économiques « pour prévenir des difficultés économiques à venir » 6 ( * ) . L'entreprise peut procéder à des licenciements à titre « préventif » si elle démontre que son inaction aurait des conséquences ultérieures plus graves sur l'emploi. Si l'entreprise appartient à un groupe, la réorganisation doit être nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité dont elle relève.

La Cour de cassation a souligné, dans un arrêt d'assemblée plénière 7 ( * ) , qu'il n'appartient pas au juge d'apprécier le choix opéré par l'employeur entre différentes solutions de réorganisation possibles, dès lors qu'une réorganisation est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.

L'employeur, cependant, doit clairement établir que la compétitivité de l'entreprise est menacée. Il ne peut décider des licenciements dans le seul but d'améliorer la rentabilité de l'entreprise ou d'accroître ses profits , comme la jurisprudence a eu à plusieurs reprises l'occasion de le préciser 8 ( * ) .

B. DES DISPOSITIONS INSUFFISANTES POUR PRÉVENIR LES LICENCIEMENTS BOURSIERS

En dépit de ces dispositions législatives et jurisprudentielles apparemment protectrices, des salariés sont régulièrement licenciés par des employeurs peu scrupuleux, qui privilégient la rentabilité à court terme au détriment de l'emploi alors que les fondamentaux économiques de leur entreprise sont sains.

Les deux exemples les plus connus sont ceux de Michelin, en septembre 1999, et de Lu-Danone, au printemps 2001.

Le 8 septembre 1999, Edouard Michelin annonce, simultanément, une augmentation de 20 % du bénéfice semestriel de son entreprise et la suppression, sur trois ans, de 7 500 emplois, soit 10 % des effectifs du groupe en Europe. Le lendemain, le volume de titres échangés sur les marchés atteint un niveau particulièrement élevé - cinq millions de titres sont échangés alors que la moyenne au cours des mois précédents était de l'ordre de 300 000 - et la valeur de l'action Michelin augmente de plus de 11% au cours de la journée.

Le 30 janvier 2001, Danone rend publics des résultats en forte hausse : progression de 7 % du chiffre d'affaires, qui atteint 14,2 milliards d'euros, et hausse de 5,7 % du bénéfice net, qui s'élève à 721 millions. Lu-France, une des entreprises du groupe, réalise à elle seule 132 millions de profit. Ces résultats très positifs n'empêchent pas le groupe d'annoncer un vaste plan de restructuration deux mois plus tard : les sites de Calais et de Ris-Orangis sont fermés, entraînant la suppression de 816 postes ; en Europe, ce sont 1 780 emplois qui sont supprimés. Ces décisions s'expliquent essentiellement par des considérations financières : la marge opérationnelle de la branche biscuits, à 8,7 %, est jugée trop faible par rapport à celle des autres branches du groupe (12 % pour les produits laitiers et pour l'eau).

Comme cela a été indiqué, la jurisprudence s'oppose à ce que des licenciements économiques soient motivés par la seule recherche de bénéfices plus élevés. Incapable d'apporter la preuve que la sauvegarde de sa compétitivité était menacée et que des difficultés économiques étaient à prévoir, Danone a d'ailleurs été condamné par la cour d'appel de Paris, le 2 décembre 2010, à indemniser dix-neuf anciens salariés du site de Ris-Orangis, leur licenciement étant sans cause réelle et sérieuse.

Il est cependant choquant de constater qu'il aura fallu près de dix ans de procédures pour obtenir cette décision de justice, qui ne peut, en outre, donner entièrement satisfaction : si les anciens salariés ont obtenu une réparation indemnitaire, ils n'ont pu empêcher la fermeture de leur usine ni les suppressions d'emplois qui en ont découlé.

Si les cas des entreprises Michelin et Lu-Danone sont les plus connus, d'autres exemples de licenciements boursiers peuvent être cités. En 2009, l'entreprise Total a annoncé 14 milliards d'euros de profit, ce qui ne l'a pas empêchée de supprimer 555 emplois. Un peu plus tard, l'entreprise Alsthom a réalisé 1,2 milliard de profits, au titre de son exercice 2009-2010, et a pourtant décidé 4 000 suppressions de postes. On se souvient aussi de Molex France, dont le dernier site a été fermé fin 2009 alors qu'il était rentable (1,2 million d'euros de profits en 2008), ou encore de la fermeture de l'usine sidérurgique de Gandrange, en Moselle, décidée par le groupe ArcelorMittal, qui avait pourtant affiché 8 milliards de profits l'année précédente. La fermeture de ce site emblématique, malgré les engagements pris par le Président de la République, symbolise l'échec de la politique industrielle mise en oeuvre pendant ce quinquennat. On ne peut manquer enfin d'évoquer la lutte des salariés de Fralib, société qui dépend de la multinationale Unilever, qui se battent actuellement pour tenter de sauver leur emploi et éviter la fermeture de leur usine.

Face à la montée dramatique du chômage, et alors que l'emploi est redevenu la première préoccupation des Français, il est urgent d'apporter de nouvelles protections aux salariés afin de prévenir les licenciements boursiers, et non plus seulement d'en réparer les conséquences.

II. UNE MESURE FORTE D'INTERDICTION DES LICENCIEMENTS BOURSIERS

La proposition de loi vise à agir, enfin efficacement, contre les licenciements boursiers. Depuis l'affaire Michelin, de nombreuses propositions ont été formulées, mais aucune n'a abouti. Les membres du groupe communiste, républicain et citoyen estiment qu'il est grand temps de mettre fin aux excès d'une finance dérégulée, qui a produit tant de catastrophes sur les plans économiques et sociaux, en particulier à partir de la crise de 2008.

A. DE NOMBREUSES PROPOSITIONS ONT DÉJÀ ÉTÉ AVANCÉES POUR LUTTER CONTRE LES LICENCIEMENTS BOURSIERS

Dès 1999, un amendement, rapidement connu sous le nom d'amendement « Michelin », a été adopté pour tenter de limiter les effets des licenciements boursiers : inséré dans la loi du 19 septembre 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, il rendait obligatoire, avant la présentation d'un plan social, la conclusion d'un accord de réduction du temps de travail ou, à tout le moins, l'ouverture de négociations sérieuses et loyales. Cette mesure a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que le législateur avait introduit une obligation trop imprécise et n'avait ainsi pas exercé pleinement sa compétence 9 ( * ) .

Une nouvelle version de cette disposition a été introduite dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Mais son application n'a été que de courte durée, puisque la loi du 3 janvier 2003, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques, l'a suspendue, avant que la loi de modernisation sociale du 19 janvier 2005 ne la supprime entièrement.

La loi de modernisation sociale contenait une autre mesure de nature à éviter les licenciements boursiers. Son article 107 comportait en effet une nouvelle définition du licenciement économique, ainsi libellée : « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail consécutives soit à des difficultés sérieuses n'ayant pu être surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise ».

Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré cet article au motif qu'il portait à la liberté d'entreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de l'objectif poursuivi de maintien de l'emploi. Selon le Conseil, cette définition aurait, d'une part, « interdit à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants ». D'autre part, elle aurait conduit le juge « à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles » .

Ces revers n'ont pas empêché la réflexion sur la prévention des licenciements boursiers de se poursuivre, tout au moins du côté gauche de l'échiquier politique.

En 2009, Jean-Luc Mélenchon et François Autain, sénateurs du parti de Gauche, ont par exemple déposé une proposition de loi n° 285, visant à instaurer un bouclier social face à la crise et portant diverses mesures économiques et sociales d'urgence, dont le chapitre premier tendait à interdire aux entreprises qui font des profits de licencier.

La même année, la députée Marie-Georges Buffet et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi n° 1621, visant à prendre des mesures urgentes de justice sociale en faveur de l'emploi, des salaires et du pouvoir d'achat 10 ( * ) , dont l'article premier contient une disposition qui tend à interdire les licenciements boursiers. Ce texte a été examiné à l'Assemblée nationale, en séance publique, le 28 mai 2009 puis un vote solennel a été organisé le 2 juin. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC) ont voté en faveur de ce texte qui a cependant été rejeté par la majorité de droite de l'Assemblée.

B. UNE MESURE D'INTERDICTION EFFICACE ET RÉALISTE

La proposition de loi examinée au Sénat s'inscrit dans le prolongement de ces précédents textes. Conformément au protocole organisant la concertation avec les partenaires sociaux, elle a été soumise pour avis aux organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives, dont les réponses sont publiées en annexe de ce rapport. La confédération générale du travail (CGT) a notamment émis un avis tout à fait favorable sur ce texte.

Elle vise à interdire les licenciements boursiers, c'est-à-dire, concrètement, à interdire aux entreprises qui ont versé des dividendes l'année précédente de procéder à des licenciements pour motif économique.

Cette disposition n'empêcherait pas une entreprise qui fait des profits de procéder à des licenciements économiques dès lors que ces profits servent à financer des investissements et non à rémunérer le capital. Une entreprise encore bénéficiaire, mais qui voit ses marges se réduire d'année en année, peut en effet être contrainte de procéder à des licenciements économiques. Il ne serait pas prudent d'attendre que l'entreprise réalise des pertes pour l'autoriser à se réorganiser : la réorganisation risquerait alors d'arriver trop tard et de s'accompagner de suppressions d'emplois plus importantes que celles qu'une réorganisation plus précoce aurait conduit à décider.

Grâce à cette mesure, ce sont les détenteurs du capital qui seront les premiers à faire des efforts, en cas de besoin, et non les salariés. Ce n'est que justice : l'immense majorité des salariés ne disposent que du revenu tiré de leur travail pour vivre alors que ceux qui investissent dans le capital des entreprises ont généralement d'autres sources de revenus.

Pour assurer une meilleure application de cette disposition, un nouveau pouvoir de vérification serait reconnu à l'inspection du travail . Il ne s'agit pas de rétablir l'autorisation administrative de licenciement mais simplement de permettre à l'inspection du travail de constater si une entreprise est ou non en infraction. Le procès-verbal dressé par l'inspecteur du travail pourra servir ensuite d'élément de preuve devant le juge, ce qui aidera le salarié à faire valoir plus facilement ses droits.

Se pose enfin la question de la sanction applicable aux entreprises qui auraient licencié alors qu'elles ont distribué des dividendes. Outre l'indemnisation due aux salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'entreprise serait tenue de rembourser les aides publiques qu'elle a perçues. Cette sanction paraît de nature à dissuader les employeurs de méconnaitre la règle posée par la proposition de loi et d'éviter que l'argent public serve à enrichir les actionnaires au mépris de la protection de l'emploi et des droits des salariés.

*

* *

Considérant que cette proposition de loi apporte une réponse appropriée aux abus constatés en matière de licenciements économiques, votre commission vous demande de l'adopter dans la rédaction issue de ses travaux.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art. L. 1233-3 du code du travail)
Interdiction des licenciements économiques
pour les entreprises qui ont versé des dividendes

Objet : Cet article tend à interdire aux entreprises de procéder à des licenciements pour motif économique lorsqu'elles ont versé des dividendes à leurs actionnaires l'année précédente.

I - Le dispositif proposé

Cet article tend à compléter la définition du licenciement pour motif économique figurant à l'article L. 1233-3 du code du travail.

A l'heure actuelle, le licenciement pour motif économique est défini comme « le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié 11 ( * ) résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques 12 ( * ) » .

Il est proposé de compléter cette définition en précisant que ne peut être considéré comme un licenciement pour motif économique celui prononcé par une entreprise qui a distribué des dividendes à ses actionnaires dans l'exercice comptable de l'année écoulée.

Il est ensuite proposé de confier à l'inspection du travail la mission de procéder aux vérifications nécessaires pour l'application de cette nouvelle disposition.

II - Le texte adopté par la commission

La commission a amélioré la rédaction de cet article sur plusieurs points. Elle a d'abord rappelé qu'est réputé sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique prononcé par une entreprise qui a distribué des dividendes.

Elle a précisé que les dividendes sont versés « au titre du dernier exercice comptable » afin de tenir compte du fait que les dividendes sont versés après la clôture de l'exercice comptable, parfois à l'issue d'un délai de plusieurs mois.

Elle a supprimé la référence aux « actionnaires » afin que l'article s'applique à toutes les entreprises, quelle que soit leur forme sociale, et non aux seules sociétés par actions (sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées et sociétés en commandite par actions). Les auteurs de la proposition de loi souhaitent qu'elle s'applique de la manière la plus large possible.

Enfin, la commission a souhaité préciser la mission de l'inspection de travail. Elle pourrait être saisie par le salarié à qui un licenciement pour motif économique a été notifié. Elle serait chargée de procéder aux vérifications utiles pour s'assurer que l'entreprise respecte bien l'interdiction posée par cet article. Le procès-verbal établi par l'inspecteur du travail pourrait ensuite servir d'élément de preuve devant le juge pour permettre au salarié de faire valoir plus facilement ses droits.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

Article 2
(art. L. 1233-1 du code du travail)
Remboursement des subventions publiques
en cas de licenciement boursier

Objet : Cet article prévoit que les entreprises qui reçoivent des subventions publiques les remboursent si elles procèdent à des licenciements boursiers.

I - Le dispositif proposé

Il est proposé d'insérer dans le code du travail un nouvel article L. 1233-1.

Ce nouvel article disposerait que les entreprises ou établissements bénéficiant de subventions publiques s'engagent à ne réaliser aucun licenciement autre que ceux pour motif personnel ou économique. Si cet engagement n'était pas respecté, l'entreprise ou l'établissement devrait rembourser les subventions reçues aux autorités publiques qui les ont octroyées. Toutes les subventions sont visées, quelle que soit leur forme.

II - Le texte adopté par la commission

L'intention des auteurs du texte était en réalité de sanctionner les entreprises qui procèderaient à des licenciements boursiers, en violation de l'article premier de la proposition de loi, en les condamnant à rembourser les subventions publiques qu'ils ont perçues. La commission a donc modifié la rédaction de l'article afin de l'indiquer plus clairement.

La commission a également décidé de remplacer le terme de « subventions publiques » , trop restrictif, par celui « d'aides publiques » , qu'il faut entendre au sens large : subventions, mais aussi aides sous forme d'allègements de cotisations sociales ou de réductions d'impôt.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 8 février 2012 , sous la présidence d' Annie David, présidente, la commission examine le rapport de Dominique Watrin, rapporteur, sur la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers.

Dominique Watrin , rapporteur . - Il est devenu urgent de réagir à la montée dramatique du chômage et d'apporter de nouvelles garanties aux salariés face à la multiplication des licenciements boursiers qui consistent en une réduction d'effectifs décidée par une entreprise hors de toute nécessité économique ou industrielle, alors qu'elle continue à distribuer des dividendes.

Chacun se rappelle l'exemple de Michelin annonçant en septembre 1999 un bénéfice semestriel en hausse de 20 %, puis la suppression de 7 500 emplois, soit 10 % des effectifs employés en Europe. Le lendemain, son cours de bourse avait bondi de 11 % ! Dans le même esprit, les résultats très positifs de Lu-Danone, rendus publics en 2001, ont été suivis deux mois plus tard par la suppression de huit cents emplois et la fermeture de deux sites - un à Ris-Orangis et l'autre dans mon département, à Calais. Plus près de nous, le groupe ArcelorMittal - dont les profits se comptent par milliards - a abandonné à leur sort les ouvriers de l'usine sidérurgique de Gandrange malgré les promesses du Président de la République. A n'en pas douter, la fermeture de ce site symbolisera l'échec de la politique industrielle du quinquennat. Enfin, seule la logique financière aveugle explique la fermeture fin 2009 du dernier site de Molex France, alors qu'il était parfaitement rentable. Aujourd'hui, les salariés de Fralib, qui dépend de la multinationale Unilever, se battent pour sauver leur usine.

Si nous voulons stopper l'hémorragie des emplois industriels, dont cinq cent mille ont disparu en cinq ans, il est indispensable que de nouvelles règles du jeu remettent la finance au service de l'économie. Tel est l'objectif de la proposition de loi déposée par le groupe communiste, républicain et citoyen tendant à interdire les licenciements boursiers.

Ce texte tend à mettre un terme aux abus les plus criants parmi les licenciements économiques. Aujourd'hui, quatre motifs peuvent être invoqués pour justifier un licenciement économique : des difficultés économiques, des mutations technologiques, la sauvegarde de la compétitivité ou la cessation de l'activité de l'entreprise. La jurisprudence de la Cour de cassation est claire : les licenciements ne peuvent être décidés dans le seul but d'améliorer les profits ou d'accroître la rentabilité. Sur cette base, la cour d'appel de Paris a condamné Danone le 2 décembre 2010 à indemniser dix-neuf anciens salariés pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Je m'en réjouis, tout en déplorant qu'il ait fallu dix ans de procédure pour arriver à ce résultat. C'est pourquoi il faut aller plus loin.

Nous proposons une mesure efficace et réaliste interdisant aux entreprises de procéder à des licenciements économiques lorsqu'elles ont versé des dividendes au titre du dernier exercice écoulé. Cette disposition s'inspire d'une mesure figurant dans une proposition de loi que Marie-George Buffet a déposée à l'Assemblée nationale et qui a été approuvée, en juin 2009, par l'ensemble des députés de gauche. Elle n'empêcherait pas les entreprises réalisant des bénéfices de licencier, pourvu que les profits servent à financer des investissements, non à rémunérer le capital. En effet, les licenciements par anticipation peuvent parfois éviter des suppressions d'emplois encore plus importantes.

L'objectif est que les premiers efforts soient mis à la charge des détenteurs du capital, qui disposent habituellement d'autres sources de revenus, alors que l'immense majorité des salariés a besoin de travailler pour vivre.

Sans rétablir l'autorisation administrative de licenciement, nous proposons d'attribuer un nouveau pouvoir de vérification à l'inspecteur du travail, dont le procès-verbal pourrait être utilisé devant le juge pour aider les salariés à faire valoir leurs droits.

Outre l'indemnisation due aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse, l'entreprise devrait aussi rembourser les aides publiques perçues, qu'il s'agisse de subventions, d'allégements fiscaux ou d'exonérations de cotisations sociales. Cette sanction me paraît de nature à dissuader les employeurs de méconnaître la règle posée par la proposition de loi ; elle éviterait que l'argent public ne serve à enrichir les actionnaires au mépris des salariés.

Je vous invite à voter cette proposition de loi, sous réserve de deux amendements rédactionnels. Elle répond à l'attente de millions de nos concitoyens désireux de mettre un peu d'ordre et de justice dans notre marché du travail et dans notre économie. Elle constitue la première pierre d'un édifice plus vaste à construire afin que la recherche d'un dividende plus élevé cesse de l'emporter sur la défense de l'emploi et des salaires.

Christiane Demontès . - Cette proposition de loi va dans le bon sens. On peut certes discuter la définition des licenciements boursiers, mais comment ne pas vouloir pénaliser les entreprises qui versent des dividendes tout en licenciant des salariés ? Ce n'est qu'une question de morale !

Appréciant cette proposition de loi et les explications utiles fournies par Dominique Watrin, nous serons attentifs à ses amendements, qui rendent le texte plus lisible.

Ronan Kerdraon . - Je vais faire un peu de politique. Qui n'en fait pas ici ? « Il faut opposer l'effort du travailleur à l'argent facile de la spéculation. » C'est ce que M. Sarkozy a déclaré en septembre 2008. Une de ses nombreuses promesses non tenues...

En février 2001, le tribunal de grande instance de Troyes a jugé abusifs des licenciements motivés par l'insuffisance des profits. C'était une première ! Autrefois, on licenciait faute d'avoir un marché ; maintenant, on licencie parce que les profits sont insuffisants, puis on délocalise vers le Brésil, l'Inde ou la Chine. Cette forme de délinquance économique n'est pas sans évoquer celle des « patrons voyous ». De nombreux salariés, des femmes souvent, ont perdu leur travail de cette façon, parfois après vingt-cinq ans d'ancienneté.

Nous soutenons totalement cette proposition de loi. C'est effectivement une question de morale.

Jean-Noël Cardoux . - Le rapporteur et les intervenants se sont fondés sur certains abus, mais la philosophie du texte repose sur une méconnaissance de l'économie de marché.

Commençons par son intitulé : il mentionne des « licenciements boursiers » alors que le texte s'applique aussi aux PME, qui ne sont guère cotées en bourse.

Une entreprise a certes besoin de salariés mais aussi de moyens de production. Leur acquisition suppose un apport personnel du chef d'entreprise, l'éventuel investissement direct de personnes privées, parfois l'appel à l'épargne sur le marché des actions, enfin des prêts bancaires. Les banques prennent des garanties pour protéger leurs arrières si l'entreprise cesse son activité. En revanche, les investisseurs peuvent tout perdre, exactement comme les salariés. Il est donc légitime de rémunérer le capital plus généreusement que ne le ferait un Livret A.

Les dividendes sont votés par l'assemblée générale des actionnaires. On peut s'interroger sur leur caractère raisonnable, mais la proposition de loi prenant le sujet par le petit bout de la lorgnette, elle risque de dissuader les investisseurs étrangers de placer leurs capitaux en France, aboutissant ainsi à un résultat inverse de celui recherché.

Une loi a été votée l'an dernier pour imposer à titre expérimental, jusqu'en 2013, que les entreprises employant plus de cinquante personnes versent aux salariés une part de leurs bénéfices lorsqu'elles distribuent des dividendes. Certaines sociétés versent des superdividendes ; il est légitime que les salariés aussi en profitent, même si le sujet n'est pas facile. Cela vaut mieux que d'aller vers un système coercitif, contraire à la démarche économique.

René-Paul Savary . - Nous sommes tous sensibles à ce problème, que nous connaissons. Son origine tient au fait que les entreprises sont tenues par des financiers, non par des industriels. Malheureusement, l'attache entre l'entreprise et son personnel a disparu.

Je crains que cette proposition de loi très politique ne soit aisément détournée par les groupes financiers, qui vont localiser les dividendes là où ça les arrange.

Tout comme Jean-Noël Cardoux, je ne veux pas rester les bras croisés face aux drames sociaux, mais il ne faut pas décourager les investissements étrangers. La France est le premier pays destinataire d'investissements étrangers au sein de l'Union européenne, mais notre réputation dans certains domaines a déjà conduit certains investisseurs à s'implanter ailleurs, par exemple pour le fret aérien ou portuaire. Je souhaite que nous approfondissions la suggestion formulée par M. Cardoux.

Dominique Watrin , rapporteur . - Je remercie les intervenants qui soutiennent cette initiative.

Madame Demontès, nous avons évité l'écueil consistant à définir les licenciements boursiers dans le corps du texte, mais nous proposons une règle claire pour aider les salariés à faire valoir leurs droits.

Monsieur Kerdraon, tous les élus locaux connaissent la réalité des licenciements boursiers. Ils ont entraîné à Hénin-Beaumont, que je connais bien, la perte de deux mille emplois.

Monsieur Savary, comment réparer les dégâts sociaux que cela entraîne, avec des décisions de justice qui interviennent dix ans après ? Six ans après leur licenciement, les anciens salariés de Samsonite à Hénin-Beaumont sont encore en justice ! Il faut éviter les licenciements infondés et intervenir en aval. Quand une entreprise s'en va, c'est une catastrophe pour le territoire.

Monsieur Cardoux, d'après l'Insee, les dividendes sont passés, entre 1993 et 2007, de 7 % de l'excédent brut d'exploitation à 16 % et ils ont quintuplé en valeur. Parallèlement, cinq cent mille emplois industriels ont disparu. On peut critiquer ce texte, mais le laisser-faire, laisser-aller ne convient pas !

Certes, la proposition de loi ne règle pas tout. Mais cette première pierre d'un édifice adressera un signal énergique pour que les actionnaires soient les premiers à consentir un sacrifice en cas de difficultés.

Gilbert Barbier . - Comment appliqueriez-vous ce texte dans l'hypothèse où une entreprise cotée en bourse supprime cinquante emplois ici mais en crée autant ailleurs, pas nécessairement en France ?

Gérard Roche . - Nous sommes tous révoltés par les licenciements boursiers, mais vouloir empêcher la disparition d'emplois ne doit pas conduire à dissuader les investisseurs de venir sur notre territoire. Le dispositif devrait être, au minimum, établi au niveau européen.

Quant à l'article 2, il me paraît tout à fait justifié : la moindre des choses est que l'entreprise concernée rembourse les aides perçues.

René-Paul Savary . - C'est déjà le cas !

Annie David , présidente . - Cette obligation figurait dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, mais le dispositif a été supprimé par le gouvernement suivant.

René-Paul Savary . - J'ai été conseiller régional. Lorsque le conseil régional accordait une aide à l'emploi, c'était dans le cadre d'une convention imposant aux entreprises de rembourser les sommes perçues si l'objectif n'était pas atteint. Il en va de même pour les aides actuellement versées.

Annie David , présidente . - Vous pourrez donc voter cet article !

René-Paul Savary . - Il ne me gêne pas.

Annie David , présidente . - Toutes les régions n'utilisent peut-être pas le type de convention dont vous parliez. Si toutes souhaitent le faire, pourquoi ne pas inscrire la règle dans la loi ?

Dominique Watrin , rapporteur . - La suggestion d'une mesure au niveau européen n'est pas illégitime mais les règles de licenciement relèvent, pour l'heure, du droit national. Au demeurant, nous pouvons nous interroger pour savoir si nous voulons une Europe du dumping social ou une Europe de la coopération, du progrès social et du développement.

Si cette proposition de loi n'était pas votée, il faudrait adopter d'autres mesures ayant le même effet.

Supprimer des emplois en France pour en créer en Chine, est-ce licencier ? Oui ! D'ailleurs, les exemples que j'ai cités concernent des entreprises qui ont fermé un établissement en France pour investir à l'étranger. Metal Europ n'a pas agi autrement lorsque le cours du plomb a chuté alors que les exigences réglementaires devenaient de plus en plus pressantes en matière de pollution : son actionnaire suisse, Glencore, a préféré faire travailler des usines au Kazakhstan et en Chine. Résultat : la France a perdu huit cents emplois directs et cinq cents à mille emplois indirects.

Claude Léonard . - L'article 2 pourrait être accepté, à condition d'introduire une proportionnalité entre le remboursement et la non-réalisation de l'intégralité des objectifs inscrits dans la convention. Il faut en outre distinguer la suppression d'emplois pérennes et celle de postes intérimaires.

René-Paul Savary . - Nous sommes tous sensibles à ces licenciements. Ceci étant, je pense également aux sociétés qui ne distribuent pas de dividendes mais qui licencient chez nous pour délocaliser. Ce texte ne les vise pas. Il n'entend donc pas empêcher les délocalisations.

Au demeurant, l'enchaînement classique observé sur le terrain est le suivant : baisse de l'investissement, baisse des profits, licenciements après qu'un groupe financier a pris les commandes.

En outre, lorsqu'elles s'installent dans un espace spécialement aménagé par une collectivité, les entreprises bénéficient de dépenses publiques sans percevoir de subventions directes. Je pense à la création de zones d'activités ainsi qu'aux infrastructures routières.

Un dernier point : une entreprise peut licencier après avoir satisfait à tous les engagements pris en échange de subventions publiques. Il faut donc rationaliser le dispositif.

Jean-Noël Cardoux . - Nous devons être très prudents.

L'article 2 impose de rembourser toutes les aides publiques. Il faudrait se limiter à celles destinées à soutenir l'emploi. Le crédit d'impôt recherche ne devrait pas être concerné.

D'autre part, l'intervention d'une société de capital-risque s'accompagne parfois d'un dividende prioritaire. Il faut prendre en compte ce cas de figure.

Georges Labazée . - Des aides publiques peuvent prendre la forme d'avances remboursables ou de subventions directes. Les règlements mis en place par certains conseils généraux ou conseils régionaux imposent déjà le remboursement des subventions.

Christiane Demontès . - A entendre nos collègues, on pourrait croire que la proposition de loi n'a pas d'objet. Sans salariés, il n'y aurait pas d'entreprise. Ils ne sont pas des variables d'ajustement. Nous devons aujourd'hui agir par la loi.

Qu'un salarié puisse dénoncer les modalités de son licenciement est une bonne chose. J'ai, moi aussi, siégé dans un conseil régional. Je connais donc les aides et les avances remboursables qu'on accorde et les aménagements routiers qu'on réalise pour les entreprises. Il n'y a aucune raison que certaines d'entre elles perçoivent des aides, s'en lavent les mains et partent ailleurs. Certes, des conventions existent, mais pourquoi ne pas inscrire leurs principes dans la loi ?

Il ne s'agit pas d'interdire les licenciements économiques mais seulement ceux motivés par un objectif boursier. Licencier parce qu'on manque de clients est une chose, c'en est une autre de licencier pour satisfaire le capitalisme financier. Il faut mettre un peu de morale dans tout ça !

Ronan Kerdraon . - Nous ne sommes hostiles ni aux entreprises, ni aux investissements internationaux, car nous ne sommes pas stupides ! Le texte vise seulement une forme de délinquance, comme la fermeture en 2001, par Honeywell, du site de Condé-sur-Noireau malgré un bénéfice atteignant 900 millions de dollars, pour aller ailleurs.

Jean-Pierre Godefroy . - En Hongrie !

Ronan Kerdraon . - La situation actuelle encourage les délocalisations. Nous devons donc avoir le courage de faire aujourd'hui ce qui aurait déjà dû être décidé avant. Cessez d'agiter le chiffon rouge, comme vous l'aviez déjà fait en 1981, en disant que nous allons dissuader les entreprises étrangères de venir en France !

Jean-Pierre Godefroy . - Honeywell a fait preuve d'un machiavélisme extraordinaire, puisque cette entreprise a refusé de remettre en état un site amianté. Désormais, la charge du désamiantage du site reposera exclusivement sur la collectivité nationale. Il faut faire quelque chose !

Jean Desessard . - Je voterai cette proposition de loi car on ne peut se contenter de déplorer les pertes d'emplois et les délocalisations en disant que nous en souffrons tous. Un politique doit agir.

En séance, nous aurons l'occasion de reparler de la lutte des classes. En attendant, monsieur Savary, vous me rappelez une discussion que j'ai eue avec un député UMP. Comme il incriminait le coût du travail en France, je lui ai objecté que nous étions le pays européen qui attirait le plus d'investisseurs internationaux. Vous l'avez confirmé aujourd'hui. Lorsqu'ils viennent en France, que cherchent les investisseurs internationaux ? Des entreprises ayant beaucoup d'actifs pour les revendre à la découpe ? Veulent-ils procurer à leurs cadres des conditions de vie agréables, un environnement culturel et naturel préservé, où l'on n'exploite pas le gaz de schiste ?

Monsieur Roche, j'approuverais une intervention européenne, mais nous devons agir dès lors qu'elle n'existe pas. Même le Président de la République se propose de lancer la taxe Tobin dans notre seul pays !

René-Paul Savary . - Je ne partage pas votre opinion car le marché règle une part de notre économie. Et je n'ai pas entendu le mot « marché » dans vos propos.

Jean Desessard . - Ni moi le mot « salarié » dans les vôtres.

René-Paul Savary . - Initialement tenté de voter cette proposition de loi, j'avais, au fil du débat, évolué vers l'abstention, mais ce que vous dites me fera voter contre un texte qui découragerait les investisseurs internationaux.

Gérard Roche . - Ce que nous venons d'entendre conforte mon argumentation : il faut moraliser à l'échelle européenne, malheur à celui qui commence seul !

Je rappelle par ailleurs que les avances remboursables consenties par les collectivités territoriales doivent, par nature, être remboursées.

Annie David , présidente . - Monsieur Savary, attirer des investisseurs pour qu'ils viennent, pendant quelques années, profiter de l'argent public avant de repartir ne nous intéresse pas !

Dans ma région, M. Chirac a inauguré en grande pompe une entreprise qui a bénéficié d'argent public avant de fermer sans pénalités. Elle était dirigée par des financiers, non par des entrepreneurs.

J'aimerais que notre pays ait une stratégie industrielle, sans dérouler le tapis rouge devant des investisseurs qui cherchent exclusivement à s'enrichir encore plus sur le dos des travailleurs. Cette proposition de loi permettra aux femmes et aux hommes qui travaillent beaucoup d'être pris en considération.

Dominique Watrin , rapporteur . - Nous poursuivrons le débat en séance mais le fait est que les « patrons voyous » participent d'un système dans lequel le monde de la finance impose ses exigences à l'économie. C'est le cas des fonds d'investissement qui rachètent des entreprises en pensant uniquement au profit qu'ils peuvent en tirer en quelques années, au prix de pressions considérables sur les salaires et l'emploi. Elles sont à bien distinguer des entreprises qui, non soumises à cette domination de la finance, se battent au contraire sur nos territoires pour développer l'activité et l'emploi.

Si l'article 1 er , de principe, était respecté, l'article 2, de sanction, n'aurait pas lieu d'être mais l'on sait que la justice est lente et la loi peut être détournée. Il est bien sûr toujours possible de durcir ou d'alléger les modalités de remboursement, mais le texte propose que ces modalités soient fixées par décret en Conseil d'Etat afin, par exemple, de définir jusqu'où remonter dans le temps pour le remboursement des aides.

Certaines entreprises profitent de la jurisprudence actuelle et c'est pourquoi il nous faut être plus exigeants en prenant en compte toutes les aides publiques, c'est-à-dire non seulement les subventions mais aussi les exonérations fiscales ou sociales. Lorsqu'une collectivité accomplit un effort financier pour attirer une entreprise, elle le fait pour créer de l'emploi et, si tel n'est pas le cas, il est normal qu'elle se retourne contre cette dernière.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er

Dominique Watrin . - Le premier amendement vise tout d'abord à prendre en compte, dans la rédaction de l'article 1er, le fait que les dividendes sont versés après la clôture de l'exercice comptable. Il propose ensuite de supprimer la référence aux « actionnaires » pour que le dispositif s'applique à toutes les entreprises, et pas seulement aux sociétés par actions. Enfin, il précise la mission de l'inspection du travail qui pourra être saisie par un salarié à qui un licenciement pour motif économique a été notifié, afin de vérifier si l'entreprise a bien respecté les dispositions de l'article 1 er . Le procès-verbal établi par l'inspecteur du travail pourra être présenté au juge, facilitant ainsi la démarche du salarié qui demande à faire valoir ses droits.

L'amendement est adopté ainsi que l'article 1 er ainsi rédigé.

Article 2

Dominique Watrin , rapporteur . - L'amendement propose de préciser la rédaction de l'article 2, qui dispose que toutes les aides publiques sont remboursées quelle que soit leur forme.

Gérard Roche . - Bien que nous approuvions l'esprit de cet amendement, nous allons nous abstenir puisque nous ne votons pas le texte.

L'amendement est adopté ainsi que l'article 1 er ainsi rédigé.

La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

ANNEXES

Contributions reçues en réponse à la saisine des organisations syndicales représentatives de salariés et d'employeurs, effectuée en application du protocole organisant, à titre expérimental, la concertation avec les partenaires sociaux préalablement à l'examen, par le Sénat, de la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers :

- contribution de la Confédération générale du travail (CGT) ;

- contribution de la Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC) ;

- contribution de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) ;

- contribution de l'Union professionnelle artisanale (UPA).

TABLEAU COMPARATIF

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Textes en vigueur

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Texte de la proposition de loi

___

Texte de la Commission

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Proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers

Proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers

Code du travail

Article 1 er

Article 1 er

Art. L. 1233-3. - Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au premier alinéa.

L'article L. 1233-3 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

Alinéa sans modification

« Ne peut constituer un motif économique de licenciement d'un salarié, celui prononcé en raison des alinéas précédents si, dans l'exercice comptable de l'année écoulée, l'entreprise a distribué des dividendes aux actionnaires.

« Est réputé sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique prononcé par une entreprise qui a distribué des dividendes au titre du dernier exercice comptable écoulé.

« L'inspection du travail procède aux vérifications nécessaires pour l'application de l'alinéa précédent. »

« Le salarié auquel un licenciement pour motif économique a été notifié peut saisir l'inspection du travail afin qu'elle vérifie si le licenciement peut être prononcé en application de l'alinéa précédent. »

Article 2

Article 2

Après l'article L. 1233-3 du même code, il est inséré un article L.1233-3-1 ainsi rédigé :

Alinéa sans modification

« Art. L. 1233-3-1 . - Les établissements ou entreprises qui bénéficient de subventions publiques, sous quelques formes que ce soit, s'engagent pour conserver le bénéfice de ces aides à ne réaliser aucun licenciement autre que ceux pour motif personnel ou économique. À défaut, celle-ci est tenue de rembourser la totalité des aides publiques qu'elle a perçues aux autorités qui les ont octroyées. »

« Art. L. 1233-3-1. - L'établissement ou l'entreprise qui bénéficie d'aides publiques, sous quelque forme que ce soit, ne les conserve que s'il ne réalise pas de licenciement pour motif économique interdit par le troisième alinéa de l'article L. 1233-3. À défaut, il est tenu de rembourser la totalité des aides perçues aux autorités publiques qui les ont octroyées, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. »


* 1 Le salaire, la durée du travail, le lieu de travail sont des éléments essentiels du contrat de travail. Ils ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié.

* 2 Tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse pour être licite.

* 3 Cass. soc., 16 janvier 2001.

* 4 Cass. soc., 5 avril 1995.

* 5 Cass. soc., 2 avril 1998.

* 6 Arrêt « Pages jaunes », Cass. soc., 11 janvier 2006.

* 7 Cass., ass. plen., 8 décembre 2000.

* 8 Cass. soc., 30 septembre 1997 ; Cass. soc., 1 er décembre 1999 ; Cass. soc., 6 mars 2007.

* 9 Décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000.

* 10 Cf. le rapport AN n° 1686 (XIII e législature), fait par Daniel Paul, député, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

* 11 Le licenciement prononcé pour un motif inhérent à la personne du salarié est un licenciement pour motif personnel qui obéit à un régime juridique distinct.

* 12 Outre les difficultés économiques et les mutations technologiques, la jurisprudence considère que la sauvegarde de la compétitivité et la cessation d'activité de l'entreprise sont des motifs valables de licenciement économique.

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