PREMIÈRE PARTIE - LA LUTTE CONTRE L'OPACITÉ FISCALE, ENTRE DÉFI ET DÉNI ?
La mise en oeuvre de la coopération fiscale constitue un objectif difficile à atteindre en raison des nombreux obstacles tant techniques que politiques dressés par les paradis fiscaux. L'OCDE a tenté d'inciter à la transparence par une identification des Etats et territoires non coopératifs (ETNC) suivie d'une évaluation. La démarche française consiste en l'application de sanctions fiscales aux Etats n'entrant pas dans le réseau conventionnel français. Si l'action politique est passée du déni des pratiques fiscales dommageables au défi d'y mettre fin, le chemin demeure long avant que la transparence fiscale ne devienne la norme internationale.
I. LA « PÉDAGOGIE OCDE »
Consciente de l'étendue du phénomène de l'évasion fiscale internationale et des réticences des Etats à coopérer, l'OCDE a choisi de procéder par étapes afin de promouvoir l'assistance administrative en matière fiscale en tentant à chaque fois de déclencher un consensus international indispensable à son projet.
A. DU PRINCIPE D'IDENTIFICATION : LA LISTE
La lutte contre les pratiques fiscales dommageables a été initiée à l'échelon international par l'OCDE dès la fin des années 90 , comme en témoigne le rapport de l'organisation intitulé « Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial » publié en 1998. Elle s'est traduite par la mise en place d'un cadre multilatéral de réflexion en 2000 au sein du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements en matière fiscale.
Parmi les quatre critères définissant les paradis fiscaux 2 ( * ) , le Forum mondial a choisi de lutter contre l'opacité fiscale en promouvant l'échange de renseignements. C'est ainsi qu'il a élaboré un accord sur l'échange de renseignements en matière fiscale en 2002 3 ( * ) ( Tax Information Exchange Agreements - TIEA). La mise en oeuvre de la nouvelle norme resta lettre morte, faute d'une volonté politique internationale suffisamment forte .
En 2007, seuls vingt-trois accords d'échange de renseignements avaient été conclus.
La prise de conscience internationale s'est traduite lors du sommet du G 20 de Londres, le 2 avril 2009 par l'établissement de trois listes, blanche, grise et noire par le Forum mondial. Ces dernières tendent à identifier les Etats coopératifs sur la liste blanche. Cette coopération se traduit par la conclusion de douze accords d'échange de renseignements 4 ( * ) . En revanche, figurent sur la liste noire les Etats et territoires n'ayant pas pris l'engagement de se conformer aux standards d'échange de renseignements. Quant à la liste grise, elle comprend les Etats qui, bien qu'ayant pris cet engagement, n'ont pas encore conclu les douze accords requis.
Cette cartographie de l'opacité fiscale a conduit un grand nombre de ces Etats à s'engager dans un cycle de négociations afin d'obtenir la radiation des listes grise et noire dès la signature du douzième accord. Plus de sept cents accords ont ainsi été signés depuis 2008, comme en témoigne le graphique ci-dessous.
Conventions fiscales et accords d'échange de
renseignements fiscaux
signés depuis le 15 novembre 2008
Source : OCDE
Cette exigence formelle a été couronnée de succès puisque la liste noire a été rapidement vidée de son contenu 5 ( * ) . Des trente-huit Etats figurant sur la liste grise, il en reste quatre au 15 décembre 2011 : Nauru, Nioué, le Guatemala et l'Uruguay.
Rapport d'étape sur la mise en oeuvre de la norme fiscale internationale par les Etats examinés par le Forum mondial de l'OCDE au 15 décembre 2011
Etats et territoires qui ont effectivement appliqué la norme fiscale internationale |
||||||||
Andorre Anguilla Antigua et Barbuda Argentine Aruba Australie Autriche Bahamas Bahreïn Barbade Belgique Belize Bermudes Brésil Brunei Iles Vierges britanniques Canada Iles Caïmans Chili Chine Chypre Iles Cook |
Costa Rica Curaçao République tchèque Danemark Dominique Estonie Finlande France Allemagne Gibraltar Grèce Grenade Guernesey Hong Kong Hongrie Islande Inde Indonésie Irlande Ile de Man Israël Italie Japon |
Jersey Corée Libéria Liechtenstein Luxembourg Macao Malaisie Malte Iles Marshall Ile Maurice Mexique Monaco Montserrat Pays-Bas Nouvelle-Zélande Norvège Panama Philippines Pologne Portugal Qatar Russie Saint-Christophe-et-Niévès |
Sainte-Lucie Saint-Vincent-et-les-Grenadines Samoa Saint-Marin Seychelles Singapour Saint-Martin République slovaque Slovénie Afrique du Sud Espagne Suède Suisse Turquie Iles Turques et Caïques Emirats Arabes Unis Royaume-Uni Etats-Unis Iles Vierges américaines Uruguay Vanuatu |
|||||
Etats et territoires qui ont pris l'engagement de respecter la norme fiscale internationale mais ne l'ont pas encore réellement mis en oeuvre |
||||||||
Etat et territoire |
Année de l'engagement |
Nombre d'accords |
Etat et territoire |
Année de l'engagement |
Nombre d'accords |
|||
Paradis fiscaux 1 |
||||||||
Nauru |
2003 |
(0) |
Nioué |
2002 |
(0) |
|||
Autres centres financiers |
||||||||
Guatemala |
2009 |
(0) |
Uruguay |
2009 |
(10) |
Etats et territoires qui ne se sont pas engagées à respecter la norme fiscale internationale |
|||
Etat et territoire |
Nombre d'accords |
Etat et territoire |
Nombre d'accords |
Tous les Etats et territoires examinés par le Forum mondial se sont désormais engagées à respecter la norme fiscale internationale |
1. Ces Etats et territoires ont été identifiés en 2000 comme répondant aux critères des paradis fiscaux tels qu'ils sont définis dans le rapport de 1998 de l'OCDE.
Source : OCDE
Néanmoins, il est apparu que cet engagement formel pouvait ne pas être suivi d'effet en termes de coopération fiscale. C'est pourquoi le mandat du Forum mondial a été modifié en 2009 afin de lui permettre d'évaluer la capacité normative et effective d'échanger les renseignements fiscaux.
* 2 Les critères sont : des impôts insignifiants ou inexistants, l'absence de transparence fiscale, l'absence de transmission de renseignements fiscaux et la rareté d'activités économiques substantielles.
* 3 Aux termes de cet accord, l'Etat s'engage à échanger toutes informations vraisemblablement pertinentes fiables en matière fiscale quelle que soit la source des renseignements (bancaire ou autre) sans restriction à l'échange autre que l'ordre public, le secret commercial, etc.
* 4 Dans une convention de suppression des doubles impositions comportant une clause d'échange de renseignements.
* 5 Figuraient le 2 avril 2009 sur la liste noire le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay.