TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 18 janvier 2012 sous la présidence de M. Philippe Marini, président, puis de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure, sur la proposition de résolution européenne n° 228 (2011-2012) portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les Etats membres de la zone euro (E 6903).
Présidence de M. Philippe Marini, président
M. Philippe Marini , président . - Cette proposition de résolution est particulièrement importante. Elle concerne la compatibilité des règles et mécanismes prévus au niveau de l'Union européenne en matière de politique budgétaire avec la hiérarchie des normes et les prérogatives du Parlement. La rapporteure générale pourra nous apporter des précisions sur l'articulation de la proposition de règlement et du projet de traité intergouvernemental actuellement en cours de négociation. La proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes ; il appartient désormais à la commission des finances d'en arrêter le texte.
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - Monsieur le Président, chers collègues, pour la deuxième fois en un mois nous sommes saisis, en application de l'article 73 octies du règlement du Sénat, d'une proposition de résolution destinée à apprécier la conformité au principe de subsidiarité de dispositions figurant dans un acte communautaire. Cette procédure constitue la mise en oeuvre de l'article 88-6 de la Constitution.
A titre liminaire, je précise qu'il faut bien distinguer les résolutions de l'article 88-6 de la Constitution de celles prises sur le fondement de son article 88-4. Les résolutions prises sur le fondement de l'article 88-4 sont de portée générale. Elles s'adressent au Gouvernement et portent une appréciation qualitative sur le fond des mesures proposées. Les résolutions de l'article 88-6 sont juridiques. Elles apprécient la conformité au principe de subsidiarité de dispositions figurant dans un projet d'acte communautaire, et ce quel que soit le jugement que l'on porte sur le fond. Elles sont adressées aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le Gouvernement en est informé. Ainsi, une disposition peut très bien être opportune sur le fond mais contraire au principe de subsidiarité. A l'inverse, une disposition critiquable sur le fond peut tout à fait être conforme au principe de subsidiarité.
La commission des affaires européennes a institué un groupe de travail sur la subsidiarité, qui examine à cette aune l'ensemble des projets d'actes communautaires.
En quoi consiste le contrôle de subsidiarité ? Il s'agit de vérifier si l'Union intervient bien « seulement dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres (...), mais peuvent l'être mieux (...) au niveau de l'Union ». Il s'agit aussi de vérifier, comme le prévoit la jurisprudence de la Cour de justice de l'union européenne, si l'intensité de l'action entreprise n'excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l'objectif que cette action vise à réaliser. Le contrôle de subsidiarité comprend donc une forme de contrôle de proportionnalité.
Le texte E 6903 a fait l'objet de cet examen et les observations du groupe de travail ont été rassemblées dans la proposition de résolution de Richard Yung, adoptée (sans débat) à l'unanimité de la commission des affaires européennes, qui a été renvoyée au fond à la commission des finances et que nous examinons ce matin.
La proposition de règlement est relative au suivi et à l'évaluation des projets de plans budgétaires et à la correction des déficits excessifs dans la zone euro. Elle a été présentée par la Commission européenne le 23 novembre 2011. Elle fait partie du volet « institutionnel » des réponses que les autorités européennes tentent d'apporter à la crise de la zone euro. Elle a été présentée un peu plus d'un mois après le Conseil européen des 26 et 27 octobre 2011, à l'occasion duquel ont été adoptés les mécanismes complexes tendant à conférer un effet de levier au Fonds européen de stabilité financière ; quelques jours après l'entrée en vigueur du « paquet gouvernance », âprement discuté depuis un an ; et un peu plus de deux semaines avant la déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement annonçant un traité intergouvernemental tendant à renforcer la discipline budgétaire en Europe.
La commission des affaires européennes examinera au fond cette proposition de règlement début février. Puisque nous sommes entrés dans le semestre européen, on peut penser que la commission des finances, à Paris ou lors de ses déplacements, aura également à en examiner le contenu.
Il faut saluer la décision de la commission des affaires européennes d'avoir systématisé le contrôle de subsidiarité et de faire vivre les prérogatives conférées par les traités européens aux parlements nationaux. Il s'agit d'une vigilance bienvenue. La commission des affaires européennes a raison de faire vivre le principe de subsidiarité. Plus généralement, le Parlement doit veiller à exercer la plénitude de ses prérogatives en ce qui concerne le droit communautaire.
La commission des affaires européennes conteste la conformité au principe de subsidiarité de trois dispositions de la proposition de règlement, figurant aux articles 3 et 4 :
- l'obligation de fonder les projets de loi de finances et les programmations pluriannuelles sur des hypothèses économiques indépendantes ;
- l'obligation de se doter d'une règle d'équilibre budgétaire contraignante, de préférence à caractère constitutionnel ;
- l'obligation de faire surveiller l'application de ces dispositions contraignantes par un conseil budgétaire indépendant.
Je rappelle que les résolutions de l'article 88-6 n'ont pas pour objet de porter une appréciation sur le fond des dispositions. A titre personnel, vous savez que j'en approuve certaines - comme la nécessité de recourir à des hypothèses économiques indépendantes - et que j'en désapprouve d'autres - comme l'inscription dans le droit de règles budgétaires constitutionnelles et quasi-automatiques.
Je vous propose de reprendre, sous réserve de modifications rédactionnelles, les observations générales, c'est-à-dire qui ne portent pas sur le principe de subsidiarité au sens strict, formulées dans la proposition de résolution de la commission des affaires européennes :
- on peut déplorer que les prescriptions du traité en matière de motivation ne soient pas pleinement respectées, même si on trouve dans les considérants de la proposition de règlement des éléments de motivation implicite ;
- on peut relever que cette proposition de règlement présente des caractéristiques qui sont celles d'une directive : elle nécessite des mesures de transposition en droit interne ;
- on peut surtout s'étonner d'une novation : la Commission européenne considère qu'un acte de droit dérivé - en l'espèce un règlement, d'effet direct et pris à la majorité qualifiée - peut prescrire aux Etats de réviser leur Constitution, dans ce cas précis pour introduire une « règle d'or ».
Le débat juridique est le suivant. Il est admis que les Etats dont la Constitution serait contraire à des textes de droit européen dérivé modifient leur Constitution pour les rendre conforme. C'est ce que le France a fait en 2003 en révisant sa Constitution pour rendre possible l'application du mandat d'arrêt européen. En revanche, il est inédit qu'un texte de droit dérivé prescrive aux Etats de modifier leur Constitution.
La question qui se pose est de savoir s'il est conforme à la hiérarchie des normes qu'un acte dérivé aille aussi loin. La commission des affaires européennes, se fondant sur l'article 4 du traité sur l'Union européenne, selon lequel l'Union européenne doit respecter « les structures fondamentales politiques et constitutionnelles des Etats membres », répond par la négative. C'est d'ailleurs sans doute en vertu d'une analyse analogue que les Etats ont choisi de faire figurer la « règle d'or » dans le projet de traité intergouvernemental actuellement en cours de négociation. La procédure du traité permet en effet que les Parlements nationaux ou les peuples, par référendum, puissent se prononcer, au stade de la révision constitutionnelle puis à celui de la ratification.
Cette coexistence d'une proposition de règlement et d'un projet de traité intergouvernemental est un facteur de confusion. Mais si le traité voit le jour, il est probable que les Etats et le Parlement européen s'accorderont pour faire disparaître du texte du règlement les dispositions relatives à la « règle d'or ». Telle est en tout cas la position du gouvernement français.
Je vous propose de ne pas aller aussi loin que la commission des affaires européennes s'agissant des manquements au principe de subsidiarité. Certes, les textes relatifs au pacte de stabilité imposent aux Etats d'atteindre des résultats et il est légitime de se demander - comme le fait la commission des affaires européennes - s'il est conforme à l'article 5 du traité de leur imposer de fonder leurs programmations budgétaires sur des hypothèses indépendantes et de mettre en place des conseils budgétaires indépendants. Néanmoins, la crise de la zone euro a montré le besoin d'un renforcement de la gouvernance budgétaire. Dès lors que la politique budgétaire conduite dans un Etat a des conséquences sur les autres, on peut penser qu'une harmonisation des pratiques et des instruments s'inscrit dans une démarche qui relève bien du niveau communautaire. Pour autant, chaque Etat a une culture économique et financière différente et le droit communautaire ne peut pas imposer un modèle « hors sol ». Ainsi, il serait regrettable d'imposer à la France de s'appuyer sur les prévisions d'un seul organisme alors qu'elle pourrait mieux se satisfaire d'un « consensus » comme il est pratiqué en Allemagne. Les Pays-Bas ont quant à eux un « CPB », différent du modèle allemand.
C'est pourquoi je vous propose de formuler des « réserves interprétatives » et de considérer que ces dispositions ne sont pas contraires au principe de subsidiarité, pour autant qu'elles laissent aux Etats une marge dans la mise en oeuvre effective des stipulations du règlement.
J'en ai fini, Monsieur le Président, avec cet exercice un peu surprenant qui conduit les commissions permanentes à se prononcer sur l'analyse du droit communautaire faite par la commission des affaires européennes. Et je remercie à nouveau la commission des affaires européennes, dont le travail de défrichage permet de nous sensibiliser à des sujets très importants.
En résumé, le principe de subsidiarité est respecté, sous réserve de certaines remarques interprétatives.
M. Philippe Marini , président . - Je salue la subtilité de l'approche de la rapporteure générale. Il s'agit d'une question à la fois juridique et politique. Chacun a saisi que la disposition relative à la règle d'or, sur laquelle se focalise notre attention, a une forte probabilité d'être absente du texte définitif, dès lors qu'elle figurerait dans le futur traité intergouvernemental. La rapporteure générale est parvenue à naviguer entre deux écueils : la nécessité de maintenir un espace suffisant au droit national ; et celle de ne pas laisser entendre que le Sénat serait très en retrait sur le fond, s'agissant des efforts nécessaires à la stabilisation de la zone euro, ce qui pourrait inquiéter les investisseurs.
M. Richard Yung . - Les commissions seront fréquemment saisies de propositions de résolution de la commission des affaires européennes, sur le fondement de l'article 88-6 de la Constitution. En effet, la commission des affaires européennes est destinataire chaque semaine de nombreuses propositions de textes européens. Elle identifie les quelques textes susceptibles de poser un problème du point de vue de la subsidiarité et de la proportionnalité, et désigne alors un rapporteur.
La question, en ce qui concerne la proposition de règlement, est de savoir si, d'un point de vue juridique, les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont respectés. La lecture du dispositif institutionnel n'est pas aisée, en raison de la multiplicité de textes en vigueur ou en cours d'examen : « Six Pack », « Double Pack », projet d'accord intergouvernemental... Une chatte n'y retrouverait pas ses petits ! Dans ce dernier cas, le Sénat sera à nouveau saisi, afin de modifier la Constitution.
La commission des affaires européennes considère que la proposition de règlement pourrait constituer un précédent dangereux, en ce qu'elle tend à obliger à des modifications constitutionnelles par voie de règlement. Un règlement est, je vous le rappelle, d'application directe. Les textes impliquant des modifications du droit interne doivent être des directives. C'est là qu'il y a un problème majeur. En termes de subsidiarité, il nous semble important d'indiquer à la Commission européenne qu'elle n'a pas employé la bonne méthode, en tout cas pour la partie du texte qui implique, le cas échéant, une modification constitutionnelle. Les autres aspects - les prévisions macroéconomiques et le conseil de politique budgétaire -, on peut en discuter. Nous avons voulu tirer la sonnette d'alarme.
La commission procède à la lecture du tableau comparatif présentant le texte de la commission des affaires européennes et le texte proposé par la rapporteure.
M. Albéric de Montgolfier . - Pourquoi est-il proposé de modifier le quatrième alinéa ?
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - Il s'agit de citer plus précisément le dispositif de la proposition de règlement.
M. Philippe Marini , président . - En ce qui concerne les alinéas 5 et suivants, je trouve la rédaction proposée par la rapporteure générale meilleure et plus nerveuse que celle proposée par la commission des affaires européennes. Il est plus clair de distinguer explicitement deux rubriques, l'une comportant les observations générales, l'autre les observations relatives au principe de subsidiarité.
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - Au titre des observations générales, je propose de préciser que la proposition de règlement n'est pas « explicitement » motivée au regard du principe de subsidiarité. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît la possibilité de motivation implicite. Je propose également de développer l'appréciation de la commission des affaires européennes, selon laquelle la règle d'or n'a rien à faire dans une proposition de règlement.
M. Philippe Marini . - Vous considérez qu'il vaudrait mieux inscrire une telle disposition dans un traité ?
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - D'un point de vue juridique, si l'on en admet le principe, oui.
M. Richard Yung . - Pourquoi écrire qu'« une révision de la Constitution peut être rendue nécessaire par un acte de droit dérivé » ?
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - Parce que cela s'est déjà produit : la France a révisé sa Constitution en 2003 pour la rendre conforme à la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen.
M. Jean-Pierre Caffet . - Dans ce cas, ne pourrait-on pas préciser qu'une révision de la Constitution « a pu » être rendue nécessaire par un acte de droit dérivé ?
La commission adopte cette rédaction.
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - J'en viens maintenant aux observations relatives au principe de subsidiarité. Je propose de prévoir que la proposition de règlement est conforme au principe de subsidiarité sous réserve de l'interprétation selon laquelle les Etats membres disposent d'une large faculté d'appréciation en ce qui concerne la nature du « conseil budgétaire indépendant » et des « prévisions macroéconomiques indépendantes ».
M. Philippe Marini , président . - Je propose une modification rédactionnelle consistant à supprimer la référence à un « panel » d'organismes économiques, à la fin du dernier alinéa du texte de la rapporteure.
M. Richard Yung . - Je ne suis pas d'accord avec l'analyse de la rapporteure générale. Je pense que la proposition de règlement impose aux Etats membres les moyens par lesquels ils doivent respecter les objectifs définis par le pacte de stabilité et de croissance. Le problème n'est pas le conseil budgétaire indépendant et les prévisions macroéconomiques indépendantes, mais l'obligation d'une règle contraignante.
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - On en a déjà parlé dans les observations générales ! Pour prendre en compte votre observation, je vous propose de retenir une formulation négative, selon laquelle les articles 3 et 4 de la proposition de règlement « ne peuvent être conformes » au principe de subsidiarité « que sous réserve » de l'interprétation développée ensuite.
La commission adopte les rédactions proposées par le président et par la rapporteure.
Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente
M. Albéric de Montgolfier . - Je voterai pour l'adoption de cette résolution, car s'il est vrai que l'on ne peut admettre qu'un règlement communautaire oblige un Etat à modifier sa Constitution, elle porte sur la seule question du respect du principe de subsidiarité. Sur le fond, je suis très favorable à la règle d'or.
M. Jean Germain . - Il faut en effet distinguer ces deux sujets. Je considère que la proposition de règlement est conforme au principe de subsidiarité. Si le traité intergouvernemental n'entrait pas en vigueur, le Sénat saisirait-il la Cour de justice de l'Union européenne, comme la Constitution lui en reconnaît la possibilité ? Ce serait dangereux !
Mme Nicole Bricq , rapporteure . - Il faut faire attention aux conséquences politiques potentielles du texte que nous allons adopter. C'est pour cette raison que je vous ai proposé de nous en tenir à des réserves d'interprétation.
M. Richard Yung . - Il me semble qu'il aurait été préférable d'affirmer que la proposition de règlement n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Aussi, je m'abstiendrai.
Mme Marie-France Beaufils , présidente . - Je rappelle que la proposition de résolution porte non sur le fond, mais sur le seul principe de subsidiarité. Pour ce motif, les élus du groupe CRC voteront pour, tout en rappelant que notre position sur le fond est toute autre.
La proposition de résolution européenne portant avis motivé a alors été adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission à l'unanimité des suffrages exprimés, MM. Richard Yung et François Marc s'abstenant.