EXAMEN EN COMMISSION
MARDI 29 DÉCEMBRE 2011
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M. Jacques Mézard, rapporteur . - M. Gilbert Barbier a travaillé durant des années sur le sujet : il le connaît bien.
L'usage du cannabis, qui est une infraction pénale, s'est considérablement répandu au fil du temps. L'article L. 3421-1 du code de la santé publique prévoit une peine délictuelle d'un an d'emprisonnement et une amende de 3 750 euros. La mission commune d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies, co-présidée par MM. Serge Blisko et notre collègue François Pillet, a remis son rapport le 29 juin 2011 et préconise la création d'une peine d'amende de troisième classe pour sanctionner le premier usage illicite constaté. Cette recommandation est reprise dans la proposition de loi de M. Barbier.
Il ne s'agit en aucun cas d'un premier pas vers la dépénalisation. Du reste, la proposition n'est pas nouvelle : la commission d'enquête sénatoriale sur la politique de lutte contre les drogues illicites l'avait déjà formulée en 2003 et le ministre de l'Intérieur de l'époque, devenu président de la République, avait dit clairement devant la commission d'enquête qu'il convenait de gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, la peine de prison pour le simple usage. Et le Premier ministre de l'époque, devenu l'un de nos collègues, s'était également prononcé en 2004 pour la substitution d'une amende à la peine de prison, pour sanctionner le premier usage. Puis le statu quo a prévalu, surtout parce que l'on s'inquiétait de la réaction de l'opinion publique...
L'inadéquation entre les dispositions pénales et la réalité est totale, et conduit concrètement à une absence de sanction ; du reste, les services de police et de gendarmerie, le sachant, renoncent eux-mêmes à engager des procédures. C'est l'impunité.
On constate, sur le plan de la santé publique, une banalisation de l'usage du cannabis : 12,4 millions d'expérimentateurs de cannabis, 3,9 millions de consommateurs par an ; 1,2 million de consommateurs réguliers ; 31 % des jeunes de 16 ans ayant déjà « essayé ». Or le degré de toxicité du produit a été multiplié par dix ou quinze en vingt ans. Le principe actif est beaucoup plus concentré, comme nous l'a expliqué le professeur Costentin par exemple. La dépendance est plus forte. Le lien entre le cannabis et certains troubles graves, schizophrénie par exemple, a été mis en évidence chez les jeunes, le développement de leur cerveau n'étant pas achevé. La consommation de cannabis est en outre une porte d'entrée vers d'autres substances.
Le cadre juridique actuel est inadapté au premier usage : peine de prison, amende de 3 750 euros, circonstances aggravantes - conduite d'un véhicule, profession où le contrevenant est susceptible de mettre en danger la vie d'autrui, provocation au délit d'usage... Très peu de constatations parviennent au parquet. Ce dernier a en outre un pouvoir d'appréciation sur l'opportunité des poursuites, et selon les territoires, selon la personnalité des parquetiers, la sanction varie considérablement : simple rappel à la loi, composition pénale, ordonnance pénale, très rarement mesure sanitaire sous forme de stage de sensibilisation ou d'injonction thérapeutique. La réponse pénale n'est pas à la hauteur du phénomène. Depuis la loi de 1970, le nombre d'interpellations a été multiplié par soixante et la part des procédures pour usage est passée de 75 à 86 % des interpellations. Il est vrai que ces interpellations sur le terrain ont une vertu statistique : elles permettent de valoriser dans les chiffres l'activité des services de police... Le volume d'affaires d'usage de stupéfiants traitées par les parquets a été multiplié par 1,7 entre 2001 et 2008 ; la part des classements sans suite a diminué considérablement ; la part des alternatives aux poursuites reste essentielle, rappel à l'ordre, avertissement. Le nombre de condamnations entre 2002 et 2008 a augmenté mais concerne seulement 14 % des usagers interpellés.
Le texte vise à mieux proportionner la sanction à l'infraction de premier usage, afin que la sanction devienne effective. La création d'une contravention de troisième classe présente quatre avantages. D'abord, sanctionner de manière effective le premier usage constaté. Ensuite, appliquer une sanction proportionnée. Le niveau de l'amende reste élevé, 450 euros, mais, si un décret en Conseil d'Etat le prévoit, le montant peut être ramené à 68 euros forfaitaires, comme pour toutes les autres contraventions de troisième classe. Troisième avantage, simplifier les procédures, puisque les contraventions de cette classe relèvent du tribunal de police, autrement dit d'un juge de proximité. Enfin, la condamnation ne sera pas inscrite dans le casier judiciaire.
Ce régime contraventionnel ne s'appliquerait qu'à la première interpellation, les procédures et sanctions actuelles demeurant en vigueur pour l'usage réitéré, ou en cas de circonstances aggravantes. Pour instaurer le nouveau régime, il faut deux modifications, l'une législative, l'autre réglementaire. La proposition de loi vise à les combiner.
Les auditions nous en ont apporté confirmation, il est difficile de caractériser la première infraction sans recours à un fichier. Or une telle base existe : le fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, créé en 1989. On nous a dit que ce fichier n'existait plus : après recherches, nous avons appris qu'il entrera en activité fin 2011. Il est prêt techniquement et en cours de déclaration auprès de la Cnil.
La première condamnation pour usage de stupéfiants ne ferait plus l'objet d'une inscription au casier judiciaire : mais l'intérêt d'une inscription pour une première infraction de ce type est limité. Désormais, c'est le comportement réitérant qui provoquera une procédure pénale.
Le taux de recouvrement des amendes forfaitaires, nous objecte-t-on encore, est limité à environ 35%, il ne sert donc à rien de prononcer une peine d'amende. Quel argument ! Pourquoi ne pas supprimer toutes les amendes ? Leur recouvrement dépend de la volonté politique.
Atteinte à l'efficacité des enquêtes, se plaignent certains : le système existant facilite la remontée des filières, via le placement en garde à vue. Mais est-il de bonne politique de placer en garde à vue un usager primo-contrevenant ? Cela paraît choquant. Outre que l'augmentation du nombre de gardes à vue n'est plus à l'ordre du jour, les enquêteurs peuvent toujours invoquer la détention de stupéfiants pour recourir à la garde à vue si les besoins d'une enquête l'exigent.
L'échelle des nouvelles sanctions est-elle injuste ? Nous ne le pensons pas. Les auditions de magistrats ont révélé une très grande diversité d'opinions. D'une organisation professionnelle à l'autre, les avis sont très partagés - l'éventail est impressionnant ! Les nouvelles sanctions sont plus en rapport avec la réalité des faits ; et toute latitude demeure de revenir à l'application du principe délictueux.
Dernière objection, une contravention doit être instaurée par le pouvoir réglementaire, non par la loi. Mais le Conseil constitutionnel a admis la compétence du législateur pour créer des amendes contraventionnelles. Nous pourrions nous borner à exclure les primo-usagers de stupéfiants de l'application de l'article L. 3421-1 ; mais la création d'une contravention de troisième classe lève toute ambiguïté de notre démarche.
Les auditions nous en ont persuadés, les pouvoirs publics doivent avoir un discours plus clair sur les conséquences de la consommation de cannabis, substance dont la toxicité a fortement augmenté depuis vingt ans. Cette proposition de loi démontre un bon sens remarquable et je recommande à la commission de l'adopter.
M. François Pillet . - Merci au rapporteur qui a parfaitement posé les termes du problème. M. Barbier fut le rapporteur de cette mission d'information d'un nouveau genre, qui réunissait quinze députés et quinze sénateurs et dont je fus le co-président. La proposition est issue de ces travaux et de ceux de la précédente mission - plus de 80 heures d'auditions et de nombreux déplacements. Le débat sur la dépénalisation et la légalisation a eu lieu alors. S'il y a un domaine où il faut éviter tout angélisme et toute démagogie, c'est bien celui-là. Je serai toujours hostile pour ma part à la légalisation du moindre petit bout de drogue ; il existe déjà deux substances licites, alcool et tabac, cela suffit. A moins que ceux qui réclament cette évolution acceptent d'en être comptables ultérieurement, lorsque la catastrophe inévitable se sera produite ? Le pétard d'aujourd'hui n'a rien à voir avec son ancêtre à la douce toxicité champêtre, celui que l'on consommait à Woodstock. La puissance du principe actif, THS ou tétrahydrocannabinol, a été multipliée par dix. Les trafiquants ont été des précurseurs en matière d'OGM et, sur Internet, on trouve d'excellentes plantes, triées afin de parvenir au rendement idéal. Je vous invite à relire les déclarations des scientifiques. Si nous autorisions la consommation de cannabis, nous risquerions d'avoir une génération génétiquement modifiée ! Je voterai bien sûr cette proposition de loi.
Nous ne savons pas quelle sera la portée de cette loi mais elle aura au moins l'avantage de mettre en place une échelle des peines et de contribuer à prévenir les parents. Ce texte ne peut nuire aux deux objectifs du législateur, à savoir la protection des usagers, mais aussi la protection des victimes de l'usager. Je vous renvoie aux statistiques des accidents de la route qui montre l'implication croissante des consommateurs de drogue dans les accidents, surtout lorsqu'ils ont bu de l'alcool !
Je voterai donc ce texte, qui ne résoudra pas tous les problèmes mais qui mettra un coup d'arrêt à des tentations irresponsables.
M. André Reichardt . - Autant j'approuve le diagnostic posé par notre rapporteur sur la difficulté de mettre en oeuvre l'arsenal législatif actuel, autant je m'interroge sur l'opportunité de créer une sanction complémentaire, fusse-t-elle une contravention. En modulant la sanction, va-t-on réduire la consommation du cannabis ? Demain, on s'achètera une bonne conduite en payant une amende de 68 euros. Si l'on voulait aller vers une certaine dépénalisation, on ne s'y prendrait pas autrement. En outre, les autorités judicaires peuvent ajuster les sanctions, surtout lorsqu'il s'agit du premier usage. Tout ce qui peut faire prendre conscience aux auteurs de l'infraction de la gravité de leur acte doit être privilégié, notamment le stage de sensibilisation aux dangers de la drogue, prévu par la loi de 2007. Ne faudrait-il pas plutôt orienter ces consommateurs vers des structures sanitaires ou sociales plutôt que de leur faire payer une amende forfaitaire ? Plutôt que de nous demander pourquoi nous ne parvenons pas à faire appliquer l'arsenal dont nous disposons, nous nous en remettons à l'avenir en espérant que les choses iront mieux. Je compte sur le débat en séance pour éclairer mon vote final.
Mme Virginie Klès . - Le groupe socialiste estime que cette proposition de loi est bienvenue. On ne peut accepter des peines trop lourdes en première intention, d'autant qu'elles ne sont pas appliquées. Trop d'usagers n'ont aucun retour d'autorité face à la banalisation de la consommation de cannabis.
J'émettrai néanmoins quelques réserves : dans certains départements ruraux, les jeunes interpellés, accompagnés par leurs parents, passent devant un délégué du procureur. Gendarmes et médecins estiment que cette comparution est extrêmement importante et qu'il ne faudrait pas casser ce dispositif, là où il fonctionne. Avec l'amende, les jeunes feront simplement plus attention à ne pas se faire pincer. Il ne faut pas mettre à bas ce qui fonctionne encore.
M. Jean-Pierre Michel . - Merci à MM. Mezard et Barbier de réagir face à une loi dépassée et ignorée. Depuis le VIH et l'hépatite C, des circulaires de santé publique ont invité à ne pas appliquer la loi, alors que l'échange de seringues pratiqué par certaines associations pourrait être considéré comme de la complicité. Pourtant, personne ne veut toucher à la loi de 1970 qui met sur le même plan tous les usagers, quelle que soit la drogue consommée. Nous n'osons pas avoir un vrai débat sur les stupéfiants ni sur les addictions. Qu'est-ce qui est plus dangereux en matière de santé publique ? Le tabac, l'alcool, les jeux, le poker, les stupéfiants et, pour ces derniers, faut-il les mettre tous sur le même plan ? Certainement pas. L'usage du cannabis est très répandu dans certains départements, comme La Réunion, où le soir, en rentrant du travail, on fume son petit joint, ce qui fait moins de mal que les soirées d'étudiants où l'on boit jusqu'à tomber dans le coma. Nous devrons avoir un débat apaisé sur le danger des addictions, mais après la présidentielle. Le président de la Mildt estime que toutes les addictions représentent un danger considérable. Il faudrait donc revoir la loi de 1970 de fond en comble.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Notre groupe ne s'est pas prononcé sur cette proposition de loi. L'idée de se débarrasser d'une loi qui n'est appliquée que par certains tribunaux n'est pas pour me déplaire. J'ai reçu un nombre incalculable d'appels de parents effarés parce que leur fils ou leur fille était en garde à vue pour avoir fumé un joint dans la rue. Mais les contraventions prévues dans ce texte figureront-elles sur un fichier ? Ne serait-ce pas pire qu'aujourd'hui ? En outre, personne ne semble s'inquiéter des raisons de ces consommations exponentielles. En attendant, je ne prendrai pas part au vote.
Mme Corinne Bouchoux . - Ce débat n'est pas sans similitude avec celui que nous avons eu sur l'alcoolisation des jeunes. Ce texte a le mérite de soulever des questions intéressantes mais sommes-nous à même de les trancher ?
Notre rapporteur a-t-il pris connaissance du rapport du professeur Pierre Kopp qui aborde la question de la toxicomanie sous l'angle économique et qui estime que la politique menée à l'heure actuelle coûte plus cher qu'elle ne rapporte ?
M. Pierre-Yves Collombat . - Je crains que nous n'ayons jamais de débat apaisé sur cette question de société, car il n'y a pas de solution ! Pourquoi assiste-t-on à cette explosion des addictions ? Ne nous renvoient-elles pas à certains choix de société ? Mais dans ce cas, nous risquons fort de ne pas être d'accord entre nous ! Nous sommes donc condamnés à essayer de trouver les moins mauvaises solutions afin de sauver ce qui peut l'être. Dans l'idéal, il faudrait que chaque personne commettant une infraction passe devant un juge afin de s'expliquer, mais les choses ne se passent pas comme cela, sauf dans certains territoires. Une pénalisation échelonnée parait être une solution de bon sens.
En revanche, après la petite marche instaurée par le premier alinéa du texte proposé par l'article 1 er de la proposition de loi pour l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, faut-il laisser la grande marche de l'alinéa trois ? Ne faudrait-il pas modifier cet alinéa ?
M. Philippe Bas . - Je voterai cette proposition de loi, par souci de santé publique plus que par volonté de réprimer. La portée de la loi de 1970 est faible puisqu'elle pose un interdit qui n'est pas sanctionné. En introduisant une marche d'escalier entre l'absence de peine et une peine lourde, on crédibilise l'interdit en associant le coup de semonce de l'entretien à une sanction pécuniaire effective. Cette proposition de loi va dans la bonne direction, en réaffirmant l'interdit.
M. René Vandierendonck . - Nous sommes en train de créer une commission sénatoriale chargée de l'application des lois. Ne pourrait-on attendre qu'elle fasse le point ? Une vision d'ensemble serait préférable pour bien coordonner les volets préventifs et répressifs.
M. André Reichardt . - Sur un tel sujet de société, pourquoi ne pas légiférer de façon plus exhaustive, comme vient de le dire M. Vandierendonck ? Un renvoi en commission ne serait-il pas préférable ?
M. François Pillet . - De grâce, reportez-vous au travail accompli par la commission multipartite dont je vous ai déjà parlé. Elle a effectué 80 auditions et ses propositions sont fort intéressantes.
Ceci dit, je ne suis pas d'accord sur la dangerosité de certaines addictions : celui qui a fumé un pétard est beaucoup plus dangereux sur la route, qu'un autre qui, avant de prendre le volant, a joué au poker sur Internet.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Je crains que cette loi ne fasse que déplacer le problème. Je viens d'un département où le phénomène est relativement nouveau : le cannabis commence seulement à entrer dans les collèges et dans les lycées et je crains que cette loi ne soit perçue comme un signal qui en banalise la consommation. Je m'abstiendrai donc.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - D'évidence, il s'agit d'un problème de société, mais je ne vois pas trop l'intérêt de réfléchir davantage alors que plusieurs missions se sont penchées sur la question. Je vous renvoie au rapport du Sénat de 2003 et à celui de l'Assemblée nationale et du Sénat d'il y a quelques mois, fruit de 80 heures d'auditions.
Nous ne pouvons décider d'attendre la nouvelle commission d'application des lois, à moins de vouloir poser un édredon sur la question. La politique menée depuis une génération a échoué et la loi de 1970 n'est pas appliquée car elle ne correspond plus à l'évolution de notre société. Certes, cette proposition de loi n'est pas la panacée, mais elle règle certains problèmes en évitant l'écueil de la dépénalisation.
M. André Reichardt . - Je n'en suis pas sûr.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Intitulé de la proposition de loi
M. Jacques Mézard , rapporteur . - L'amendement n°1 permet d'être plus précis
L'amendement n°1 est adopté.
L'intitulé est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'ensemble de la proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
PROPOSITION DE LOI visant à punir d'une peine
d'amende
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. MÉZARD, rapporteur |
1 |
Précision |
Adopté |