B. DES DIFFICULTÉS SURMONTABLES
Le principe d'une contraventionnalisation du premier usage constaté de stupéfiants a soulevé au cours des auditions certaines objections qui, pour l'essentiel, présentent un caractère pratique. Votre rapporteur s'y est montré attentif même s'il n'a pas été convaincu par des arguments qui lui ont paru, par bien des aspects, réversibles.
• La difficulté de caractériser la première infraction
Cette caractérisation est indispensable puisqu'elle détermine la qualification de contravention ou de délit. L'identification du primocontrevenant implique le recours à un fichier. Une telle base existe sous la forme du fichier national des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants (FNAILS) créé en 1989 par le ministère de l'intérieur aux fins de centraliser toutes les informations recueillies lors des enquêtes de police judiciaire relatives aux stupéfiants. La gestion en est confiée à l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants. Il semble surtout obéir à des fins statistiques et n'a pas, à ce stade, de vocation opérationnelle. Cependant selon les informations communiquées à votre rapporteur, le dispositif est prêt techniquement ; en cours de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, il devrait entrer en activité à la fin de cette année.
Comme l'a observé M. François Thierry, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, la mise en place d'un tel système exige non seulement la vérification de l'identité de l'intéressé mais aussi de la référencer afin de constituer une base de données fiable. Néanmoins, une fois ce travail accompli, la charge incombant aux services de police et de gendarmerie devrait s'alléger.
• L'absence d'inscription au casier judiciaire
En principe, les condamnations définitives pour une contravention des quatre premières classes ne sont pas portées au casier judiciaire 12 ( * ) . Selon les représentants de l'USM, « cette situation serait préjudiciable à une bonne individualisation des peines ultérieures en privant les juridictions qui auraient à connaître des nouveaux faits de délinquance de l'approche du passé toxicomane du prévenu sauf s'il consent à le dévoiler lui-même ». Selon votre rapporteur, l'intérêt de l'inscription au casier judiciaire d'un premier usage est limité puisque la saisine du parquet, dans le nouveau cadre envisagé par la proposition de loi, devrait, en principe, résulter d'un comportement réitérant.
En revanche, par l'effet de stigmatisation qu'elle peut présenter, ses inconvénients apparaissent manifestes.
• Le recouvrement des amendes
Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur se sont interrogés sur l'effectivité de la répression par la voie d'une amende forfaitaire dès lors que le taux de recouvrement est faible. Selon les données de la direction générale des finances publiques, il s'établit pour les amendes forfaitaires majorées (hors contrôles routiers automatisés) à 35,2 % en 2008. Faut-il pour autant se satisfaire de l'impunité au motif que l'exécution de la sanction pénale n'est pas entièrement satisfaisante. Votre rapporteur ne le croit pas.
• L'atteinte à l'efficacité des enquêtes
Plusieurs magistrats ainsi que le chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants ont observé que le cadre législatif actuel, autorisant le placement en garde à vue (puisque l'usage de stupéfiants est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement) favorisait aussi l'identification des fournisseurs de drogue à l'échelon supérieur. Les auditions des usagers peuvent permettre de remonter les filières au moins jusqu'aux trafiquants de proximité.
Cependant, d'une part, il peut paraître choquant que la garde à vue soit aujourd'hui théoriquement possible pour un premier usage.
D'autre part, en pratique, comme l'ont d'ailleurs admis plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur, les enquêteurs peuvent toujours recourir à d'autres qualifications comme la détention de stupéfiants souvent difficilement séparable de l'usage, pour procéder, le cas échéant, à une garde à vue. L'article 529 (2 e alinéa) du code de procédure pénale prévoit d'ailleurs explicitement que « la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément ».
• Une échelle de sanction injuste ?
Certains des magistrats rencontrés par votre rapporteur ont craint que la contraventionnalisation n'entraîne de facto une répression plus lourde des primo-usagers que celle susceptible de s'appliquer aux usagers réguliers.
Au contraire, si la personne se fait interpeller une nouvelle fois après avoir déjà été condamnée au paiement d'une amende forfaitaire, il y a selon votre rapporteur tout lieu de penser que l'autorité judiciaire sera en mesure d'apporter de manière plus rapide et effective une réponse pénale combinant répression et prise en charge médicale. Parce qu'une contravention a déjà été constatée, une peine plus lourde sera ensuite justifiée en cas de réitération. A cet égard, la contraventionnalisation apporte un maillon manquant dans une réponse pénale qui se veut graduée et lui redonne sa cohérence.
• L'institution d'une contravention par la loi
L'institution d'une contravention relève en principe du pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel a toutefois admis la compétence législative pour instituer des amendes contraventionnelles 13 ( * ) . En l'espèce, le législateur ne pourrait se borner à exclure les primo-usagers du champ d'application de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique sans brouiller le sens même de la proposition de loi : la volonté d'une répression effective de ces comportements. La mention de l'amende prévue pour les contraventions de troisième classe lève toute ambiguïté à cet égard.
* 12 A l'exception des cas où elles donneraient lieu à titre de peine principale à une interdiction ou une déchéance.
* 13 Conseil constitutionnel, décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 (blocage des prix et des revenus).