2. Le caractère artificiel du « couple » département-région
Peu respectueuse des élus, la création des conseillers territoriaux est également dénuée de pertinence en ce qu'elle tend à rapprocher deux échelons qui n'ont pas la même vocation : les départements et les régions.
La volonté de mettre en place -pour reprendre les termes employés par le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales puis par le gouvernement- un « pôle » ou un « couple » département-région se heurte en effet à la logique même de fonctionnement de ces deux collectivités : le département est l'échelle des politiques de proximité et doit, en tant que tel, traiter des sujets ayant trait à la vie quotidienne des citoyens et répondre à une logique de gestion ; à l'inverse, la région est un échelon de mission amené à définir des stratégies de long terme pour favoriser et organiser le développement économique du territoire. Rien de commun, donc, entre les politiques publiques dont les départements et les régions ont, chacun de leur côté, la charge. M. Jean-Claude Colliard, président de l'université Paris-I, a ainsi qualifié le conseiller territorial d'« usine à gaz » lors de son audition par votre rapporteur.
Selon votre rapporteur, le bon sens aurait dû pousser le législateur de 2010 à renforcer les « couples » naturels que constituent, d'une part, la région et les intercommunalités et, d'autre part, le département et la commune. Le choix de la création des conseillers territoriaux tient davantage du « mariage contre nature » -voire du mariage forcé- que d'un rapprochement concerté, pertinent et légitime. Dans ce contexte, il est douteux que la fusion entre les conseillers généraux et les conseillers régionaux permette, à terme, de garantir la cohérence et l'efficacité des politiques locales et que la réforme atteigne l'un de ses principaux objectifs affichés : le renforcement de la coordination des actions menées par les régions et par les départements.
3. Un risque évident de tutelle
Au vu du caractère artificiel du « couple » département-région et du manque de complémentarité entre l'action de ces deux type de collectivités, la création des conseillers territoriaux est susceptible de mener à la dissolution d'un échelon au profit de l'autre et, en pratique, de provoquer la mise en place d'une tutelle d'une collectivité sur les autres.
En effet, la création des conseillers territoriaux porte en germe deux risques opposés mais réels : selon toute vraisemblance, elle se traduira soit par l'effacement des préoccupations départementales au profit de la stratégie régionale 12 ( * ) , soit par une « cantonalisation » de la région qui ne serait plus qu'une fédération des départements qui la composent. Ces risques ont d'ailleurs été relevés, à de très nombreuses reprises, par les associations d'élus locaux 13 ( * ) et par certains parlementaires.
A cet égard, votre rapporteur souligne que le Conseil constitutionnel, s'il s'est prononcé sur une éventuelle tutelle de la région sur les départements en écartant ce grief, n'a pas explicitement jugé que l'institution des conseillers territoriaux ne serait pas la cause d'une tutelle d'un département sur la région ou d'un département sur les autres.
Or, l'examen de la répartition des conseillers territoriaux suffit à démontrer que, pour des raisons strictement arithmétiques, la création de ces élus impliquerait la mise en place d'une tutelle : ainsi, dans quatre régions 14 ( * ) , un seul département disposerait de la majorité absolue des sièges au sein du conseil régional, et dans nombre d'autres, il suffirait au département le plus peuplé de s'adjoindre une dizaine de voix pour avoir un contrôle absolu sur le contenu des délibérations du conseil 15 ( * ) .
* 12 Lors de la table ronde de décembre 2009, M. Claudy Lebreton, président de l'ADF, considérait ainsi que la création des conseillers territoriaux était la première étape vers la suppression pure et simple des départements.
* 13 Voir notamment la table ronde de décembre 2009.
* 14 A savoir l'Alsace, le Nord-Pas-de-Calais, la Haute-Normandie et la Lorraine.
* 15 Tel serait par exemple le cas en Aquitaine et en Auvergne.