2. Un scénario alternatif déjà écrit ?
a) Le choix rationnel pour les Etats de la zone euro : prêter à la Grèce le temps qu'il faudra, à faible taux
(1) Un scénario financièrement viable
Les éléments qui précèdent suggèrent que la Grèce pourrait progressivement restaurer la soutenabilité de ses finances publiques sans faire défaut, à condition que les Etats de la zone euro continuent de financer, le temps qu'il faudra, sa dette à un taux inférieur à celui du marché.
La dette actuelle de la Grèce ne pourrait être stabilisée en points de PIB si ce pays se finançait sur les marchés.
Cependant si les Etats de la zone euro lui permettent de financer sa dette à, par exemple, 4 %, elle n'aura besoin pour stabiliser sa dette « que » d'un équilibre primaire (au lieu d'un excédent primaire de 7,5 points de PIB). Certes, il lui faudrait faire un effort supérieur pour réduire sa dette en points de PIB, et la trajectoire serait probablement plus longue que ce que prévoit son programme d'ajustement, mais elle ne ferait pas défaut.
(2) Les conséquences d'un « vrai défaut » pourraient être catastrophiques pour l'économie européenne
Un tel scénario serait d'autant plus souhaitable que les conséquences d'un « vrai » défaut de la Grèce pourraient être catastrophiques.
Certes, sans prise en compte des mécanismes économiques, les sommes en jeu sont faibles, comme le montre le tableau ci-après.
Structure de la dette grecque détenue par les banques
(en milliards d'euros*, fin décembre 2010)
Total des 24 (***) |
Allemagne (****) |
Espagne |
France |
Royaume-Uni |
Japon |
Pays-Bas |
Etats-Unis |
Autres |
|
Créances à l'étranger (risque ultime)** (1) |
109,2 |
25,4 |
0,7 |
42,4 |
10,6 |
1,2 |
3,7 |
5,5 |
19,7 |
Secteur public |
40,5 |
17 |
0,4 |
11,2 |
2,5 |
0,3 |
1 |
1,1 |
7,1 |
Secteur bancaire |
8,2 |
1,6 |
0 |
1,6 |
1,9 |
0,4 |
0,2 |
1,1 |
1,4 |
Secteur privé non bancaire |
60,3 |
6,8 |
0,3 |
29,6 |
6,1 |
0,5 |
2,4 |
3,2 |
11,4 |
Non alloué |
0,1 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0,1 |
Créances locales en monnaie locale (contrepartie immédiate) |
38,1 |
0,2 |
0 |
27 |
2,5 |
0 |
0,1 |
2 |
6,3 |
Créances locales non adossées localement |
16,7 |
0,2 |
0 |
12,6 |
1,2 |
0 |
0,1 |
0 |
2,6 |
Créances locales adossées localement (2) |
21,4 |
0 |
0 |
14,4 |
1,3 |
0 |
0 |
2 |
3,7 |
Total des expositions (3) = (1) - (2) |
87,8 |
25,4 |
0,7 |
28 |
9,3 |
1,2 |
3,7 |
3,5 |
16 |
Coût d'un défaut sur 40 % de la dette publique et bancaire (calcul de la commission des finances)***** |
19,48 |
7,44 |
0,16 |
5,12 |
1,76 |
0,28 |
0,48 |
0,88 |
3,4 |
* Taux de change : EUR/USD = 1,3362.
** Table 9 E de la Quarterly Review de la Banque des règlements internationaux, 6 juin 2011.
*** Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Turquie, Royaume-Uni, Australie, Canada, Chili, Inde, Japon, Etats-Unis, Taiwan, Singapour.
**** Les données sur l'Allemagne pour la ventilation sectorielle ne sont pas disponibles en risque ultime.
Source : Banque de France, d'après la Banque des règlements internationaux, sauf (*****) calculs de la commission des finances
Ainsi, comme le souligne Patrick Artus 12 ( * ) , s'appuyant sur un tableau analogue 13 ( * ) , un taux de défaut de 40 % sur la dette publique et, par extension, sur la dette bancaire (c'est-à-dire sur la dette des banques grecques, qui seraient fortement touchées) conduirait à des pertes modérées. Ainsi, il résulte de ce tableau qu'elles seraient de l'ordre de 7,4 milliards d'euros pour les banques allemandes et 5,1 milliards d'euros pour les banques françaises. Compte tenu des fonds propres des banques (de l'ordre de 200 milliards d'euros en France et 170 milliards d'euros en Allemagne), ces pertes seraient en elles-mêmes supportables.
L'un des principaux risques d'un défaut grec est celui d'une « panique » des banques et des investisseurs analogue à celle qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 . Les banques ont alors cessé de se prêter entre elles, suscitant au dernier trimestre de 2008 et au premier trimestre de 2009 une forte hausse des taux interbancaires, l' « assèchement » financier de l'économie, et la pire récession depuis la Seconde Guerre Mondiale.
A cela s'ajoute le risque d'un « effet domino » entre Etats, un défaut grec augmentant la crainte de défaut des autres Etats « périphériques ». La reprise de l'augmentation des taux d'intérêt de l'Espagne et de l'Italie immédiatement après le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro du 21 juillet 2011, qui a rendu nécessaire l'intervention de la BCE sur le marché secondaire, confirme cette crainte.
Un tel scénario pourrait remettre en cause les conditions de financement, voire la solvabilité, de certains « grands » Etats de la zone euro. Dans le cas de la France, une crise qui augmenterait le déficit de 3 points de PIB supplémentaires porterait celui-ci à 10 points de PIB, soit un niveau supérieur à celui de la Grèce aujourd'hui. On conçoit que cela ne serait pas sans conséquences.
* 12 Patrick Artus, « Le coût et l'opportunité de s'assurer contre une catastrophe financière : le cas de la dette grecque », Flash marchés n°412, Natixis, 3 juin 2011.
* 13 Patrick Artus s'appuie sur les données alors disponibles (celles publiées par la BRI au mois de mars), relatives à la situation fin septembre 2010.