II. LES RÉSERVES DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET SES CONSÉQUENCES
A. L'ANALYSE CRITIQUE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
Le projet de redevance au profit des sociétés de courses a été notifiée à la Commission européenne dès le 13 avril 2010 pour être examiné au regard du régime communautaire relatif aux aides d'Etat. Après plusieurs échanges, la Commission européenne a décidé par une lettre du 17 novembre 2010 3 ( * ) , publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 14 janvier 2011, d'ouvrir une procédure formelle d'examen de la compatibilité de cette aide avec les règles du marché intérieur, conformément à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 4 ( * ) .
Les modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (source : Commission européenne) Sauf exception, tout projet d'octroi d'une aide nouvelle doit être notifié en temps utile à la Commission par l'État membre concerné, qui est obligé de fournir tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision. Si la Commission considère que les informations fournies par l'État membre sont incomplètes, elle peut demander tous les renseignements complémentaires dont elle a besoin. Toute aide devant être notifiée n'est mise en exécution que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l'autorisant (clause de suspension). Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun, elle décide d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108 paragraphe 2 du traité (dans le cas d'espèce, la France est à cette étape) . Cette décision doit récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, inclure une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée et exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. L'État membre concerné ainsi que les parties intéressées peuvent présenter leurs observations dans un délai qui ne dépasse pas un mois, mais qui peut être prolongé par la Commission. La procédure formelle d'examen est clôturée par voie de décision. La Commission, qui dispose d'un délai indicatif de dix-huit mois pour rendre sa décision peut constater que : - la mesure notifiée ne constitue pas une aide ; - les doutes concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun sont levés et que l'aide est compatible avec le marché commun (décision positive). Cette décision peut être assortie de conditions lui permettant de reconnaître cette compatibilité, ainsi que d'obligations lui permettant de contrôler le respect de sa décision (décision conditionnelle) ; - la mesure notifiée est incompatible avec le marché commun et ne peut être mise à exécution (décision négative). Si l'État membre concerné ne se conforme pas à une décision conditionnelle ou négative, la Commission peut saisir directement la Cour de justice. |
Quelle analyse la Commission européenne fait-elle de cette redevance et que lui reproche-t-elle à ce stade, aucune décision n'ayant encore été prise ?
Au préalable, il faut relever l'absence de désaccord entre les autorités françaises et bruxelloises sur la qualification d'aide d'Etat.
En réalité, il s'agit de déterminer si cette aide d'Etat entre dans l'une des catégories autorisées par les traités. Deux bases juridiques sont possibles : soit l'article 106, paragraphe 2, soit l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Les autorités françaises considèrent que la redevance est une compensation de service public et se fonde en conséquence sur l'article 106, paragraphe 2, du TFUE. Pour entrer dans cette catégorie, plusieurs conditions doivent être réunies, conformément à l'Encadrement communautaire des aides d'Etat sous forme de compensation de service public 5 ( * ) :
- l'existence d'un service d'intérêt économique général (SIEG), ce qui implique l'exécution d'obligations de service public clairement définies ;
- le montant de la compensation ne peut dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l'exécution des missions de service public.
Les sociétés de courses assurent-elles des services susceptibles d'être qualifiés d'intérêt économique général ? Les autorités françaises considèrent que c'est le cas. L'article 65 de la loi précitée investit en effet les sociétés de courses de chevaux de missions de service public. L'article 2 de la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux, modifié par l'article 65 de la loi précitée, dispose que les sociétés de courses ont pour missions :
- l'amélioration de l'espèce équine et la promotion de l'élevage ;
- la formation dans le secteur des courses et de l'élevage chevalin ;
- le développement rural.
Par ailleurs, comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, le décret n° 2010-1314 du 2 novembre 2010 précise ces obligations de service public :
- l'élaboration et la tenue des codes des courses ;
- l'organisation des courses ;
- l'établissement des conditions d'attribution et de répartition des compétences ;
- la régulation des courses et de la filière ;
- le financement de l'entretien et de la construction des équipements nécessaires à l'organisation des courses ;
- la sélection des chevaux ;
- la formation professionnelle.
La Commission européenne, dans sa lettre du 14 janvier 2011, n'est pas de cet avis et semble considérer ces éléments insuffisants pour retenir la qualification de SIEG. Certes, comme elle le reconnaît, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union et les traités donnent aux États membres un large pouvoir d'appréciation quant à la nature des services susceptibles d'être qualifiés d'intérêt économique général. Mais l'Encadrement communautaire précité admet aussi que la tâche de la Commission européenne est de veiller à ce que cette marge d'appréciation soit appliquée sans erreur manifeste. Or, en l'espèce, la Commission européenne soupçonne une erreur manifeste d'appréciation, au risque de remettre en cause une institution française très ancienne.
La Commission observe en particulier que ces aides sont axées sur un secteur particulier et ne présenteraient pas un caractère général. Elles ne concerneraient pas le citoyen et ne définiraient pas de biens publics. Enfin, l'aménagement du territoire relèverait du développement régional et non du service public.
La qualification de SIEG est le principal point d'achoppement entre Bruxelles et Paris. La Commission européenne développe néanmoins d'autres critiques, en particulier sur le calcul et la nature des compensations (prime aux jockeys par exemple). Enfin, le fait qu'il s'agisse d'une taxe affectée complique encore l'analyse par rapport à une simple aide financière. La Commission européenne doute de sa compatibilité avec le principe de la libre prestation de services. Si tel était le cas, même si la redevance était jugée compatible avec le régime des aides d'État, elle devrait être supprimée.
Accessoirement, la Commission européenne a aussi exploré les voies de compatibilité offertes par l'article 107 du TFUE. Cet article énumère les objectifs que des aides d'Etat peuvent poursuivre (aides régionales, aides sociales...). A l'issue de son analyse préliminaire, la Commission européenne n'a pas estimé que la redevance pouvait entrer dans l'une des catégories d'aide visées à l'article 107 du TFUE. Au demeurant, les autorités françaises ne se fondaient pas sur cet article.
* 3 Voir annexe.
* 4 Affaire C 34/2010. La France a répondu dans le délai d'un mois aux observations et interrogations de la Commission. Elle a aussi répondu à un questionnaire. Des interventions de tierces parties ont été transmises.
* 5 Document 2005/C 297/04 publié au Journal officiel de l'Union européenne du 29 novembre 2005.