D. TABLE RONDE SUR LES PRODUITS D'ÉPARGNE : L'AUDITION CONJOINTE DE MM. PIERRE BOLLON, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DE GESTION FINANCIÈRE (AFG), BENOÎT MAËS, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GROUPAMA GAN VIE, HERVÉ SCHRICKE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES INVESTISSEURS EN CAPITAL (AFIC), ET PATRICK SUET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE (30 MARS 2011)
La commission procède à l'audition conjointe de MM. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG), Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie, Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC), et Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale, en vue de la préparation du projet de loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine .
M. Jean Arthuis, président . - Pour cette table-ronde sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, j'ai le plaisir d'accueillir MM. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG), Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie, Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC) et Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale.
Messieurs, comment appréhendez-vous la réforme de la fiscalité du patrimoine, notamment à la lumière des premières pistes annoncées par le Gouvernement au cours du colloque organisé à Bercy le 3 mars ?
Quels doivent être les objectifs de la réforme, et son ampleur ? Quelles pistes retenir et quelles mesures écarter absolument ? Quel pourrait être 1'impact de cette réforme sur les produits d'épargne, et donc sur le financement de l'économie ?
M. Pierre Bollon, délégué général de l'association française de gestion financière (AFG) . - L'AFG regroupe environ 500 sociétés de gestion, dont 200 auprès des banques et des assurances et 300 entrepreneuriales, qui représentent environ 13 000 emplois directs et 70 000 emplois indirects, dont le seul métier est de gérer l'épargne des particuliers et des institutions.
A grands traits, nous faisons le constat suivant : en pratique, la fiscalité du patrimoine est déjà modifiée chaque année, ce qui est d'ailleurs une contrainte certaine dans notre métier et pour les épargnants. Cependant, les changements ne paraissent pas obéir à une stratégie politique visant à guider des choix de collecte et d'usage de l'épargne mais semblent plutôt répondre à des besoins ponctuels de trésorerie de l'Etat. Pour notre part, nous serions enclins à proposer deux critères pour apprécier une politique publique de l'épargne : l'objectif de collecter une épargne longue et l'apport direct au financement des entreprises. Certains produits d'épargne sont mieux à même de remplir ces objectifs, en particulier ceux qui s'attachent à l'épargne salariale et l'épargne retraite, comme le plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco).
M. Philippe Marini, rapporteur général . - Vous êtes favorable à ce que la loi dise aux gens comment ils doivent épargner, et pour quoi faire...
M. Pierre Bollon . - De fait, je crois que la fiscalité peut orienter l'épargne vers des finalités plus utiles que d'autres - on a parlé à ce propos « d'épargne fertile » et je crois utile de mettre en place une sorte de « clause de l'épargne la plus favorisée ». Ainsi, les investissements les plus productifs ne devraient pas être discriminés par rapport à l'immobilier par exemple, comme c'est le cas actuellement.
M. Benoît Maës, directeur général de Groupama Gan Vie . - En tant que praticien, je m'attacherai à vous dire ce qui motive à souscrire un contrat d'assurance vie, et ce que nous faisons de l'épargne collectée. Je suis frappé de constater que, dans le débat public sur la fiscalité, l'assurance-vie apparaît bien souvent comme une variable d'ajustement. Or elle mérite mieux et les décisions fiscales peuvent avoir des effets très importants, qui peuvent s'éloigner de l'objectif poursuivi par les pouvoirs publics.
Le cadre fiscal de l'assurance-vie est stable depuis 1998, ce qui nous laisse suffisamment de recul pour porter un jugement sur son efficacité. Ce cadre est censé favoriser l'épargne longue, puisque le prélèvement passe progressivement de 35 % en deçà de quatre ans, à 15 %, entre quatre et huit ans, et à 7,5 % au-delà de huit ans. Les chiffres montrent le succès de cette politique : l'encours des contrats d'assurance-vie est passé de 500 milliards d'euros en 1998 à 1 300 milliard aujourd'hui ; 15 millions de nos compatriotes détiennent un contrat, dans toutes les catégories socioprofessionnelles - la moitié des agriculteurs ont souscrit une assurance vie -, pour un encours moyen de 14 000 euros par contrat. En outre, il s'agit bien d'une épargne longue puisque les deux tiers des contrats datent de plus de huit ans et qu'un sur cinq dépasse même vingt ans. Avec l'assurance-vie, nos compatriotes ont donc trouvé un outil d'épargne de précaution, mais aussi un moyen de préparer leur retraite et de transmettre leur patrimoine dans les meilleures conditions possibles. Les fonds collectés sont allés prioritairement vers les entreprises : ainsi, 56 % des actifs des compagnies vie sont investis en actions ou obligations émises par des entreprises, dont 17 % - soit 285 milliards d'euros - en actions. Le solde a été prioritairement investi vers des obligations d'Etat, ce qui permet de financer la dette publique. L'Etat, de son côté, collecte en moyenne cinq milliards d'euros de prélèvements fiscaux et sociaux par an sur l'assurance vie.
On peut donc dire que l'assurance-vie a bien mis en relation l'épargne des ménages et les besoins de financement de l'économie. Cependant, l'hypothèse, annoncée depuis maintenant quelques semaines, de prélever un milliard d'euros supplémentaire sur les contrats d'assurance-vie inquiète les épargnants, de sorte que, depuis trois mois, nous constatons que l'encours a cessé de croître, pour la première fois depuis 1998. Cette perspective de pression fiscale plus forte vient au moment où les rendements de contrats d'assurance vie ont diminué, ce qui ajoute au découragement des épargnants.
M. Jean Arthuis , président . - Il ne faudrait y toucher que d'une main tremblante...
M. Philippe Marini, rapporteur général . - De quelle alternative disposent les épargnants ?
M. Benoît Maës . - Sans même évoquer la délocalisation, ils peuvent être tentés par l'achat d'or, d'oeuvres d'art, ou encore par des placements immobiliers. Ce qui compte, c'est que, au-delà des assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) aujourd'hui visés, l'ensemble des souscripteurs à l'assurance-vie peuvent se décourager de fait de ce « message » d'instabilité, au détriment du financement de l'économie.
M. Hervé Schricke, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC) . - Mon point de vue sera orienté vers l'emploi, puisque l'investissement en capital va d'abord aux petites et moyennes entreprises (PME), qui sont, dans notre pays, la principale source de création d'emplois. Il faut prendre en compte la concurrence internationale, en particulier la situation de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, qui ont autorisé le visa pour l'installation d'entrepreneurs accompagnés de « business angels » et où l'impôt sur les sociétés est moindre que chez nous.
M. Philippe Marini, rapporteur général . - Mais en Grande-Bretagne, les plus hauts revenus sont taxés à 50 %, jusqu'en 2013...
M. Hervé Schricke . - Les nouvelles règles prudentielles, ensuite, vont pénaliser l'apport direct de capital dans les entreprises par les banques et les compagnies d'assurance : elles apportaient traditionnellement la moitié du capital investissement, mais leur participation a chuté de 80 % entre 2008 et 2010. C'est un tournant majeur !
Le capital développement, par lequel un investisseur abonde directement les fonds propres d'une entreprise, est en constante augmentation, progressant de 20 % depuis 2006, alors que le capital risque est stable, à son niveau de 2007 et qu'il est abondé aux deux tiers par les particuliers, à travers notamment les fonds d'investissement de proximité (FIP) et les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI), mais aussi la réduction d'impôt dite « ISF-PME ». Il est à noter que les capitaux drainés grâce à l'ISF-PME ont diminué dans notre activité, en raison de la différence de traitement fiscal entre nos fonds d'une part, et l'investissement direct ou au travers de holdings d'autre part.
M. Philippe Marini, rapporteur général . - L'ISF-PME, de votre point de vue, ne représente donc qu'un avantage marginal ?
M. Hervé Schricke . - Oui, mais pour la raison que je viens de vous exposer.
Notre métier consiste donc à orienter de l'épargne longue vers les fonds propres des entreprises, et d'abord des PME. Nous serions favorables, du reste, à ce que tout avantage fiscal sur l'épargne ait une contrepartie en matière d'emploi, via , par exemple, la participation aux fonds propres des entreprises.
Les nouvelles règles prudentielles, qu'il s'agisse des normes bancaires dites « Bâle III » ou de la directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (dite « solvabilité II »), vont pénaliser durement l'investissement direct dans l'entreprise, il faut s'y préparer et nous faisons plusieurs propositions pour compenser cette restriction. En particulier, nous proposons de doter les contrats d'assurance-vie en unités de compte d'avantages nouveaux à l'entrée et de renforcer l'incitation Madelin pour les investissements orientés vers l'innovation.
M. Patrick Suet, secrétaire général de la Société générale . - Le banquier est un intermédiaire entre les dépôts des clients et les besoins des entreprises, sans avoir prise sur la réglementation fiscale. Le contexte nous rend cependant très inquiets dans la mesure où le déficit public est très élevé, où notre fiscalité de l'épargne est déjà quatre fois plus lourde que celle de l'Allemagne et où l'évolution des règles prudentielles va bouleverser les conditions de financement des entreprises. En effet, les banques et les compagnies d'assurance, obligées d'adosser davantage leur participation, seront moins enclines à investir en actions. Pour que les banques participent davantage, la solution est peut-être à chercher du côté de la hausse des dépôts : pourquoi ne pas revenir à un mécanisme de plan d'épargne populaire (PEP) bancaire, comme nous en avions il y a quelques années ?
La politique publique en direction de l'épargne, ensuite, gagnerait à simplifier les nombreux dispositifs qui s'enchevêtrent aujourd'hui et qui rendent plus difficile notre activité de conseil auprès des particuliers.
Enfin, s'agissant des pistes qui ont été évoquées pour la réforme elle-même, je me contenterai d'indiquer que nous sommes défavorables à toute taxation de revenus latents, c'est-à-dire de revenus qui n'ont pas été encaissés.
M. Philippe Marini, rapporteur général . - En vous écoutant les uns et les autres, j'ai d'abord eu le sentiment que vous nous demandiez de changer le moins possible la fiscalité de l'épargne, que vous étiez - ce qui est très rare - des professionnels heureux de l'environnement fiscal dans lequel ils évoluent ; mais vous nous dites aussi qu'il faudrait infléchir la structure de l'épargne, pour qu'elle soit plus longue, et qu'il faut l'orienter davantage vers les entreprises, en particulier vers les PME, ce que notre commission appelle de ses voeux depuis longtemps. Vous nous dites encore que les changements des règles prudentielles sont un véritable défi auquel nous devons nous adapter.
N'y a-t-il pas une contradiction entre votre souci de mieux orienter l'épargne vers les entreprises, et votre souhait de n'y faire participer ni l'épargne administrée ni l'assurance-vie ? Peut-on mieux servir les entreprises en fonds propres, sans rien toucher à la fiscalité de l'assurance-vie ? Nous devons réduire la dépense fiscale, d'au moins trois à quatre milliards par an si nous voulons respecter les dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, qui ne représentent d'ailleurs que le minimum des efforts à consentir. Pensez-vous raisonnablement qu'on y arriverait sans rien changer à la fiscalité de l'assurance-vie ?
M. Jean Arthuis, président . - La fiscalité est-elle déterminante dans le choix d'un contrat d'assurance-vie ?
M. Benoît Maës . - Certainement, avec les performances du produit lui-même.
M. Pierre Bollon . - La détermination du taux d'imposition relève naturellement du Parlement ; nous nous sommes contentés de dire que la fiscalité pourrait différencier l'épargne longue et l'épargne courte, ainsi que l'usage qui en est fait.
Ensuite, je souhaite préciser le propos de M. Schricke : la part de l'ISF-PME captée par les fonds d'investissement est passée de 320 millions d'euros à 259 millions d'euros de 2009 à 2010 parce que la fiscalité a mieux traité l'investissement direct dans l'entreprise, mais la différence de traitement a disparu dans la dernière loi de finances ; nous verrons cette année quelle est l'évolution de la répartition de ces capitaux.
M. Hervé Schricke . - Certains des dispositifs que nous proposons ne coûteraient rien à l'Etat puisqu'il s'agirait d'encourager l'orientation de l'épargne collectée vers les fonds propres des entreprises de manière réglementaire, sans toucher à la fiscalité.
M. Philippe Marini, rapporteur général . - M. le président, au sein du comité de suivi du plan de financement de l'économie française, nous avons constaté l'insuffisance du crédit octroyé aux entreprises. Nous avons réagi en faisant adopter, dans le cadre de la loi de régulation bancaire et financière, un dispositif imposant aux établissements de crédit de consacrer au moins les trois quarts de l'augmentation de leur encours sur livrets A ou sur livrets de développement durable (LDD) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à des prêts aux PME ou à des prêts d'économies d'énergie. Alors que cette initiative avait, à l'origine, suscité des réserves de la part du Gouvernement, ses mérites ont été soulignés, depuis lors, par le Président de la République.
Mais, s'agissant de l'investissement en fonds propres, on évoque de l'épargne collectée sur livrets par le système bancaire. Est-on certain que des contreparties sous forme de fonds propres ne tomberaient pas sous le coup de la nouvelle réglementation prudentielle ?
M. Patrick Suet . - Effectivement, les banques ne peuvent pas s'engager dans cette voie si un tel dispositif vient à modifier leur bilan, l'équilibre entre actif et passif.
Notre fiscalité, cela dit, est loin d'être incohérente puisqu'elle privilégie l'épargne longue en actions plutôt que l'épargne courte, à l'exception du livret A. En revanche, la Cour des comptes l'a souligné concernant le plan d'épargne en actions, pourquoi réunir des titres cotés, qui sont plus liquides, et des titres non cotés dans les mêmes catégories fiscales ? Il faudrait davantage inciter au risque ; prévoir plus d'incitations pour les titres non cotés.
M. Jean Arthuis, président . - Un vrai sujet ! De toute façon, le financement des PME ne dépend pas seulement de l'orientation de l'épargne ; il serait plus facile si les conditions de rentabilité des PME étaient mieux assurées.
M. Patrick Suet . - Aujourd'hui, vendre une action directement à un client est presque une mission impossible. Il faut réhabiliter la confiance dans l'action et accompagner cette reconquête ; cela peut passer par la fiscalité.
M. Hervé Schricke . - Permettez-moi d'avancer une proposition à laquelle nous réfléchissons avec Oseo : la mise en place d'un mécanisme de garantie mutuelle, adossé à un fonds de garantie qui pourrait être géré par Oseo. Dans un contexte où l'on demande aux banques et assurances de renforcer leur ratio de solvabilité et, donc, de disposer davantage de fonds propres et de répondre à des exigences de rentabilité plus fortes, ce serait un moyen significatif de réduire le risque, pourvu que les montants mobilisés dans un premier temps soient suffisants - il y aurait un effet levier entre le montant initialement mobilisé et les montants garantis. A long terme, cela conduirait l'Autorité de contrôle prudentiel à diminuer ses exigences en matière de fonds propres vis-à-vis des banques et des compagnies d'assurances.
M. Jean Arthuis, président . - En bref, un système analogue à celui de Sofaris qu'a repris Oseo. Dans ce cas, il faudrait renforcer les fonds propres d'Oseo.
M. Hervé Schricke . - En ce qui concerne l'innovation, la Banque européenne d'investissement est prête à mobiliser des capitaux.
M. Philippe Marini , rapporteur général . - Pour faire quelque chose de significatif, est-ce une affaire de centaines de millions d'euros ou plutôt de milliards ?
M. Hervé Schricke . - Pour la dotation initiale, je considère que nous parlons en centaine de millions d'euros ...
M. Philippe Marini , rapporteur général . - ... que la CDC pourrait trouver...
M. Hervé Schricke . - ... qui auront un impact économique se chiffrant, lui, en milliards d'euros.
M. Pierre Bollon . - C'est une très bonne piste qui, me semble-t-il, ne nécessitera pas une intervention législative.
M. Jean-Pierre Fourcade . - Nous tombons dans le surréalisme à la française : il faut adapter la fiscalité à la longévité du portage des titres, mais quid du livret A ? On doit supprimer l'ISF pour éviter une fuite des capitaux et le conserver afin de garder des capitaux disponibles pour les PME... Après ce commentaire, deux questions. A quoi correspond le chiffre de 17 % d'actions dans le bilan de l'assurance-vie ? Est-ce un ratio réglementaire, législatif, corporatif ? Pourquoi ne pas le porter à 25 % pour financer réellement l'économie ? Ensuite, pourquoi les banques ont-elles manifestement orienté l'épargne vers les comptes d'épargne bloqués plutôt que vers l'épargne à long terme ? Est-ce de la paresse ?
M. François Marc . - Nous abordons la réforme de la fiscalité du patrimoine avec deux préoccupations : le système actuel est injuste, l'État doit trouver de nouvelles recettes pour compenser une partie d'un déficit en constante augmentation. A vous entendre - je partage l'agacement du rapporteur général -, il faudrait ne rien changer... Et la crise ? N'a-t-elle pas montré qu'il y avait eu des excès bancaires ? Nous avons maintenant une coresponsabilité. J'aurais aimé vous entendre faire des préconisations plus offensives. Comment alimenter la croissance par les flux d'épargne ? Quelles incitations créer ?
M. Joël Bourdin . - Que pensez-vous d'une imposition complémentaire sur l'assurance-vie à partir d'un certain seuil de montant de contrat d'assurance-vie ? Actuellement, la courbe de l'imposition est en forme de cloche...
M. Benoît Maës . - Mon propos était de montrer que l'assurance-vie n'a pas à rougir de son bilan, non d'affirmer qu'il ne faut rien changer. La fiscalité devrait favoriser l'investissement à long terme et en actions. L'assurance-vie est en ligne avec ces objectifs généraux ; certes, on peut toujours améliorer un dispositif, mais la stabilité fiscale est importante pour les épargnants.
Monsieur Fourcade, concernant la part des actions dans nos bilans, nos clients ont deux façons d'acheter des actions dans le cadre de l'assurance-vie : soit directement via les unités de comptes, soit indirectement via les fonds en euros, lesquels sont composés d'actions, d'obligations et d'immobilier - de moins à moins, à vrai dire. Les futures règles de solvabilité pénalisent les actions dans les fonds en euros. Le mouvement n'est pas complètement engagé : actuellement, chez Groupama Gan Vie, la part des actions représente 16 %, à laquelle il faut ajouter 6 % d'unités de compte, soit 22 %. « Solvabilité II », même si tout n'est pas joué, risque de réduire la part en actions. C'est extrêmement regrettable pour notre économie, qui a besoin d'être financée, et pour nos assurés, pour lesquels la diversification des placements est essentielle. Nous incitons donc nos clients à détenir davantage d'actions directement via les unités de compte. Cela n'est pas simple, comme le rappelait M. Suet, car acheter une action, c'est prendre un risque.
Un prélèvement complémentaire sur l'assurance-vie pour les personnes qui resteront assujetties à l'ISF ? D'abord, pourquoi viser l'assurance-vie en particulier, et non toute l'épargne ? Ensuite, attention aux effets de seuil : prenons un taux de 0,25 % au titre du patrimoine, une personne qui aurait son patrimoine de 1,3 million d'euros placé en assurance-vie devrait payer 10 000 euros pour un euro de plus. Ce n'est pas très raisonnable...
M. Patrick Suet . - Monsieur Fourcade, les banques ont privilégié les comptes d'épargne bloqués, d'une part, en raison des taux d'intérêt à court terme qui ont rendu les placements sur les sociétés d'investissement à capital variable (Sicav) monétaires extrêmement peu rentables, d'autre part, à cause de la situation des liquidités et des prévisions qui ont conduit les banques à mieux rémunérer les dépôts. Cette tendance ne signifie pas que le reste ait été abandonné ; nous faisons des propositions en fonction du profil du client. Les placements en actions à long terme sont effectivement les plus rentables, mais encore faut-il en convaincre nos clients. Ne rien changer ? Non, nous devons accompagner l'évolution en gardant à l'esprit que les épargnants ont la mémoire longue - la stabilité est essentielle pour eux - et en évitant les effets de seuil.
M. Hervé Schricke . - Des préconisations offensives ? Il faut privilégier l'innovation, qui est la chance de la France dans la compétition mondiale, et bâtir un fonds de garantie mutuelle. A long terme, celui-ci serait relativement peu coûteux ; le risque étant mutualisé, il serait faible. Nous avons juste besoin d'une aide pour le créer ; on pourrait d'ailleurs imaginer un effort public, mais aussi un effort collectif du secteur.
M. Pierre Bollon . - Je soutiens la proposition d'Hervé Schricke : il faut créer un fonds de garantie et une clause de l'épargne la plus favorisée. Le principe de base serait que toute épargne est soumise à un prélèvement forfaitaire libératoire qui diminuerait en fonction de la durée de l'épargne - épargne à moyen terme et raisonnablement en actions ; épargne à long terme et fortement en actions via les plans d'épargne en actions, les plans d'épargne entreprise et les plans d'épargne pour la retraite collectif. Pour les petits épargnants, il faudrait prévoir une franchise. Voilà, me semble-t-il, le chemin sur lequel nous devons nous engager.
M. Jean-Jacques Jégou . - Envisagerions-nous la fiscalité du patrimoine sous le même angle si nous n'étions pas rongés par la dette et le déficit ? Dans un autre contexte, quelle fiscalité envisager ?
Enfin, le « marronnier » du financement des PME... Le problème est réel, je le sais pour avoir été à la tête d'une PME. Néanmoins, beaucoup de choses ont été faites. Y a-t-il une réelle appétence des PME pour se développer ? Les financeurs ne sont-ils pas, tel Soubise cherchant son armée à la lueur de sa lanterne, à la recherche d'entreprises candidates au développement à l'instar de leur homologues allemandes ?
M. Hervé Schricke . - Dans l'industrie, il y a encore des efforts à fournir pour expliquer le mérite des fonds propres. Le capital développement est en croissance forte, il y a un souhait de dynamisation. La vocation de notre métier est aussi d'aider à la croissance. Les entreprises en ont-elle envie ?, demandez-vous. Je répondrai : l'offre est-elle suffisamment attractive et abondante pour qu'elles en aient envie ?
M. Pierre Bollon . - Le monde nouveau vers lequel nous allons sera caractérisé par une économie de chocs, non plus par une croissance régulière de 3 % par an. Dans ce monde plus incertain, les entreprises devront être mieux capitalisées. Or les banques, avec « Bâle III », leur prêteront moins facilement de l'argent ; elles ne pourront plus utiliser leur pouvoir de transformation des dépôts. Le marché, plus que les banques et les assureurs, sera appelé à financer l'économie, sur le modèle américain. La logique serait donc de construire une fiscalité favorable à l'action. On ne peut pas continuer à s'en remettre aux fonds souverains chinois et aux pouvoirs publics. L'épargne française est abondante, sans être excessive - elle n'est pas supérieure à l'épargne allemande. Pour la rendre utile, la cohérence voudrait de « mettre le paquet » sur le financement direct par le marché, les actions.
M. Patrick Suet . - Relativisons : l'an dernier, sur un encours de crédits aux entreprises de 760 milliards d'euros, un tiers a été dirigé vers les PME, soit une augmentation de 4,5 %. A ce stade, le financement de l'économie ne pose pas de difficultés majeures. Nous avons besoin de 100 à 200 milliards d'euros en fonds propres pour basculer vers le monde nouveau quand l'assurance-vie représente 1 400 milliards d'euros. Il faut déplacer les flux de financement, mais les grands équilibres resteront inchangés.