N° 604

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2011

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1), comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne de M. Jacques LEGENDRE, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à garantir la diversité culturelle à l' ère numérique ,

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour , vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange , secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Mme Roselle Cros, M. Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca, M. Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

565 (2010-2011)

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, votre commission des affaires européennes est chargée d'examiner la proposition de résolution européenne n° 565 (2010-2011) déposée par Jacques Legendre le 31 mai 2011.

En moins d'un an, le Parlement français a adopté plusieurs dispositions tendant à encadrer le développement du livre numérique. Elles font suite à une réflexion foisonnante et à plusieurs rapports parlementaires et administratifs sur la régulation du prix du livre numérique. On citera notamment les travaux de la commission constituée sous la présidence de M. Bruno Patino, qui a remis son rapport le 30 juin 2008, et qui plaide pour une mesure normative permettant aux ayants-droit de conserver la maîtrise du prix du livre dans l'univers numérique.

Le rapport Patino posait ainsi les données du débat : « L'entrée dans l'ère numérique semble se produire plus tardivement pour le livre que pour d'autres industries culturelles. Pourtant, plusieurs secteurs de l'édition comme les livres professionnels, pratiques ou de référence, sont déjà largement dématérialisés. Cette évolution n'a, pour l'instant, remis en cause ni le modèle commercial, ni la relation avec les auteurs, ni les usages des lecteurs. Mais qu'en serait-il si une accélération, voire un basculement dans le numérique se produisait ? Une telle hypothèse, si elle ne peut être prédite avec certitude, mérite que les acteurs du secteur s'y préparent, compte tenu de ses possibles effets sur une économie du livre aux équilibres précaires. [...] Une vigilance particulière doit notamment être portée à la concurrence nouvelle qui pourrait s'exercer entre les détenteurs de droits (auteurs et éditeurs), dont la rémunération de la création doit être préservée et valorisée, et les détenteurs d'accès et de réseaux, qui n'ont pas nécessairement intérêt à la valorisation des droits de propriété intellectuelle ». Les livres ne sont pas des biens commerciaux comme les autres. Il doit en être de même pour les livres numériques, la différence de support ne modifiant pas la nature particulière de ces oeuvres de l'esprit.

Ces réflexions ont donc conduit le Parlement français à légiférer dans une matière où la France a été traditionnellement pionnière. Sa législation sur le livre papier a été souvent imitée depuis la loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite « loi Lang », entrée en application le 1er janvier 1982, et qui a instauré le système du prix unique.

Le Sénat a été l'initiateur résolu de cette nouvelle législation guidée par les principes suivants :

- la propriété intellectuelle doit demeurer la clé de voûte de l'édition, et les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix ;

- le maillage culturel de notre territoire, auquel contribuent la diversité de l'édition française et la multiplicité des librairies, doit être préservé.

En premier lieu, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, trois amendements identiques sénatoriaux ont été adoptés, avec les réticences du Gouvernement et les hésitations de la commission des finances, afin d'appliquer au livre numérique le même taux réduit de TVA dont bénéficie le livre « papier ». Ces amendements sont devenus l'article 25 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011. Il sera applicable à partir du 1 er janvier 2012.

En second lieu, nos collègues Catherine Dumas et Jacques Legendre, auteur de la présente proposition de résolution, ont déposé le 8 septembre 2010 une proposition de loi relative au prix du livre numérique. Inspirée directement par la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, cette proposition tend à transposer au livre numérique dit « homothétique » 1 ( * ) les principes de la loi du 10 août 1981 (prix unique fixé par l'éditeur, obligation pour les distributeurs de vendre le livre à ce prix).

Cette proposition de loi est devenue la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique 2 ( * ) .

Le Sénat a donc adopté à deux reprises en moins de six mois des positions très fortes en faveur du livre numérique. La présente proposition de résolution en est le prolongement direct et se fait l'écho des débats qui ont animé notre assemblée. Son objet est néanmoins plus large.

Elle reprend les principaux termes de l'action du Sénat (TVA à taux réduit, protection des éditeurs et auteurs face aux distributeurs), tout en élargissant la problématique à l'ensemble de la diversité culturelle, le livre numérique n'étant qu'un aspect. Elle est présentée par Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, comme il s'y était engagé en séance publique lors de l'adoption des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique.

L'objet de la résolution est de convaincre les institutions européennes et nos partenaires que les activités économiques sur l'Internet doivent être régulées et encadrées, de la même manière que dans le monde physique, dès lors que le jeu libre du marché risque de nuire à la promotion et à la préservation de la diversité culturelle. Surtout lorsque le jeu libre du marché est en réalité faussé par la concurrence fiscale déloyale de certains États membres, en particulier le Luxembourg et l'Irlande 3 ( * ) . Il faut accompagner la transition du monde physique vers monde numérique.

Les termes de la proposition de résolution sont très volontaires et reflètent l'intensité, voire la passion, des débats au Sénat :

- protection de la propriété intellectuelle et rémunération juste et équitable des auteurs ;

- refus d'assimiler les biens culturels diffusés par voie électronique à des prestations de services ;

- crainte d'un transfert de la valeur-ajoutée vers l'aval de la filière et condamnation de la tendance à la constitution d'un oligopole de distributeurs, au détriment de la rémunération nécessaire des éditeurs et des auteurs ;

- mise en place d'un cadre de régulation favorable au maintien de la diversité de la création.

Ce texte tend en conséquence à demander une modification de la législation communautaire, en particulier de la législation relative à la TVA et de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur. Cette directive considère en effet les biens culturels diffusés par voie électronique comme des prestations de services. Il en découle l'interdiction d'appliquer un taux de TVA et d'imposer des règles extraterritoriales en matière de fixation du prix.

La proposition de résolution est enfin une déclaration politique importante au moment où la France va devoir défendre auprès de la Commission européenne le bien fondé de la loi sur le prix du livre numérique et l'application du taux réduit de TVA.

En effet, ces deux mesures seraient contraires au droit communautaire, et en particulier à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation de services, selon la Commission européenne. Le Sénat les a d'ailleurs adoptées en connaissance de cause comme le montrent les débats en séance publique devant les deux assemblées. La Commission européenne a rendu deux avis circonstanciés, à la demande du Gouvernement, sur la compatibilité de la proposition de loi relative au prix du livre numérique avec le droit communautaire 4 ( * ) .

Votre commission des affaires européennes a adopté la proposition de résolution en lui apportant plusieurs modifications rédactionnelles dans un souci de synthèse. Elle l'a également recentrée sur les aspects strictement européens. Sur le fond, elle approuve les principaux objectifs du texte qui sont conformes aux traités.

Les discussions qui ont commencé avec les institutions européennes seront délicates, les mesures nationales précitées heurtant probablement le droit communautaire. Le texte s'inscrit également dans le débat plus large, initié par la France, de la nécessaire harmonisation ou convergence de la fiscalité européenne lorsque les facteurs de production sont mobiles.

C'est en connaissance de cause que le Sénat porte le débat au niveau européen. Si la Commission européenne partage les objectifs défendus, il reste à la convaincre du bien fondé et de l'utilité des mesures préconisées à cet effet. Le Parlement européen a en revanche adopté récemment deux résolutions qui rejoignent les préoccupations du Sénat.

Cette proposition de résolution, très générale, fixe aussi la grille de lecture de notre assemblée avant la présentation par la Commission européenne de plusieurs initiatives législatives dans ce domaine, conformément à sa communication intitulée une « Stratégie numérique pour l'Europe » adoptée le 26 août 2010 5 ( * ) .

EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le mardi 14 juin 2011 pour l'examen du présent rapport. A l'issue de la présentation faite par le rapporteur Mme Colette Melot, le débat suivant s'est engagé :

Mme Bernadette Bourzai :

Nous approuvons cette proposition de résolution européenne de la même manière que nous avions approuvé la proposition de loi relative au prix du livre numérique. Il est essentiel que ce texte mette en avant la défense des droits d'auteur et de la propriété intellectuelle. Avez-vous apporté des modifications de fond à la proposition de résolution ?

Mme Colette Mélot :

Non, il s'agit seulement de modifications rédactionnelles ou de précision. Le texte est plus ramassé, ce qui lui donne plus de force.

M. Richard Yung :

J'ai cru comprendre que la Commission européenne avait pour ambition de présenter un code communautaire de la propriété intellectuelle. Il lui faudra beaucoup de courage et de ténacité, les États membres en ayant des conceptions très différentes.

Des dispositions sont-elles prévues pour tenir compte de la situation particulière des publications scientifiques ou des abonnements ?

Mme Colette Mélot :

L'article 2 de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique répond directement à cette question en excluant le principe du prix unique pour ce type de publications.

Cette proposition de résolution est un acte politique important dans la phase de discussion qui va s'engager avec la Commission européenne.

La commission des affaires européennes a alors adopté la proposition de résolution ainsi modifiée, à l'unanimité :


* 1 La proposition de loi s'applique non pas à l'ensemble des livres publiés sous format numérique, mais uniquement à ceux qui présentent un contenu intellectuel - une « oeuvre de l'esprit » - et répondent au principe de réversibilité , c'est-à-dire qui sont soit déjà imprimés soit imprimables sans perte significative d'information.

* 2 Pour plus de détails sur le contexte de l'adoption de ce texte, voir les rapports législatifs n° 50 (2010-2011) et n° 339 (2010-2011) de votre rapporteur faits au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat.

* 3 Voir en particulier le compte-rendu de la séance publique du 22 novembre 2010 au Sénat sur les articles additionnels après l'article 10 au projet de loi de finances pour 2011.

* 4 Ces avis datés du 13 décembre 2010 et du 31 janvier 2011 sont publiés en annexe du rapport n° 339 (2010-2011) de votre rapporteur sur l'examen en seconde lecture de la proposition de loi.

* 5 A cet égard, le collège des commissaires a adopté récemment une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines (COM (2011) 289 final).

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