TITRE III - DISPOSITIONS FINALES
Article 30 - Application outre-mer
Le présent article tend à prévoir que certaines dispositions du projet de loi seront applicables dans les collectivités d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie.
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas permettre, à ce stade, l'application dans ces territoires des dispositions du projet de loi relatives aux tribunaux correctionnels comprenant des citoyens assesseurs ainsi que celles relatives à la cour d'assises simplifiée et à la participation des citoyens aux décisions en matière d'application des peines.
Aux termes de l'étude d'impact, « dans la mesure où une expérimentation du dispositif introduisant la participation de citoyens assesseurs au sein des juridictions pénales est mise en place, et que pour des raisons d'organisation et de fonctionnement des juridictions, celle-ci n'aura pas lieu dans les cours d'appel ultra-marines, il n'a pas été considéré opportun d'envisager des adaptations à ce stade du processus législatif » 90 ( * ) .
En revanche, seraient applicables dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie :
- les dispositions des articles 6 et 7 du projet de loi portant sur le déroulement de l'audience et la motivation des décisions devant la cour d'assises ;
- les dispositions du titre II tendant à modifier l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Un amendement est toutefois nécessaire pour préciser ces dispositions qui, en l'état, se bornent à énoncer que ces dernières dispositions seront « applicables sur l'ensemble du territoire de la République ».
En effet, les dispositions du présent projet de loi ne seront pas applicables de plein droit dans les collectivités soumises, dans la matière pénale, au principe de spécialité législative. L'application de ces dispositions en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et dans les îles Wallis et Futuna nécessite par conséquent une mention expresse.
Votre commission a adopté l'article 30 ainsi modifié .
Article 31 - Entrée en vigueur et expérimentation
Le présent article définit les conditions d'entrée en vigueur du présent projet de loi. Il propose en particulier de n'appliquer qu'à titre expérimental et dans des ressorts précisément limités les dispositions du projet de loi relatives aux citoyens assesseurs.
Le projet de loi entrerait ainsi en vigueur en trois étapes :
- l'ensemble du titre II relatif au droit pénal des mineurs, à l'exception des dispositions relatives à la présence de citoyens assesseurs devant le tribunal correctionnel pour mineurs, entrerait en vigueur selon les règles de droit commun, c'est-à-dire le lendemain de la publication du projet de loi au Journal officiel ;
- les articles 6 et 7 du projet de loi, qui portent sur le déroulement de l'audience et la motivation des décisions devant la cour d'assises, entreraient en vigueur le 1 er janvier 2012 ;
- enfin, les dispositions du titre I, à l'exception des articles 6 et 7 précités, n'entreraient pas en vigueur sur l'ensemble du territoire de la République mais feraient l'objet d'une expérimentation , dans les ressorts d'au moins deux cours d'appel à compter du 1 er janvier 2012 et d'au plus dix cours d'appel jusqu'au 1 er janvier 2014, jusqu'à ce qu'un bilan soit tiré de cette expérimentation et que le Parlement décide de l'opportunité de la généraliser à l'ensemble du territoire. A cet effet, le Gouvernement adresserait au Parlement un rapport procédant à cette évaluation six mois au moins avant le terme de l'expérimentation (soit avant le 1 er juin 2013).
Le recours à l'expérimentation en matière pénale, telle qu'elle est prévue par le présent projet de loi, paraît conforme aux exigences constitutionnelles.
A titre liminaire, il convient de rappeler que le recours à l'expérimentation constitue un procédé ancien et fréquemment utilisé en matière de modernisation des politiques publiques, permettant de « tester » un dispositif avant d'en évaluer les effets et d'éventuellement le pérenniser.
Deux voies sont possibles :
- une expérimentation sur l'ensemble du territoire national mais pour une durée limitée : ce procédé a été utilisé à plusieurs reprises, de la « loi Debré » n°59-1557 du 31 décembre 1959 sur l'enseignement privé à la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse ou la loi n°88-1088 du 1 er décembre 1988 instituant le revenu minimum d'insertion, par exemple. Il permet au Parlement de dresser un bilan au terme de l'expérimentation avant de décider de l'opportunité de pérenniser le dispositif ou au contraire de l'abandonner ;
- une expérimentation sur une partie seulement du territoire national , afin de tester un dispositif destiné à être, à terme, appliqué sur l'ensemble du territoire : avant la réforme constitutionnelle de mars 2003, ce procédé avait notamment permis d'expérimenter la réforme de la tarification sanitaire et sociale ou la globalisation des crédits de rémunération et de fonctionnement des préfectures, par exemple. Il est également possible de ranger dans cette catégorie les dispositifs permettant aux collectivités territoriales de proposer de nouvelles réglementations dérogeant très largement au droit en vigueur, dans des conditions définies par la loi.
Si le premier procédé ne soulève pas de difficulté juridique particulière, le second, en revanche, est susceptible de porter atteinte à certains principes constitutionnels, au premier rang desquels l'indivisibilité du territoire et l'égalité des citoyens devant la loi, énoncés à l'article 1 er de la Constitution.
Les conditions dans lesquelles le pouvoir législatif et réglementaire peuvent recourir à l'expérimentation ont été profondément modifiées par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République .
Avant cette révision constitutionnelle, le recours à l'expérimentation était encadré par la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel qui considéraient :
- que l'expérimentation devait être limitée dans le temps ;
- qu'elle devait avoir pour objectif l'application générale, à terme, du dispositif ;
- qu'il appartenait au législateur de définir précisément la nature et la portée des expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification ou à leur abandon.
En tout état de cause, le recours à l'expérimentation paraissait largement exclu en matière pénale, le Conseil constitutionnel ayant notamment jugé, dans sa décision n°75-56 DC du 23 juillet 1975, que le principe d'égalité devant la loi « faisait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ».
Cet état du droit a été modifié par la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, qui a inséré dans notre Constitution un nouvel article 37-1 qui dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».
Non seulement ces dispositions, de portée générale, n'excluent pas la matière pénale de leur champ d'application, mais, de plus, il ressort clairement des travaux parlementaires que l'intention du pouvoir constituant était d'autoriser le recours à l'expérimentation dans le domaine des libertés publiques .
Ainsi, notre collègue René Garrec, rapporteur de ce projet de loi constitutionnelle, écrivait-il :
« Indépendamment de son incontestable valeur symbolique, la révision constitutionnelle s'avère nécessaire pour autoriser des expérimentations dans des domaines ayant trait aux libertés publiques, tels que celui de la justice , où le Conseil constitutionnel veille au strict respect du principe d'égalité » 91 ( * ) .
Le rapport de M. Pascal Clément, député, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, est tout aussi clair :
« Ainsi rédigé, le dispositif proposé ne diffère pas fondamentalement de ce qu'autorisait déjà la jurisprudence du juge administratif et du Conseil constitutionnel : toutefois, son inscription dans la Constitution permet de consacrer un procédé pragmatique d'élaboration de la norme et d'en assurer la sécurité juridique. En outre, faisant désormais l'objet d'une consécration constitutionnelle, sa conciliation avec le principe d'égalité sera interprétée de façon moins restrictive ; il n'est donc plus exclu, comme l'annonçait le Garde des sceaux devant le Sénat, que la pratique de l'expérimentation puisse être utilisée dans des domaines touchant les libertés publiques ou les garanties fondamentales , le ministre citant à cet effet l'exemple de l'échevinage, qui pourra désormais être introduit de façon progressive dans les tribunaux d'instance » 92 ( * ) .
Notons que le recours à une révision constitutionnelle a été utilisé à plusieurs reprises par le pouvoir constituant pour permettre au législateur de déroger à certains principes protégés par le Conseil constitutionnel (ainsi en est-il par exemple de la révision constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 relative à la parité).
A contrario , le Constituant a expressément exclu la possibilité que les collectivités territoriales puissent recourir à des expérimentations en matière de libertés publiques, le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution excluant « les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou un droit constitutionnellement garanti » du champ de l'expérimentation ouvert en matière locale.
Face à des normes constitutionnelles potentiellement contradictoires, le Conseil constitutionnel considère qu'il appartient au législateur d'opérer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre les différents principes concernés.
En l'espèce, le recours à l'expérimentation prévue par le projet de loi ne paraît pas porter une atteinte manifestement disproportionnée au principe d'égalité des citoyens devant la justice.
Certes, les auteurs des infractions visées au nouvel article 399-2 du code de procédure pénale, introduit par l'article 2 du projet de loi, se verraient jugés tantôt par un tribunal correctionnel composé de citoyens assesseurs, tantôt par un tribunal correctionnel statuant « classiquement » en formation collégiale, selon le ressort de la cour d'appel dont ils relèvent, pendant la durée de l'expérimentation.
Néanmoins, la procédure de poursuite et de jugement ne serait pas substantiellement modifiée. En particulier, le projet de loi ne conduirait en aucune façon à remettre en cause l'exercice, par le prévenu, des droits essentiels reconnus à la défense et son droit à voir sa cause entendue publiquement et équitablement , conformément au droit à un procès équitable posé à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Au surplus, il convient de relever que le principe d'égalité des citoyens devant la justice ne contraint pas l'autorité judiciaire à juger selon une procédure unique et uniforme les auteurs d'infractions identiques. A l'heure actuelle, en fonction des circonstances de l'espèce, du passé pénal de l'intéressé et de la politique pénale menée par le parquet, une même infraction peut donner lieu, soit à une mesure alternative aux poursuites ou une composition pénale, soit à une procédure de jugement simplifiée (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou éventuellement ordonnance pénale délictuelle, pour un nombre circonscrit d'infractions), soit, enfin, à un jugement devant une formation collégiale. La mise en oeuvre de ces différents outils de réponse pénale a été validée par le Conseil constitutionnel, qui a notamment considéré que « si le législateur [pouvait] prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable » (décision n°2002-461 DC du 29 août 2002).
Par ailleurs, l'expérimentation prévue par le projet de loi paraît conforme aux principes dégagés par la jurisprudence antérieurement à la révision constitutionnelle de 2003 :
- elle est strictement limitée dans le temps, puisque l'article 31 du projet de loi prévoit que l'expérimentation durera deux ans, du 1 er janvier 2012 au 1 er janvier 2014 ;
- elle a pour objectif l'application générale, à terme, du dispositif : à cette fin, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport procédant à une évaluation six mois au moins avant le terme de l'expérimentation ;
- enfin, la nature et la portée de l'expérimentation est précisément définie par le titre I du projet de loi. En particulier, dans les ressorts des cours d'appel désignées pour procéder à la mise en place de juridictions composées de citoyens assesseurs, l'expérimentation devra s'appliquer intégralement et ne relèvera pas du pouvoir d'appréciation du parquet.
Il est apparu à votre commission que le législateur pouvait autoriser une expérimentation ainsi définie.
Votre commission a adopté un amendement de coordination de son rapporteur tendant notamment à tenir compte des modifications apportées à l'article 8.
Elle a également adopté un amendement de son rapporteur tendant à prévoir les dispositions transitoires nécessaires à la mise en oeuvre, dès 2012, de l'expérimentation. En effet, les citoyens assesseurs appelés à siéger au cours de l'année 2012 devront avoir été désignés à partir des listes préparatoires des jurés dressées par les maires après tirage au sort sur les listes électorales au cours de l'année 2011. Or, par définition, ces maires n'auront pu adresser aux personnes tirées au sort le recueil d'informations permettant de vérifier que ces personnes ne sont pas inaptes aux fonctions de citoyens assesseurs (voir supra commentaire de l'article 1 er ). Votre commission a donc prévu que, pour la mise en oeuvre de l'expérimentation en 2012, ce recueil serait adressé à ces personnes, lorsqu'elles n'ont pas été retenues pour être jurés, par le président de la commission.
Votre commission a adopté l'article 31 ainsi modifié .
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Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.
* 90 Etude d'impact annexée au projet de loi, page 63.
* 91 Rapport n°27 (2002-2003) de M. René Garrec, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 octobre 2002.
* 92 Rapport n°376 de M. Pascal Clément, député, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déposé le 13 novembre 2002.