Article 14 (art. 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) Plafonnement de l'honoraire perçu par l'avocat pour les procédures de divorce par consentement mutuel, en l'absence de convention d'honoraires préalable

Cet article vise à mettre en place une régulation limitée des honoraires pratiqués par les avocats en matière de divorce par consentement mutuel.

• Le droit en vigueur

L'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques consacre, pour les avocats, le principe de l'honoraire libre, corollaire du libre choix du client : en dehors de la postulation et de certains actes régis par le code de procédure civile, la consultation, l'assistance, le conseil ou la rédaction d'actes juridiques sous seing privés sont fixés par accord entre l'avocat et son client.

Cet accord peut se matérialiser dans une convention d'honoraires écrite, ce qui offre au client une plus grande prévisibilité sur les frais auxquels il s'expose. Cette convention, obligatoire en matière d'aide juridictionnelle partielle 62 ( * ) , est facultative dans tous les autres cas.

En l'absence d'une telle convention, les honoraires sont fixés « selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci » 63 ( * ) . La fixation des honoraires en considération du résultat judiciaire de l'affaire est interdite, à moins qu'elle ne joue qu'un rôle complémentaire dans le calcul total de la rémunération due à l'avocat.

• Une régulation limitée pour lutter contre certains excès constatés

La commission présidée par Serge Guinchard s'est inquiétée de la faible lisibilité des tarifs pratiqués par les avocats en matière de divorce par consentement mutuel. Elle y a vu l'une des sources de l'insatisfaction parfois exprimée contre cette procédure : en l'absence de convention d'honoraires préalable, les époux sont parfois surpris du coût total de leur divorce.

Le prix moyen d'un divorce par consentement mutuel a pu être évalué, à titre indicatif, entre 2 575 ou 3 079 euros hors taxes 64 ( * ) , selon le nombre d'audits à réaliser et le temps d'attente pour la comparution devant le juge aux affaires familiales. Cependant une telle évaluation moyenne ne rend pas compte de la diversité des situations, le coût pour les parties augmentant en fonction du nombre de points de difficultés que présente leur séparation (présence d'enfants mineurs, possibilité d'une prestation compensatoire ou nécessité de procéder à la liquidation de certains intérêts patrimoniaux communs).

Pour les membres de commission sur la répartition des contentieux, mieux encadrer les honoraires des avocats permettrait de « rendre effectif le droit à un juge pour se démarier, sans obstacle financier, auquel la Cour européenne des droits de l'homme a marqué son attachement dans l'arrêt Airey 65 ( * ) » 66 ( * ) .

À cette fin, ils ont formulé deux solutions alternatives.

La première prévoit la mise en place d'une régulation des honoraires par deux moyens : la convention d'honoraire serait rendue obligatoire en matière de divorce par consentement mutuel et une véritable politique d'affichage des honoraires pratiqués par les avocats serait engagée, afin de permettre aux parties de faire leur choix en toute connaissance de cause. Le rapport de la commission sur la répartition des contentieux relève à cet égard que « cette solution pourrait s'avérer à la fois plus consensuelle et plus efficace que celle d'un tarif imposé, mais elle suppose un engagement fort de la part des professionnels » 67 ( * ) .

La seconde solution envisagée consisterait à mettre en place une tarification générale du divorce par consentement mutuel. Il n'est cependant proposé d'y recourir que si la solution de la régulation s'avérait insuffisante. Cette tarification, qui se concrétiserait dans l'édiction d'un barème maximum, donnerait au justiciable, selon ses promoteurs, « une plus grande sécurité juridique quant au coût maximum du divorce et serait applicable uniformément à l'ensemble des avocats » 68 ( * ) .

Le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté les 13 et 14 juin 2008 une délibération proche, dans son esprit, de la première solution, qui jugeait utile l'utilisation systématique de « conventions d'honoraires, notamment dans les divorces par consentement mutuel », demandait « que soit reconnue aux barreaux la possibilité de publier des barèmes indicatifs d'honoraires » et appelait à remettre en chantier « la réflexion sur les barèmes d'honoraires réservés à certaines matières et ne portant pas atteinte à l'honoraire librement convenu ».

Sans revenir sur les termes de cette délibération, les représentants du Conseil national des barreaux entendus par votre rapporteur ont par ailleurs indiqué que le principe d'une tarification ne recueillait l'accord du CNB que sous réserve du respect de conditions limitatives : la profession devrait donner son accord sur la tarification, qui ne s'appliquerait qu'en l'absence de convention d'honoraires, serait régulièrement révisée et ne concernerait que les cas de divorce les plus simples, sans enfants mineurs, sans intérêts patrimoniaux des époux à liquider et sans perspective de prestation compensatoire.

Le projet de loi du gouvernement s'inspire de l'analyse développée par la commission sur la répartition des contentieux sans toutefois la reprendre totalement. Alors que cette dernière présentait ces deux solutions comme alternatives, l'article 14 les combine, en limitant leur portée.

Il est ainsi prévu qu'un honoraire maximum soit fixé par arrêté du garde des sceaux, après avis du Conseil national des barreaux. Cependant, les avocats pourraient y déroger, à la condition toutefois de conclure avec leur client, préalablement à leur intervention, une convention d'honoraires. Cette dernière resterait donc facultative tant que le barème maximum serait respecté.

Ce dispositif emprunte à la seconde recommandation l'idée d'un barème maximum, et à la première, le recours à la convention d'honoraires, pour en faire, non une obligation, mais une possibilité d'exemption du plafond de tarification. Il s'agit en réalité de garantir au justiciable une certaine prévisibilité des honoraires, ces derniers étant soit fixés d'avance par la convention soit inférieurs au montant maximal fixé par l'arrêté du garde des sceaux.

L'avis rendu par le Conseil national des barreaux sur le projet d'arrêté n'est qu'un avis simple : toute procédure d'avis conforme porterait atteinte aux prérogatives constitutionnelles de l'autorité réglementaire.

• La position de votre commission

À titre liminaire, votre rapporteur observe que si les différentes options proposées participent de la même inspiration et visent chacune à améliorer la prévisibilité pour les justiciables du coût de leur conseil juridique, elles divergent très sensiblement quant à leur effet et leur champ d'application. Le projet de loi du gouvernement tient ainsi le milieu entre les recommandations de la commission sur la répartition des contentieux, la délibération du CNB adoptée les 13 et 14 juin 2008 et la dernière position exprimée par cette instance.

La commission présidée par Serge Guinchard a examiné la conformité au droit communautaire et, particulièrement au principe de la libre concurrence et de la libre circulation des services, de l'option la plus contraignante pour la profession d'avocat : celle de la tarification maximale. Or, il n'apparaît pas qu'un tel dispositif fasse difficulté. Si, en effet, il porte bien atteinte au principe de l'honoraire libre et relève de la catégorie des « tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire » contraires à l'article 15, paragraphe 2, de la directive « Services » 69 ( * ) , il répond en revanche aux exigences de nécessité et de stricte proportionnalité des moyens aux fins poursuivies, qui autorisent une dérogation aux principes de la directive. En effet, les tarifs maximums garantissent l'accès des justiciables au juge, en évitant que certains ne puissent bénéficier du secours d'un avocat, faute de disposer des fonds suffisants pour le payer. Cette interprétation se trouve en particulier confirmée par l'arrêt Cippola du 5 décembre 2006 de la Cour de justice des communautés européenne 70 ( * ) qui dispose que le droit communautaire ne s'oppose pas à l'adoption par un État membre d'une mesure normative qui approuve, sur la base d'un projet établi par un ordre professionnel d'avocats, un tarif fixant une limite minimale pour les honoraires d'avocats, dans la mesure où cette réglementation répond véritablement aux objectifs de protection des consommateurs et de bonne administration de la justice susceptible de la justifier et si les restrictions qu'elle impose n'apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs.

Compte tenu des intérêts légitimes à concilier, la question de l'encadrement des honoraires des avocats est donc moins une question juridique qu'une question d'opportunité.

Or, de ce point de vue, l'ambition du dispositif prévu par le gouvernement paraît réduite : le tarif maximum ne joue que comme une incitation, pour l'avocat, à proposer une convention d'honoraires aux parties, afin de pouvoir échapper au plafonnement de ses honoraires. D'ailleurs l'efficacité de cette incitation dépendra du plafond choisi : plus il sera bas, plus les avocats auront intérêt à conclure une convention pour s'en exempter, ce qui devrait paradoxalement conduire le pouvoir réglementaire à choisir un tarif maximum peu élevé, au risque d'entrer en contradiction avec le droit communautaire en imposant une tarification trop étroite.

En outre, dans le projet de loi, seul le divorce par consentement mutuel est concerné, alors que la délibération du CNB des 13 et 14 juin 2008 envisageait l'utilisation systématique de la convention d'honoraires en citant cette matière sans toutefois s'y limiter.

Pour votre commission, il semble possible de mieux servir la finalité poursuivie par le présent dispositif, en renouant avec l'aspiration initiale du rapport de la commission sur la répartition des contentieux et la position exprimée par la profession d'avocat à cette époque.

Améliorer la prévisibilité, pour les parties, des honoraires qu'ils auront à acquitter justifie en effet de passer d'une incitation à une obligation, celle-ci étant tout à fait conciliable avec la liberté de fixation des honoraires. Et rien n'impose d'en limiter le bénéfice aux seuls divorces par consentement mutuel. Certes, les autres types de divorces connaissent plus d'incidents de procédure ou génèrent plus de difficultés de traitement. Cependant, la convention d'honoraires fixe une clé de calcul, sans figer forfaitairement la rémunération de l'avocat : elle s'adapte donc à toutes les situations, et vaut pour les divorces à l'amiable comme pour les divorces contentieux.

Votre rapporteur a dans cet esprit déposé un amendement , adopté par votre commission, tendant à rendre obligatoire la conclusion d'une convention d'honoraires pour toutes les procédures de divorces.

Par un autre amendement , lui aussi adopté par votre commission, il a cherché à traduire la proposition des membres de la commission sur la répartition des contentieux visant à fournir une information objective aux parties, sur les prix moyens généralement pratiqués en matière de divorce, en prévoyant la publication, par arrêté du garde des sceaux, pris après avis du CNB, de barèmes indicatifs.

La profession d'avocat avait tenté, par le passé d'établir de tels barèmes, mais le conseil de la concurrence (aujourd'hui « autorité de la concurrence »), confirmé par la Cour de cassation, avait jugé que de tels barèmes établis par certains ordres d'avocat, parce qu'ils n'étaient appuyés sur aucune étude sérieuse et s'avéraient même supérieurs aux honoraires habituellement pratiqué par la profession : de tels barèmes étaient contraires à l'article 7 de l'ordonnance du 1 er décembre 1986, en ce qu'ils constituaient une action concertée ayant pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence 71 ( * ) . A contrario , des barèmes indicatifs comme le propose votre commission, construits avec suffisamment d'objectivité et conformes aux usages observés dans la profession et imposés par l'autorité réglementaire, après consultation des instances représentatives de la profession, favoriseront la transparence des prix et donc, la concurrence.

Votre commission a adopté l'article 14 ainsi rédigé .


* 62 En cas d'aide juridictionnelle totale, le client ne versant aucuns honoraires, ladite convention est sans objet.

* 63 Deuxième paragraphe de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

* 64 Évaluation indicative réalisée par l'association nationale des avocats spécialistes en droit des personnes, Actualité juridique Famille , 2008.336.

* 65 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande , série A, n° 32 b.

* 66 Rapport de la commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard, préc., p. 114-115.

* 67 Ibid. , p. 115.

* 68 Loc. cit.

* 69 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

* 70 CJCE, 5 décembre 2006, C-94/04 et C-202/94.

* 71 Conseil de la concurrence, 3 décembre 1996, Gazette du Palais , 15 mai 1997 et Civ. 1 ère , 13 février 2001, JCP 2001.I.348, n° 21.

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