CHAPITRE II EXTENSION AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA PROCÉDURE D'INJONCTION DE PAYER ET INSTITUTION D'UNE PROCÉDURE EUROPÉENNE D'INJONCTION DE PAYER ET D'UNE PROCÉDURE EUROPÉENNE DE RÈGLEMENT DES PETITS LITIGES
Article 3 (art. L. 221-4-1 nouveau, L. 221-7 du code de l'organisation judiciaire, art. L. 721-3-1 et L. 722-3-1 nouveaux du code de commerce) Extension au tribunal de grande instance de la procédure d'injonction de payer et institution d'une procédure européenne d'injonction de payer et d'une procédure européenne de règlement des petits litiges
Cet article institue une procédure européenne d'injonction de payer et une procédure européenne de règlement des petits litiges. Il modifie le code de l'organisation judiciaire (I) et le code de commerce (II) afin de donner aux tribunaux d'instance et aux tribunaux de commerce la compétence pour connaître des demandes relatives à ces procédures. Il étend par ailleurs au tribunal de grande instance la procédure d'injonction de payer.
1. La procédure d'injonction de payer
Cette procédure, introduite dans le droit français par un décret du 25 août 1937 pour les créances de nature commerciale, puis étendue aux créances de nature civile par la loi du 4 juillet 1957 et à toute les créances d'origine contractuelle par le décret du 28 août 1972, permet à un créancier d'obtenir la délivrance d'un titre exécutoire sans débat préalable. Elle est aujourd'hui organisée devant la juridiction de proximité, le tribunal d'instance et le tribunal de commerce.
Cette procédure comporte deux temps. Tout d'abord, à l'issue d'une phase non contradictoire, le demandeur peut obtenir une ordonnance d'injonction de payer, si le juge reconnaît le bien-fondé de sa demande. Le défendeur peut alors former opposition pour éviter que la décision ne devienne exécutoire. Cette opposition déclenche, le cas échéant, un deuxième temps, contradictoire, devant la juridiction qui a rendu l'ordonnance. Si le débiteur ne forme pas opposition dans le délai d'un mois, l'injonction est revêtue de la forme exécutoire.
Par conséquent, l'injonction de payer vise à épargner au créancier d'une somme d'argent le coût et la lenteur d'une procédure de droit commun. La procédure d'injonction de payer peut être mise en oeuvre pour des créances ayant une cause contractuelle (loyer) ou une cause statutaire (cotisations aux ordres professionnels, aux caisses de retraite).
Près de 650.000 injonctions de payer sont ainsi prononcées chaque année. Seulement 5 % des ordonnances font l'objet d'une opposition. La commission sur la répartition des contentieux relève ainsi que « l'efficacité de la procédure d'injonction de payer est unanimement reconnue et démontrée par sa large utilisation ». Elle considère cependant que le fait qu'il n'existe pas d'injonction de payer devant le tribunal de grande instance « est une source de complexité pour le justiciable et nuit à la lisibilité des compétences ». C'est en effet le juge d'instance qui connaît des requêtes en injonction de payer d'un montant supérieur à 10.000 euros, alors que de telles affaires devraient relever du tribunal de grande instance en application du taux de compétence des juridictions. Par conséquent, en cas d'opposition, le défendeur peut soulever l'incompétence du tribunal d'instance au profit du tribunal de grande instance, ce qui peut ralentir l'issue du dossier.
Selon le rapport Guinchard, cette situation conduirait certains demandeurs à agir directement devant le tribunal de grande instance, selon les règles de procédures ordinaires, qui se révèleraient plus rapides qu'une procédure de renvoi sur incompétence.
Aussi, ce rapport recommande-t-il d'étendre la procédure d'injonction de payer au tribunal de grande instance. Le tribunal d'instance resterait compétent pour connaître des requêtes en injonction de payer qui, même supérieures à 10.000 euros, relèvent de sa compétence exclusive, comme celles relatives au crédit à la consommation ou aux baux d'habitation.
2. La procédure européenne de règlement des petits litiges
Le règlement CE n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges vise à simplifier le règlement des litiges transfrontaliers en matière civile et commerciale, lorsque le montant de la demande ne dépasse pas 2000 euros au moment de sa réception par la juridiction compétente, hors intérêts, frais et débours.
L'article 3 du règlement définit le litige transfrontalier comme un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un Etat membre autre que l'Etat membre de la juridiction saisie. La demande doit être introduite devant le juge compétent au sens du règlement n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « Bruxelles I »). La juridiction compétente est donc celle de l'Etat membre où le défendeur a son domicile, quelle que soit sa nationalité.
La représentation par un avocat n'est pas obligatoire dans le cadre de cette procédure, qui est introduite au moyen d'un formulaire prévu par l'annexe I au règlement.
La juridiction compétente peut demander des informations complémentaires au demandeur, avant d'adresser un formulaire de réponse au défendeur, qui dispose de trente jours pour répondre. La juridiction transmet alors dans les quinze jours une copie de la réponse au demandeur. Elle doit rendre une décision dans les trente jours à compter de la date de réception des réponses du défendeur et du demandeur (en cas de demande reconventionnelle). Elle peut cependant demander aux parties de lui fournir des renseignements complémentaires et décider de convoquer les parties à l'audience.
L'exécution de la décision se déroule ensuite conformément au droit procédural de l'Etat membre d'exécution. La décision « est reconnue et exécutée dans un autre Etat membre sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de s'opposer à sa reconnaissance (article 20 du Règlement - n° 861/2007).
L'exécution de la décision peut cependant être refusée :
- si la décision est incompatible avec une décision antérieure rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant la même cause ;
- ou si la décision antérieure a été rendue dans l'Etat membre d'exécution, ou y réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance, et si l'incompatibilité des décisions n'a pas été et n'aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure européenne de règlement des petits litiges (article 22 du Règlement).
Toute décision rendue dans le cadre d'une procédure européenne de règlement des petits litiges peut faire l'objet d'un recours selon le droit procédural des Etats membres.
Le défendeur peut en outre demander un réexamen d'une décision auprès de la juridiction qui l'a rendue, dans les cas définis par le règlement, c'est-à-dire lorsque :
- la signification ou la notification de la demande ou la citation à comparaître à une audience n'est pas assortie de la preuve de réception par le défendeur ;
- la signification ou la notification n'a pas été effectuée en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense, sans comportement fautif de sa part ;
- le défenseur a été dans l'impossibilité de contester la demande pour des raisons de force majeure ou suite à des circonstances particulières, sans qu'il y ait eu faute de sa part.
La demande doit être introduite dans la ou les langues de la juridiction saisie.
Lorsque la juridiction reçoit une autre pièce dans une autre langue, elle peut demander une traduction lorsque cette pièce lui semble nécessaire pour rendre une décision.
Le règlement ne s'applique pas aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité d'Etat. Sont également exclus l'état et la capacité des personnes physiques ; les régimes matrimoniaux, obligations alimentaires, testaments et successions, les faillites, concordats et autres procédures analogues ; la sécurité sociale ; l'arbitrage ; le droit du travail, les baux d'immeubles, sauf en ce qui concerne les procédures relatives à des demandes pécuniaires et les atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, y compris la diffamation.
Le règlement est entré en application le 1 er janvier 2009 dans tous les Etats membres de l'Union européenne sauf le Danemark. La procédure européenne de règlement des petits litiges a été transposée au sein des articles 1382 à 1390 du code de procédure civile.
Le 1° du I de l'article 3 inscrit dans un nouvel article L. 221-4-1 du code de l'organisation judiciaire la compétence du tribunal d'instance pour connaître des demandes formées en application du règlement n° 861/2007.
Le 1° du II insère par ailleurs dans le code de commerce un nouvel article L. 721-3-1 attribuant aux tribunaux de commerce la compétence pour juger, dans les limites de leur compétence d'attribution, ces demandes.
3. La procédure européenne d'injonction de payer
Le règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer vise à simplifier, accélérer et réduire les coûts des litiges transfrontaliers sur les créances pécuniaires incontestées en matière civile et commerciale.
Ce règlement est entièrement et directement applicable depuis décembre 2008. La procédure européenne d'injonction de payer a d'ailleurs été inscrite aux articles 1424-1 à 1424-15 du code de procédure civile. Elle assure la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l'ensemble des Etats membres, grâce à des normes évitant les procédures intermédiaires dans l'Etat membre d'exécution.
Ainsi, la demande d'injonction de payer doit être présentée au moyen d'un formulaire défini en annexe au règlement. Elle obéit aux mêmes règles de compétence que la procédure européenne de règlement des petits litiges (application du règlement n° 44/2001 dit « Bruxelles I »).
La juridiction saisie doit examiner dans les meilleurs délais si les conditions de recevabilité sont réunies. Elle peut demander des compléments ou des rectifications au demandeur.
Si ce dernier accepte la proposition de la juridiction, celle-ci délivre une injonction de payer européenne.
S'il ne respecte pas le délai fixé par la juridiction, ou s'il refuse la proposition, la juridiction rejette l'intégralité de la demande d'injonction de payer européenne.
Le défendeur est informé qu'il peut soit payer au demandeur le montant de la créance, soit s'y opposer, dans les trente jours de la notification de l'injonction de payer.
Comme pour la procédure de règlement des petits litiges, le règlement instituant la procédure européenne d'injonction de payer supprime l'exéquatur. Aussi l'injonction est-elle reconnue et exécutée dans les autres Etats membres sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire.
L'injonction de payer européenne est signifiée au défendeur selon les dispositions du droit national de l'Etat où la signification doit être effectuée.
Cette procédure ne concerne que les créances pécuniaires, liquides et exigibles, qu'elles soient de nature civile ou commerciale. La créance doit être de nature contractuelle ou résulter d'un accord entre les parties ou d'une reconnaissance de dette. Elle n'est pas applicable en matière fiscale, douanière, administrative, ni en matière de responsabilité de l'Etat.
Elle ne peut pas non plus être mise en oeuvre en matière de régimes matrimoniaux, de faillites, de sécurité sociale ou de créances découlant d'obligation non contractuelles.
Les 2° du I et du II de l'article 3 donnent respectivement au tribunal d'instance et au président du tribunal de commerce, dans les limites de la compétence d'attribution de ce tribunal, la compétence pour connaître des demandes formées en application du règlement instituant la procédure européenne d'injonction de payer.
Cette compétence serait inscrite à l'article L. 221-7 du code de l'organisation judiciaire et au nouvel article L. 722-3-1 du code de commerce.
4. L'extension au tribunal de grande instance de la procédure d'injonction de payer
L'intitulé du chapitre II et l'exposé des motifs du projet de loi évoquent l'extension au tribunal de grande instance de la procédure d'injonction de payer.
Cette extension est mise en oeuvre par le 2° du I de l'article 3, qui réécrit l'article L. 221-7 du code de l'organisation judiciaire. En effet, cet article dispose que le juge d'instance est compétent pour statuer selon la procédure d'injonction de payer, « à quelque valeur que la demande puisse s'élever », sous réserve de la compétence de la juridiction de proximité. La suppression de cette rédaction permettra l'application des règles de répartition des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance. Le premier statuera donc sur les requêtes en injonction de payer jusqu'à la valeur de 10.000 euros et le second au-delà de cette valeur.
Si cette extension constitue une simplification et une clarification, elle aura pour conséquence d'obliger les justiciables souhaitant demander une injonction de payer d'un montant supérieur à 10.000 euros à recourir aux services d'un avocat. La procédure sera donc plus coûteuse pour le justiciable.
A cet égard, la commission sur la répartition des contentieux évoque deux solutions possibles :
- la présentation de la requête par un avocat, conformément au droit commun des procédures devant le tribunal de grande instance ;
- permettre la présentation de la requête par le demandeur lui-même ou par son mandataire, comme cela est déjà possible devant le tribunal d'instance ou le tribunal de commerce. Comme le précise le rapport Guinchard, « les parties seraient cependant tenues de constituer avocat lors de la phase contradictoire consécutive à l'opposition ».
La possibilité, pour le demandeur, de former lui-même la requête, pourrait être prévue par voie réglementaire. En revanche, une disposition législative serait nécessaire pour permettre à un mandataire (huissier de justice, société de recouvrement) de présenter la requête, car il s'agirait d'une dérogation au monopole de représentation des avocats.
Votre rapporteur considère que la possibilité, pour un mandataire, de former la requête en injonction de payer devant le TGI complèterait opportunément la réforme engagée, en facilitant l'accès à cette procédure. Il entend poursuivre l'examen d'une disposition qui assurerait la mise en oeuvre de cette possibilité.
Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .