II. LA POSITION DE LA COMMISSION : UN TEXTE UTILE QUI DOIT ÊTRE COMPLÉTÉ
Votre commission a approuvé et adopté le dispositif de réserve de sécurité nationale intégré dans la proposition de loi qui est de nature à rendre crédible et fiable l'engagement de réservistes dans la gestion d'une crise majeure. Elle a complété le texte de la proposition de loi par une rénovation du service de défense.
Elle considère, cependant, que ce texte ne suffira pas à faire des réserves une solution pleinement opérationnelle en temps de crise.
Elle estime que l'adoption de ce dispositif doit être accompagnée d'une remise à plat de la politique des réserves.
A. UN INSTRUMENT UTILE AU SERVICE DE LA GESTION DE CRISE
1. Une réponse pragmatique à un besoin bien identifié
La commission des affaires étrangères a jugé que ce texte répondait à un besoin bien identifié et apportait une réponse adaptée.
Elle a estimé que ce régime juridique d'exception temporaire présentait l'avantage d'accroître lors d'un événement majeur la réactivité des forces de réserves, sans alourdir au quotidien les contraintes auxquelles sont soumis les réservistes et les employeurs.
Il s'agit d'une réponse pragmatique qui dote l'Etat d'un nouvel instrument plus adapté que ne le sont les textes actuels sur les états d'exception, qui préserve l'esprit du volontariat et les intérêts des entreprises.
2. Un volet fiscal qui devra être discuté lors de l'examen de la loi de finances
Les auteurs de la proposition de loi insistent sur le fait que les entreprises, en tant qu'employeurs de réservistes, constituent un élément central du dispositif.
Votre commission estime avec eux que la qualité et les performances des réserves dépendent de la qualité des relations que les différentes réserves sauront nouer avec les employeurs.
Dans une société qui demande un engagement accru des jeunes adultes dans leur vie professionnelle, l'engagement au profit de la communauté est aujourd'hui plus rare, plus difficile qu'hier. Composée de volontaires qui, à tout moment, peuvent rompre leur engagement, la réserve dépend très largement de la qualité des relations que les armées sauront entretenir avec les entreprises qui les emploient.
Des actions doivent être menées pour valoriser les entreprises qui emploient des réservistes.
Comme le souligne le Livre blanc sur la défense : « Il faut valoriser le rôle des réservistes et mieux assurer son acceptabilité dans les entreprises et les administrations. Dans le même esprit, les employeurs ne doivent pas subir de préjudice financier disproportionné lors des engagements ».
Tous les rapports sur les réserves le soulignent, mais peu de choses ont été faites.
Or, force est de constater que les autorités qui emploient des réservistes n'ont pas beaucoup de choses à offrir aux entreprises qui emploient des réservistes.
Dans le domaine militaire, la qualité de « partenaire de la réserve », le logo qui lui est associé ou l'accès exclusif à un dispositif de formation à l'intelligence économique ne sont pas à la hauteur de l'effort consenti par ces entreprises qui acceptent de se séparer pendant plusieurs jours de salariés qui sont souvent parmi les plus volontaires et les plus dynamiques.
Constatant que le dispositif de crédit d'impôt, complexe et peu utilisé, destiné à compenser les sommes versées par l'entreprise aux salariés pour maintenir leur salaire pendant leurs activités dans la réserve, n'est plus en vigueur, les auteurs de la proposition de loi estiment que l'extension aux réservistes des dispositions relatives au mécénat est de nature à encourager les entreprises qui emploient des réservistes.
Il était en effet, jusqu'en 2009, possible, pour une entreprise, de bénéficier d'un crédit d'impôt dont l'assiette correspondait aux sommes versées par l'entreprise aux salariés pour maintenir leur salaire pendant les activités dans la réserve.
Un dispositif de crédit d'impôt pour les entreprises qui emploient des réservistes avait été mis en place, à titre expérimental, par l'article 108 (§ VI) de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 (nouvel article 244 quater N du code général des impôts) pour les dépenses exposées par les entreprises en 2006 et 2007, puis reconduit en 2008 par l'article 94 de la loi n° 2007-1822.
Le nouvel article 244 quater N du code général des impôts visait à encourager le maintien de la rémunération du réserviste pendant les périodes de réserve accomplies au-delà de l'obligation minimale de cinq jours. Le crédit d'impôt était égal à 25 % de la différence entre le salaire versé par l'entreprise au réserviste et la solde qu'il perçoit. Le montant du salaire brut journalier retenu pour le calcul était plafonné à 200 € par salarié et le montant total du crédit d'impôt auquel les entreprises pouvaient prétendre était plafonné à 30 000 € par an.
Le dispositif s'est avéré en réalité très peu motivant pour les entreprises, et seulement quelques dizaines en auraient bénéficié. Cette procédure a été peu employée par les entreprises parce que particulièrement complexe.
Aussi les auteurs de la proposition de loi ont-ils proposé de substituer à ce crédit d'impôt le dispositif du mécénat.
Votre commission estime justifié d'aider ainsi les entreprises qui contribuent à la fidélisation des réservistes.
Elle a néanmoins considéré que cette mesure de nature fiscale devait être discutée dans la loi de finances. A un moment où le gouvernement souhaite inscrire dans la Constitution le monopole des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité Sociale pour l'ensemble des mesures fiscales et sociales, il ne paraît pas opportun de déroger à cette règle de bonne gestion qui s'impose déjà à l'exécutif 5 ( * ) .
La commission estime, en outre, que le délai qu'offre la perspective d'une discussion de cette mesure en loi de finances donnera à chacun le temps de la réflexion pour savoir s'il s'agit de la mesure la plus adaptée pour encourager les entreprises employant des réservistes.
3. Un texte qui doit être complété par une adaptation du régime juridique du « service de défense »
La proposition de loi prévoit, lorsque le dispositif de réserve de sécurité nationale est déclenché, que les réservistes sont dans l'obligation de rejoindre leur affectation. Les réservistes employés au sein d'une entreprise dont le fonctionnement est jugé essentiel au bon fonctionnement du pays peuvent néanmoins dans le texte proposé, sous certaines conditions, déroger à cette obligation.
Il a, en effet, été jugé essentiel de garantir aux citoyens et aux entreprises qu'en cas de mobilisation des réservistes, les salariés indispensables au bon fonctionnement des grands opérateurs, notamment dans le domaine des télécommunications, des transports et de l'énergie, ne puissent être réquisitionnés afin qu'ils contribuent, dans leur poste, à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation au sein de leur entreprise.
Or la préoccupation de pouvoir disposer du personnel nécessaire pour assurer la continuité de l'action des services de l'Etat et des opérateurs dont les activités contribuent à la défense de la France est au coeur du dispositif dit de « service de défense », ce que la proposition de loi ne modifie pas. Pourtant, comme le souligne le Livre Blanc sur la sécurité et la défense nationale, il est aujourd'hui nécessaire de le rénover. C'est pourquoi votre rapporteur a souhaité intégrer, en liaison avec le SGDSN, dans la proposition de loi un toilettage de ce dispositif afin d'en assurer la cohérence avec le reste de la proposition de loi.
Le service de défense, qui trouve son fondement dans l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, permet au Gouvernement, en cas de menace grave pour la sécurité et la défense de la Nation, de maintenir à leur poste certaines catégories de personnes pour satisfaire les besoins des pouvoirs publics et servir au lieu et dans les conditions qui leur sont assignées.
Le service de la défense visait initialement les personnels des trois fonctions publiques, des entreprises publiques ou privées qui concourent à la continuité de l'action gouvernementale, à la protection des populations et à l'accomplissement de tâches d'importance vitale pour la Nation (fonctionnement minimum des services publics, approvisionnement en produits et denrées de base).
En 1999, la suspension du livre II du service national avait des conséquences sur le régime juridique des réservistes, mais aussi sur l'organisation du service de défense qui figurait alors dans ce livre. S'était alors posée la question du maintien du service de défense.
Les pouvoirs publics conservaient, en effet, la possibilité de recourir à la réquisition des fonctionnaires et agents des services publics ou privés, ou de négocier avec leurs représentants. Toutefois, la réquisition collective supposait la mise en oeuvre d'une procédure lourde et complexe : ouverture du droit à réquisition par décret en Conseil des ministres, publication au Journal officiel, notification de chaque arrêté.
Le Parlement avait alors décidé de reconduire pour une large part le dispositif prévu pour le service de défense, souhaitant ainsi le maintien d'une procédure simple et rapide adaptée à des situations d'urgence.
Le dispositif voté en 1999 et confirmé en 2006 définissait l'objet du service de défense et les catégories d'activité concernées tout en renvoyant à un décret la liste précise des secteurs soumis aux services de défense.
Or depuis, les mesures d'application de ce texte n'ont pas été adoptées par le gouvernement, laissant le dispositif inopérant.
De plus entre-temps, le code de la défense a été adapté à l'occasion de la rénovation en 2006 du dispositif de sécurité des activités d'importance vitale, inséré aux articles R. 1332-1 à 1332-42, pris sur le fondement des articles L. 1332-1 à 1332-7.
Ce dispositif relatif aux activités d'importance vitale constitue le cadre permettant d'associer les opérateurs, publics ou privés, au système national de protection contre le terrorisme, d'analyser les risques et d'appliquer les mesures à leur niveau, en cohérence avec les décisions des pouvoirs publics.
Cette réforme opérée en 2006 a unifié les dispositifs antérieurs applicables aux installations d'importance vitale et aux points et réseaux sensibles.
Ce dispositif de sécurité des activités d'importance vitale s'inscrit plus largement dans une démarche d'ensemble visant à adapter les conditions dans lesquelles la Nation se prémunit contre toute menace, notamment la menace terroriste, en améliorant l'articulation des dispositions que mettent en oeuvre respectivement les pouvoirs publics et les opérateurs, en particulier dans le cadre du plan VIGIPIRATE et de ses mesures opérationnelles graduées.
Les objectifs généraux de cette réforme visaient à faciliter l'application du plan VIGIPIRATE, à associer pleinement les opérateurs à l'effort de vigilance, de prévention et de protection, et à sélectionner rigoureusement les points devant faire l'objet d'une protection efficace adaptée au niveau de la menace.
Or cette réforme du dispositif de sécurité des activités d'importance vitale a été opérée sans modifier le service de défense.
La rédaction des dispositions relatives au service de défense est, dès lors, devenue obsolète dans la mesure où elle ne renvoie pas aux catégories des opérateurs d'installations d'importance vitale.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics se trouvent dépourvus de moyens juridiques pour pouvoir s'appuyer sur le personnel des services publics ou privés nécessaires à l'accomplissement de tâches d'importance vitale pour la Nation.
Certes, le statut général des militaires répond à cette exigence, puisqu'il pose les principes d'engagement et de disponibilité qui découlent des missions confiées aux forces armées en temps de paix comme en temps de guerre. Les statuts particuliers des personnels du corps préfectoral, de la police nationale, mais aussi de la DGSE ou de l'administration pénitentiaire traduisent également des sujétions particulières.
En revanche, la manière de faire appel aux agents publics civils sous statut général, ou encore aux entreprises privées oeuvrant dans les secteurs intéressant la sécurité, devait être repensée dans le cadre d'un toilettage du «service de défense ».
Dès 2008, le Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale souligne que « Ce système, créé à la fin des années 1950, souffre, sous sa forme actuelle, d'insuffisances importantes. Bien qu'adapté en 1999 il n'est pas mis en oeuvre. Son dispositif juridique le lie étroitement à des situations, comme la mobilisation, devenues aujourd'hui improbables. Enfin, il ne comporte pas d'obligation en matière de formation, ni de préparation ».
C'est pourquoi le Livre blanc préconise que le « service de défense » soit « remplacé par un « service de sécurité nationale ».
Rénover ce dispositif présente l'intérêt de bien coordonner les obligations qui résulteront du service de défense avec celles liées au dispositif de réserves de sécurité nationale, mais aussi de rendre opérationnel un mécanisme essentiel à ce que le Livre blanc appelle la résilience de la nation, c'est-à-dire la capacité des pouvoirs publics et des opérateurs d'importance vitale à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeure puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal.
Ces raisons ont conduit votre commission à compléter la proposition de loi par un article additionnel procédant à une modernisation du « service de défense ».
L'objectif de ce service de défense rénové, dont l'intitulé est modifié en « service de sécurité nationale » conformément aux recommandations du Livre blanc et en harmonie avec le dispositif relatif aux « réserves de sécurité nationale », resterait inchangé.
Il s'agirait d'assurer, en cas de crise majeure, la continuité de l'action publique et des opérateurs contribuant à la défense et à la sécurité nationale. Ce dispositif rénové viendra compléter la palette des outils de traitement de crise à la disposition du Gouvernement.
La proposition adoptée par la commission élargit les situations pouvant justifier le recours au service de défense de deux façons.
Actuellement le recours au service de défense est possible en cas de mobilisation générale.
Le Livre blanc recommande, d'une part, de prévoir la mise en oeuvre du service de défense en cas de déclaration de l'état d'urgence.
Il a semblé, d'autre part, nécessaire d'assurer une cohérence avec les dispositions prévues pour le dispositif de réserve de sécurité nationale qui peut être déclenché en cas de crise majeure. La proposition de votre commission fait donc en sorte que les circonstances de déclenchement du dispositif de réserve de sécurité nationale soient également les mêmes que celles du déclenchement du service de défense rénové.
Le but est de permettre la mise en oeuvre du service de défense rénové en cas de menace portant sur le territoire ou sur la population, de déclenchement de l'état d'urgence ou de circonstances justifiant un recours à la réserve de sécurité nationale.
La modernisation de ce dispositif est également l'occasion de préciser les catégories d'activités concernées par le service de défense rénové en faisant explicitement référence aux opérateurs publics ou privés mentionnés à l'article L.1332-1 du code de la défense et les gestionnaires d'établissements mentionnés à l'article L.1332-2 du code de la défense.
Cette modernisation permet de donner une base législative à l'obligation, pour ces grands opérateurs essentiels à la vie du pays, de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de leur activité en cas de crise majeure et notamment d'adopter des plans de continuité d'activité et de rétablissement d'activité.
Le dispositif ainsi rénové offre surtout aux entreprises un cadre législatif leur permettant d'organiser la continuité de leur activité et d'imposer la présence de leurs salariés dans une situation de crise où ces derniers pourraient vouloir avant tout rester à leur domicile ou quitter leur zone de résidence habituelle.
* 5 cf. circulaire du Premier ministre n° 5471/SG du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale.