II. UNE RÉFORME DEVENUE INDISPENSABLE

Plusieurs facteurs rendent aujourd'hui impérative une réforme de la garde à vue.

A. DES MODALITÉS D'APPLICATION CRITIQUABLES

1. Une très forte augmentation du nombre de gardes à vue

Le nombre des gardes à vue n'a cessé d'augmenter depuis 15 ans : de 275 698 en 1994, il atteint 336 718 en 2001, 530 994 en 2006, 562 083 en 2007, 577 816 en 2008, 580 108 en 2009. Il connaît un infléchissement en 2010 avec 523 059 placements en garde à vue 14 ( * ) .

Encore ces chiffres ne prennent-ils pas en compte les gardes à vue fondées sur une infraction au code de la route -174 244 en 2009- ni les mesures effectuées outre-mer -de l'ordre de 37 500. Ainsi, au total 792 293 gardes à vue ont été décidées en 2009.

Comme le relevait votre rapporteur lors de l'examen de la proposition de loi précitée tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, « la très forte augmentation du nombre de gardes à vue au cours des dix dernières années ne permet plus d'éluder la question d'un recours abusif à cette mesure ».

L'atteinte portée à la liberté individuelle ne saurait, en vertu du principe de proportionnalité qui guide la procédure pénale, se justifier pour des faits d'une gravité limitée.

Sans doute, comme le note d'ailleurs le rapport d'activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2008, le choix de retenir le nombre de placements en garde à vue comme l'un des indicateurs de performance de la police et de la gendarmerie nationale n'est-il pas étranger à la progression du nombre de gardes à vue. A titre d'exemple, le calcul du taux d'efficacité du traitement procédural des violences urbaines rapproche le nombre de personnes faisant l'objet d'un placement en garde à vue avec celui des personnes ayant été interpellées dans le cadre d'opérations de rétablissement de l'ordre public à l'occasion de violences urbaines (la prévision pour 2009 portait ce taux à 85 %).

Le ministre de l'intérieur a néanmoins indiqué dans un entretien accordé à la presse 15 ( * ) que « dès 2010, dans le nouveau tableau de bord de la sécurité, le nombre de gardes à vue ne figure même plus comme simple information de l'activité des services ».

En outre, une note de service de la direction générale de la police nationale du 16 février 2010 a rappelé que la garde à vue n'est pas systématique et que « son application doit être adaptée aux circonstances de l'affaire et à la personnalité du mis en cause ».

2. Des conditions matérielles souvent déplorables

Le nombre de gardes à vue heurterait peut-être moins l'esprit public si ces mesures ne se déroulaient dans des conditions souvent déplorables. Dans son rapport d'activité pour 2008, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait dressé un état des lieux très critique sur les locaux de garde à vue. En effet, tout en reconnaissant que des efforts de rénovation avaient été entrepris, il estimait que « la plupart des lieux de garde à vue restent dans un état indigne pour les personnes qui y séjournent, qu'elles soient interpellées ou qu'elles y exercent leurs fonctions(...). Si les mesures prises en 2003 par le ministre de l'intérieur permettent une nourriture régulière (et frugale) des personnes gardées à vue, il ne peut être encore question pour celles-ci de se laver, d'aller aux toilettes sans quémander l'autorisation (accordée ou non), le plus souvent de bénéficier de couverture (propre, de surcroît), a fortiori de s'occuper à quelque chose. Il est même parfois difficile d'attirer l'attention des agents chargés de la garde, en l'absence de dispositif d'appel et en dépit des systèmes de surveillance fréquents ».

Selon le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, cette situation tient à trois raisons principales :

- la conception des lieux (des cellules trop étroites ou dont les sièges sont insuffisants pour asseoir tous ceux qui y sont hébergés, des toilettes séparées -et trop souvent bouchées-) ;

- l'absence d'entretien lourd : les cellules les plus occupées sont aussi les plus négligées ;

- les dégradations : « ni sommeil ni appétit ni aucune activité possible : les personnes en garde à vue « se vengent » par la dégradation des locaux ».

Comme l'observait le rapport précité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « alors qu'une des issues beaucoup plus fréquentes de la garde à vue est désormais la comparution devant le juge (procédure de comparution immédiate) ou devant le magistrat du parquet (par exemple pour la comparution pour reconnaissance de culpabilité -CRPC), il est raisonnable de penser que ces conditions ne facilitent pas la préparation de sa défense par la personne interpellée ».


* 14 Source état 4001, ministère de l'intérieur.

* 15 Journal du dimanche, 14 février 2010.

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