II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
A. UNE QUESTION PRÉALABLE : L'INTERVENTION DU LÉGISLATEUR EST-ELLE JUSTIFIÉE ?
Comme indiqué précédemment, le texte qui nous est soumis vise à apporter une réponse législative aux incertitudes jurisprudentielles quant à l'intérêt à agir du parlementaire en cette seule qualité.
Une autre solution aurait pu consister à attendre que le Conseil d'Etat se prononce sur cette question avant d'envisager le recours à la loi.
En effet, si la haute juridiction a éludé cette question jusqu'à présent, elle ne pourra éternellement adopter une telle d'attitude. Elle aura nécessairement un jour à connaître d'un recours de parlementaires qui sera accepté sur le fond et qui, sur la forme, ne lui permettra pas de s'appuyer sur une autre qualité que celle de parlementaire (telle que président de comité, contribuable, usager d'un service public...). Il lui faudra alors déterminer sa position et tracer les limites de l'intérêt à agir du parlementaire en cette seule qualité.
Dans une récente chronique, Sophie-Justine Liéber et Damien Botteghi, tous deux maîtres des requêtes au Conseil d'Etat, estiment ainsi que « dans l'arrêt Fédération de la libre pensée, le choix a été de réserver la question pour l'affronter quand il sera nécessaire de le faire. » 14 ( * ) .
Il serait alors loisible à la représentation nationale de modifier ou préciser les règles fixées par la haute juridiction si elle ne les juge pas satisfaisantes.
Par ailleurs, certains jugent préférable la solution jurisprudentielle à l'intervention du législateur. Ils opposent la souplesse de la jurisprudence à la rigidité de la loi.
Dans leur chronique précitée, Sophie-Justine Liéber et Damien Botteghi considèrent ainsi que « l'intérêt à agir du parlementaire devrait ressortir de la méthode traditionnelle du juge administratif et gagnerait à ne pas devenir un abcès de fixation, à la recherche, probablement chimérique, d'une conceptualisation a priori pouvant donner une illusion de maîtrise. »
De la même manière, le président Daniel Labetoulle, dans un article paru récemment 15 ( * ) estime que « les difficultés juridiques qu'il y aura à préciser les critères et les limites de la recevabilité du parlementaire ne sont pas d'une nature différente de celles que connaît la théorie générale de l'intérêt pour agir, rebelle à la systématisation ».
Il est vrai que la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière d'intérêt à agir, complexe et nuancée, pourrait difficilement être traduite dans un texte. Ces mêmes difficultés apparaitraient si la juridiction du Palais Royal devait un jour être contrainte de tracer les frontières de l'intérêt à agir des parlementaires en cette seule qualité.
Cette question renvoie aux hypothèses dans lesquelles l'intérêt à agir des parlementaires pourrait être reconnu, question qui sera examinée plus loin.
Toutefois, votre rapporteur estime que la question de l'intérêt à agir des parlementaires est une question trop sensible pour la confier au Conseil d'Etat et qu'il est même possible de considérer que le refus de la haute juridiction de trancher cette question jusqu'à présent est un appel à une intervention normative.
A cet égard, votre rapporteur ajoute que le dispositif envisagé par la proposition de loi, bien que touchant à la procédure contentieuse administrative, ne ressortit pas à la compétence du pouvoir réglementaire. En effet, le texte fixe des règles concernant les droits des parlementaires à l'égard de l'exécutif et relève, en conséquence, au minimum de la loi ordinaire 16 ( * ) .
Dès lors qu'est admise la nécessité d'une intervention du législateur, trois options sont possibles :
- dénier , par principe, tout intérêt à agir aux parlementaires en cette seule qualité ;
- reconnaître un très large intérêt à agir aux parlementaires en cette seule qualité : c'est l'option retenue par la proposition de loi.
- reconnaître un intérêt à agir aux parlementaires dans des hypothèses restreintes : c'est la position de votre commission .
Votre rapporteur a examiné successivement les trois options.
* 14 « La question de l'intérêt à agir des parlementaires... ou la jurisprudence cachée », AJDA 2010, p 1635.
* 15 Le recours pour excès de pouvoir du parlementaire, RJEP mai 2010. 51.
* 16 Nous verrons plus loin que cette question relève même, dans une large mesure, du pouvoir constituant ; a fortiori elle ne saurait être traitée par le pouvoir réglementaire, même s'il est habituellement compétent en matière de procédure contentieuse administrative.