EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi de la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE).

Ce texte tend à compléter l'article 45 de la Constitution afin d'écarter les dispositions tendant à donner le « dernier mot » à l'Assemblée nationale en cas d'échec de la commission mixte paritaire -ou de rejet par l'une des deux assemblées du texte élaboré par la CMP- lorsque le Parlement se prononce sur des projets de loi ou des propositions de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales.

La disposition proposée a pour objet d'interdire que des modifications importantes touchant aux collectivités territoriales soient adoptées sans tenir compte des positions du Sénat, voire contre son avis. Elle repose sur trois arguments constitutionnels et une considération de circonstance :

- aux termes de l'article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » ;

- depuis la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, l'article 39 de la Constitution prévoit que « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat » ;

- d'ores et déjà, l'accord du Sénat est requis pour les lois organiques qui le concerne (article 46 de la Constitution) ainsi que pour les projets ou propositions de loi constitutionnels (article 89 de la Constitution).

-l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales adopté par le Parlement le 17 novembre 2010 aurait, selon les auteurs de la proposition de loi, « démontré que de profonds désaccords peuvent exister entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur des points majeurs et des dispositions particulièrement importantes touchant à l'organisation et au fonctionnement des collectivités territoriales . En toute logique, un texte comme celui-ci, ayant un tel impact sur l'organisation territoriale de la République et, au-delà, sur la vie de tous les citoyens, doit recueillir l'assentiment du Sénat ».

Votre commission partage la volonté exprimée par M. Yvon Collin de défendre le rôle éminent du Sénat dans le domaine des collectivités territoriales. Elle n'estime pas injustifiée l'exigence d'un accord des deux assemblées pour l'adoption de textes concernant à titre principal l'organisation des collectivités territoriales. Cependant elle considère que la procédure référendaire qu'implique nécessairement une proposition de loi constitutionnelle n'est pas la plus adaptée.

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Depuis 1958 1 ( * ) , les deux tiers des 3.203 lois ont été adoptées dans le cadre de la navette sans qu'il soit nécessaire de provoquer l'intervention d'une commission mixte paritaire ; 22,17 % des textes ont été votés à l'issue d'une CMP et 11,11 % ont donné lieu au dernier mot à l'Assemblée nationale .

Ces divergences, certes en nombre limité, portent néanmoins sur les textes les plus sensibles et, en particulier, sur ceux intéressant l'Etat et les collectivités territoriales.

Néanmoins tel n'est pas toujours le cas. Parmi les premières lois de décentralisation, la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat a été adoptée sur la base du texte établi par la CMP. Parmi les apports du Sénat, il convient de signaler l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre (art. 2) ou encore l'affirmation du principe d'un transfert par « bloc de compétences » 2 ( * ) . De même la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale n° 99-586 du 12 juillet 1999 a donné lieu à un accord à l'issue de la CMP.

Ainsi, sur la base de l'expérience et de l'expertise acquises dans le domaine des collectivités territoriales, les positions défendues par le Sénat sont susceptibles d'emporter l'adhésion malgré les clivages politiques.

Plusieurs principes fondamentaux promus par le Sénat ont d'ailleurs été inscrits dans le titre XII de la Constitution à la faveur de la révision du 18 mars 2003 et encadrent désormais l'évolution du droit dans le domaine des collectivités territoriales.

Ainsi, la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par l'article 24 de la Constitution ne s'arrête pas au seul mode d'élection des sénateurs mais s'exprime aussi dans l'influence qu'il exerce sur la législation intéressant ces questions.

Le principe d'un accord entre les deux assemblées pour l'adoption de tels textes permettrait de garantir ce rôle.

Par ailleurs, à l'occasion des débats parlementaires concernant la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, la notion d'« organisation » des collectivités territoriales a été précisée et circonscrite. Elle recouvre le choix du nom des collectivités territoriales, la détermination des règles relatives à leurs organes et à leurs actes, ainsi que la fixation de leurs limites territoriales. Elle ne comprend pas, en revanche, les modes de scrutin.

L'exigence d'un accord entre les deux assemblées pourrait constituer le prolongement de la priorité d'examen reconnue au Sénat par la révision du 28 mars 2003.

Au demeurant, le Sénat a déjà envisagé, à l'occasion de cette révision, une modification des dispositions de l'article 45, tout en y renonçant par souci de compromis.

Ainsi votre commission avait proposé que la loi organique relative aux ressources financières des collectivités territoriales soit votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Elle reprenait une disposition de la proposition de loi constitutionnelle, présentée par le Président Christian Poncelet et plusieurs de ses collègues, relative à la libre administration des collectivités territoriales 3 ( * ) selon laquelle l'Assemblée nationale n'aurait pu avoir le « dernier mot » pour l'adoption des lois organiques fixant la liste, l'assiette et les modalités de recouvrement des recettes fiscales propres des collectivités territoriales.

Cependant, votre commission estime qu'une proposition de loi constitutionnelle n'est pas le vecteur le plus adapté pour cette réforme. En effet, elle implique, aux termes de l'article 89 de la Constitution, une adoption par voie référendaire . Seul un projet de loi constitutionnelle peut être soumis au Parlement convoqué en Congrès. Or, un sujet comme celui-ci, de nature plus institutionnelle que politique, se prête moins à une consultation populaire qu'à une adoption par le Congrès, selon une procédure d'ailleurs retenue pour la quasi-totalité des réformes constitutionnelles conduites sur la base de l'article 89 (à l'exception de l'introduction du quinquennat par la loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000).

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Aussi, au bénéfice de ces observations, votre commission a-t-elle décidé, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi dans l'attente de son examen éventuel lors d'une prochaine révision constitutionnelle.


* 1 Statistiques jusqu'au 30 septembre 2010.

* 2 Sur les sept lois, du premier grand « train » de la décentralisation, quatre ont donné lieu au dernier mot de l'Assemblée nationale (loi n° 82-213, loi n° 83-636, loi n° 83-663, loi n° 86-29) tandis que 3 ont fait l'objet d'un accord au terme de la CMP (loi n° 82-594, loi n° 82-595, loi n° 83-8).

* 3 N° 402 (Sénat, 2001-2002).

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