CHAPITRE IV - LIMITATION DU RECOURS À L'EMPRUNT DE CERTAINS ORGANISMES PUBLICS
ARTICLE 11 - (Art. L. 6141-2-1 du code de la santé publique) - Interdiction, pour les opérateurs de l'Etat, d'emprunter pour une durée supérieure à douze mois
Commentaire : le présent article institue une règle générale d'interdiction de recourir à l'emprunt, pour une durée supérieure à douze mois, applicable à certains organismes publics
I. UN ENDETTEMENT CROISSANT, QU'IL CONVIENT DE CONTENIR
A. L'ENDETTEMENT DES ODAC
1. Un phénomène identifié de longue date
Entre 2000 et 2009, la part des organismes divers d'administration centrale (ODAC) dans l'endettement public s'est accrue d'1,5 point, alors même que le ratio de dette sur produit intérieur brut (PIB) passait de 57,3 % à 78,1 % sur la même période ( cf . tableau).
Evolution des composantes de la dette publique et du ratio dette/PIB
Source : commission des finances, d'après Comptes nationaux base 2000 - INSEE, DGFiP, Banque de France
Le rapport annexé au présent projet de loi prévoit que la capacité de financement des ODAC, après avoir atteint un point haut de 2,1 % de PIB en 2010, dû aux dotations reçues par les opérateurs dans le cadre des investissements d'avenir et du Plan campus, devrait retrouver un étiage de 0,3 % de PIB entre 2011 et 2013, puis de 0,4 % en 2014. En effet, malgré le facteur de dégradation que constituera le décaissement progressif et partiel des fonds de l'Emprunt national, le solde des ODAC devrait globalement s'améliorer sous l'effet de l'affectation de nouvelles recettes à la CADES (3,2 milliards d'euros), de la disparition des ODAC, par construction déficitaires, qui assuraient l'apurement des soultes de La Poste (en 2009) et de France Télécom (en 2011) et de la fin des effets du transfert exceptionnel de titres de l'ERAP (Entreprise de recherches et d'activités pétrolières) à l'Etat, qui avait contribué à dégrader temporairement le solde d'un montant d'1,7 milliards d'euros en 2009.
Votre rapporteur général a eu, à maintes reprises, l'occasion de souligner dans quelle mesure la débudgétisation des ressources, l'inflation de la dépense et la progression de l'endettement des opérateurs constituaient des « points de fuite » susceptibles de vider de leur sens et de priver d'une partie de leurs effets les normes appliquées à la dépense de l'Etat .
Ce constat est, au demeurant, partagé de longue date par nos collègues députés qui, en 2008, s'étaient inquiétés des incertitudes entourant les règles relatives à l'emprunt des opérateurs et avaient recommandé que soit transmis au Parlement un état annuel de leur endettement. A l'initiative de nos collègues députés Gilles Carrez, rapporteur général du Budget et Michel Bouvard, un article 107 a également été inséré dans la loi de finances pour 2010, prévoyant que le « jaune » budgétaire relatif aux opérateurs de l'Etat présenterait « le montant des dettes des opérateurs de l'Etat, le fondement juridique du recours à l'emprunt et les principales caractéristiques des emprunts contractés, ainsi que le montant et la nature de leurs engagements hors bilan » . Les données ainsi rassemblées n'ont toutefois pu faire l'objet d'aucune exploitation dans le cadre de l'analyse du présent article, le « jaune » n'étant toujours pas disponible à la date d'achèvement du présent rapport.
L'année 2010 aura enfin vu ce sujet de préoccupation ressurgir, dans le cadre des débats de la commission présidée par M. Michel Camdessus . Le rapport final qu'elle a rendu déplore explicitement qu'il soit permis « à un opérateur de s'endetter alors qu'il n'a manifestement pas une capacité de remboursement propre suffisante, ou à affecter à un ODAC des recettes non fiscales existantes ou futures (telles des créances non échues) ponctuelles, conduisant à terme à faire apparaître un besoin de financement non couvert » .
Jugeant que le recours à l'emprunt était admissible pour l'Etat, au nom de la conduite des politiques publiques, et pour les collectivités territoriales, au nom du principe de libre administration, la commission a estimé qu'il « ne (pouvait) être question d'étendre cette possibilité aux opérateurs que dans le cadre d'un périmètre clairement défini et d'une régulation appropriée, sous un contrôle strict, particulièrement lorsqu'ils peuvent apparaître aux marchés comme bénéficiaires d'une garantie au moins implicite de l'Etat » .
2. L'insuffisance des normes actuelles
Si le droit en vigueur ne prévoit aucune limitation de portée générale , le recours à l'emprunt fait l'objet d'un encadrement au cas par cas. Cet encadrement peut résulter :
1) de la loi , notamment pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale, pour la Société de prises de participation de l'Etat ou pour les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France ;
2) du règlement , qu'il s'agisse des décrets constitutifs des établissements ou de textes de portée plus générale. Pour les universités, le recours à l'emprunt est ainsi prévu à l'article 40 du décret du 27 juin 2008 relatif au budget et au régime financier des EPSCP bénéficiant de responsabilités et de compétences élargies. Le recours à l'emprunt des établissements publics administratifs (EPA) est, quant à lui, soumis à la validation expresse de la tutelle financière.
Néanmoins, et en l'absence de règles de portée générale, les exemples ne manquent pas d'opérateurs qui recourent à l'emprunt pour des montants parfois importants. Il a pu en aller ainsi de l'ex-Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA), qui avait souscrit un emprunt de 25 millions d'euros sur trente ans pour l'installation de son siège à Limoges, ou encore de l'Institut d'études politiques de Paris, qui a financé l'achat de l'ancien immeuble de l'Ecole nationale d'administration, rue de l'Université dans le VII e arrondissement de Paris, par un emprunt de 46 millions d'euros.
Plus récemment, M. Jean-Paul Cluzel, président de l'Etablissement public du Grand palais, proposait dans un rapport de recourir à un emprunt de 119 millions d'euros sur trente ans pour financer la rénovation de l'édifice.
B. L'ENDETTEMENT DES HÔPITAUX
1. Une évolution préoccupante
Selon l'évaluation préalable du présent article, l'endettement hospitalier augmente régulièrement depuis 2001, sous l'effet conjugué :
1) d'une part de la dégradation du résultat comptable des établissements publics de santé (EPS), qui est passé d'un excédent de 345,8 millions d'euros en 2001 à un déficit de l'ordre de 338,5 millions d'euros en 2008, soit une dégradation de presque 700 millions d'euros :
2) d'une croissance très dynamique de l'investissement hospitalier , passé de 2,8 milliards d'euros à plus de 6,4 milliards d'euros sur la période, en lien notamment avec le volet investissement du plan « Hôpital 2007 ».
L'endettement hospitalier s'est ainsi accru de 8,8 milliards d'euros à 18,9 milliards d'euros entre 2001 et 2008 , cependant que la durée apparente de la dette s'allongeait (de 4,9 ans en 2007 à 6 ans en 2008) et que les ratios d'indépendance financière se détérioraient (passant de 33,2 % en 2004 à 46 % en 2008).
Selon le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de septembre 2010, « l'emprunt sert non seulement au financement des investissements, mais aussi à faire face aux déficits d'exploitation (...). Le constat est celui d'une concentration du problème sur les CHU et de l'existence de cas difficiles dispersés parmi les CH » .
2. La portée du contrôle actuel
A l'instar des dispositions en vigueur pour les ODAC, les textes en vigueur prévoient un contrôle, par les agences régionales de santé , de la situation financière des établissements publics de santé, et notamment de la soutenabilité de leur endettement.
Conformément à la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, et aux décrets pris pour son application, le directeur général de l'ARS prend en compte, lors de l'analyse de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses des établissements, le critère de la soutenabilité financière de la politique d'investissement et évalue la stratégie d'endettement .
L'article 4 du décret n° 2010-425 du 29 avril 2010 relatif à l'organisation financière et à l'investissement immobilier des établissements de santé prévoit ainsi que « le directeur général de l'agence régionale de santé peut s'opposer au projet de plan global de financement pluriannuel pour un ou plusieurs des motifs suivants : (...) les niveaux d'investissement ou d'endettement financier à long terme de l'établissement ne sont pas compatibles avec la situation financière présente et future de l'établissement » . Les articles L. 6143-3 et suivants du code de la santé publique permettent également au directeur général de l'ARS de demander à l'établissement de présenter un plan de redressement , notamment lorsque l'établissement présente une situation de déséquilibre financier.
Par ailleurs, ces mécanismes ne sauraient se substituer à un outil de consolidation nationale de l'endettement hospitalier, permettant de mieux le contrôler et d'en maîtriser davantage l'évolution.
II. LES RÈGLES D'INTERDICTION ET DE LIMITATION INSTITUÉES PAR L'ARTICLE 11
Le présent article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, pose deux règles respectivement applicables à l'endettement des administrations publiques centrales (hors Etat, CADES, Caisse de la dette publique et Société de prises de participation de l'Etat) et aux établissements publics de santé .
A. L'INTERDICTION DE L'ENDETTEMENT DE CERTAINS ORGANISMES PUBLICS CENTRAUX
1. Un principe général d'interdiction
Le I du présent article interdit « de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois » , ainsi que « d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée » . Il en résulte que le recours à l'emprunt infra-annuel demeure autorisé, afin de couvrir des besoins de trésorerie , et que les prêts et avances entre administrations , notamment lorsqu'ils sont consentis par le Trésor, demeurent possibles.
Cette interdiction s'applique ensuite aux « organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales, au sens du règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil, du 25 juin 1996, relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans la Communauté » , à l'exception :
1) de l' Etat , qu'on imagine mal, à l'évidence, privé de recours à l'emprunt ;
2) de la Caisse d'amortissement de la dette sociale , dont l'émission d'emprunts est la raison d'être ;
3) de la Caisse de la dette publique , dont la vocation est d'intervenir sur le marché secondaire pour en assurer la liquidité et pour amortir des titres de dette publique ;
4) de la Société de prises de participation de l'Etat , créée spécifiquement pour lever des financements sur les marchés afin de recapitaliser le secteur bancaire, consécutivement à la crise financière survenue en 2009.
On rappelle qu'au sens du règlement précité, « le sous-secteur de l'administration centrale (S.1311) comprend tous les organismes administratifs de l'Etat et autres organismes centraux dont la compétence s'étend normalement sur la totalité du territoire économique, à l'exception des administrations de sécurité sociale de l'administration centrale. Font partie du sous-secteur S.1311 les institutions sans but lucratif qui sont contrôlées et majoritairement financées par l'administration centrale et dont la compétence s'étend à l'ensemble du territoire économique » .
Pour la tenue des comptes nationaux, cette définition est déclinée de la façon suivante par l'Institut national de la statistique et des études économiques : « les organismes divers d'administration centrale (ODAC) regroupent des organismes auxquels l'Etat a donné une compétence fonctionnelle spécialisée au niveau national . Contrôlés et financés majoritairement par l'Etat, ces organismes ont une activité principalement non marchande » .
Votre rapporteur général rappelle que cette définition, qui englobe environ 800 entités recensées par l'INSEE, recoupe en grande partie la notion d'opérateur de l'Etat au sens de la documentation budgétaire. Cette catégorie regroupe, en 2010, 583 entités dont la définition obéit aux critères suivants :
1) « une activité de service public , qui puisse explicitement se rattacher à la mise en oeuvre d'une politique définie par l'Etat et se présenter dans la nomenclature par destination selon le découpage en mission-programme-action » ;
2) « un financement assuré majoritairement par l'Etat , directement sous forme de subventions ou indirectement via des ressources affectées, notamment fiscales » ;
3) « un contrôle direct par l'Etat , qui ne se limite pas à un contrôle économique ou financier mais doit relever de l'exercice d'une tutelle ayant capacité à orienter les décisions stratégiques , que cette faculté s'accompagne ou non de la participation au conseil d'administration » .
2. Une liste définie par arrêté
En tout état de cause, le présent article dispose que la liste des organismes auxquels elle s'applique sera établie par un arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget . Cette liste est traditionnellement élaborée et actualisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en lien avec Eurostat. Ce travail est néanmoins largement rétrospectif , l'INSEE pouvant être conduit à se prononcer sur le classement de certains organismes avec une voire deux années de retard. Le recours à un arrêté ministériel annuel permettra de donc de tenir compte avec une plus grande réactivité à l'évolutivité de la liste des ODAC.
La règle définie par le présent article s'applique enfin « pendant la période mentionnée à l'article 1 er » , c'est-à-dire pour les années 2011 à 2014 , et « nonobstant toute disposition contraire des textes » applicables aux organismes visés par le présent article. Cette disposition fait donc échec aux dispositions législatives « éparses » qui peuvent aujourd'hui encadrer l'endettement de tel ou tel organisme. Le Gouvernement indique néanmoins qu'un travail de toilettage juridique sera mené ultérieurement. Ainsi, « les dispositions antérieures ouvrant la faculté de recourir à l'emprunt auprès d'établissements bancaires pour une durée supérieure à un an à des organismes compris dans le champ de l'interdiction devront être modifiées. Un recensement des textes juridiques à modifier ultérieurement est en cours » .
B. LA LIMITATION DE L'ENDETTEMENT DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ
1. Un principe général d'encadrement
Le II du présent article complète l'article L. 6141-2-1 du code de la santé publique, relatif aux modalités de financement des établissements publics de santé . Il prévoit désormais que ces ressources pourront comprendre des emprunts et des avances « dans les limites et sous les réserves fixées par décret ». Il est rappelé que les établissements publics de santé comprennent 29 centres hospitaliers régionaux universitaires (CHRU), 518 centres hospitaliers (CH) et 9 hôpitaux d'instruction des armées, soit 556 entités. Ils sont, au sens de la comptabilité nationale, classés dans les administrations de sécurité sociale (ASSO).
Contrairement à la règle posée pour les ODAC, il n'est pas fait interdiction d'emprunter aux établissements publics de santé. Cette option n'a pas été retenue dans la mesure où ces établissements sont dotés d'une autonomie de gestion et qu'ils ont besoin de recourir à l'emprunt pour financer leurs investissements, les ressources procurées par la tarification des soins ne permettant pas à elles-seules de couvrir les charges d'exploitation courante et le financement des immobilisations.
Enfin, et toujours contrairement à la règle d'interdiction prévalant pour les ODAC, la règle d'encadrement de l'endettement des établissements publics de santé est d'application permanente .
2. Des conditions définies par décret
Le présent article ne précise pas la nature exacte des limites et réserves sous lesquelles les établissements de santé pourraient s'endetter, dont la définition est renvoyée au décret . L'évaluation préalable de l'article indique néanmoins que ce principe d'encadrement consisterait à « réduire les motifs de recours à l'emprunt au financement de la politique d'investissement » , et « permettrait aux directeurs généraux des ARS de s'appuyer sur une base juridique pour s'opposer au recours à l'emprunt réalisé par les établissements en vue de financer leur cycle d'exploitation courant » .
Des « valeurs seuils complèteraient utilement le dispositif en constituant une référence mobilisable par les directeurs généraux d'ARS lors de l'analyse de l'état prévisionnel de ressources et de dépenses et de l'évaluation de la soutenabilité du recours à l'emprunt » .
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Votre rapporteur général souscrit pleinement au dispositif proposé par le présent article. Outre le fait qu'il « tarit » une source de contournement de la norme de dépense imposée à l'Etat, ce dispositif est de nature à freiner la dispersion et la progression des émissions d'emprunts par les administrations publiques, ainsi que de contenir la charge d'intérêts qui lui est associée, et qui résulte de conditions de financement souvent moins favorables que celles qui sont consenties à l'Etat . Une telle règle permettra également de circonscrire les situations dans lesquelles des entités ayant recours à l'emprunt ne disposeraient pas d'une capacité de remboursement propre suffisante et feraient appel aux transferts l'Etat pour faire face à leurs charges.
Il ne semble cependant pas opportun de limiter à la durée de programmation l'interdiction faite aux ODAC d'emprunter à plus de douze mois. En effet, si cette limitation s'avère d'autant plus nécessaire que la trajectoire de redressement de nos comptes publics requiert dès aujourd'hui d'importants efforts, elle constitue aussi, dans l'absolu, une règle de saine gestion dont l'application pourrait être rendue permanente .
Décision de la commission : votre commission a adopté cet article ainsi rédigé.