EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères et de la défense a examiné le présent projet de loi lors de sa réunion du 27 octobre 2010.
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Les accords de gestion concertée des flux migratoires avec le Cap-Vert et le Burkina Faso, qui sont soumis aujourd'hui à l'examen du Sénat, font suite aux accords du même type avec le Gabon, le Bénin, le Congo, le Sénégal, et la Tunisie que nous avions approuvés en 2008.
Ces accords, je vous le rappelle, consistent dans une forme de contractualisation de la relation bilatérale sur la question des migrations et du codéveloppement.
Ils s'inscrivent dans un contexte souvent revendiqué à l'appui des politiques de migration restrictives : la persistance d'un chômage structurel, les difficultés rencontrées par les politiques d'intégration, la crispation de l'opinion publique, ont conduit la majorité des pays européens, dont la France, à limiter les flux migratoires vers leur pays et à renforcer les moyens de lutte contre l'immigration irrégulière.
Dans le même temps, la mise en lumière du rôle des migrants dans le développement des pays d'origine et la problématique du développement à long terme de l'Afrique ont poussé les pouvoirs publics à tenter d'articuler les politiques de l'immigration et du développement et à les penser en termes d'intérêt partagé.
Sur le plus long terme, l'Europe devrait connaître une diminution de sa population de l'ordre d'une cinquantaine de millions d'habitants d'ici 2050 alors que dans le même temps, l'Afrique devrait compter 1,8 milliard d'habitants, soit trois fois plus que notre continent à cette date, plus que l'Inde ou la Chine. Cette réalité devra être accompagnée par des politiques migratoires adaptées.
Dans ce contexte, ces accords cherchent à créer un cadre de dialogue, de concertation et de coopération utile avec les pays partenaires pour proposer une approche globale des mouvements migratoires.
La démarche française est présente chez nombre de nos partenaires européens qui se sont également saisis de la question des migrations et du développement. A l'initiative de la France, l'Union européenne a aussi mis en place des politiques liant migration et développement avec des moyens importants.
Vous trouverez dans mon rapport écrit une description approfondie des différentes interventions européennes, sur un sujet qui a vocation à être un domaine de souveraineté partagée entre l'Union et les Etats membres.
Les accords aujourd'hui soumis au Sénat reprennent l'architecture de ceux qui les ont précédés. Le schéma général de ces accords comporte trois parties : la facilitation de la circulation et le développement de l'immigration de travail, la lutte contre l'immigration clandestine et le soutien à des projets de développement.
Les accords avec le Cap-Vert et le Burkina Faso, qui nous sont soumis, ne comportent pas de véritable enjeu sur les questions migratoires, les échanges avec ces pays ne concernant qu'un très faible nombre de migrations de l'ordre de 10 000 visas courts et longs séjours pour le Burkina Faso et 4 000 pour le Cap-Vert
J'évoquerai rapidement le contenu des différents accords.
Sur le terrain de la migration légale, la France s'engage à accorder plus de visas de circulation, à mieux accueillir les étudiants, à développer l'accueil de travailleurs migrants.
Dans une forme de contrepartie, les Etats signataires s'engagent à lutter contre l'immigration clandestine et à réadmettre leurs ressortissants entrés illégalement sur le territoire français. Il faut bien reconnaitre que ce volet l'emporte nettement dans les accords conclus à ce jour.
La partie « développement » de ces différents accords est plus spécifique. Pour ce qui concerne le Cap-Vert, elle reste encore très largement à définir. En revanche, pour le Burkina Faso, elle témoigne d'une réflexion de qualité sur les secteurs d'intervention et les instruments à privilégier.
Je souhaiterais exposer certaines interrogations et inquiétudes sur la mise en oeuvre des accords précédents.
Ces accords devraient reposer sur un double équilibre : équilibre entre la facilitation de l'immigration légale et la lutte contre l'immigration clandestine, équilibre entre la maîtrise des flux migratoires et le codéveloppement.
S'il est encore trop tôt pour établir un bilan approfondi d'accords entrés en vigueur récemment, un bilan provisoire que j'ai essayé de dresser dans mon rapport écrit suscite des interrogations.
En ce qui concerne les aspects migratoires, la première de ces interrogations concerne la mise en oeuvre effective de la facilitation de la migration professionnelle qui suscite beaucoup d'attentes de nos partenaires. La délivrance des visas souffre encore trop souvent d'une certaine opacité et est vécue comme arbitraire.
On constate que la contribution des accords de gestion concertée à l'augmentation des attributions de visas de circulation est inégale selon les pays : sans effets notables au Sénégal ou au Benin, les accords semblent en avoir facilité l'attribution en Tunisie.
Certains dispositifs comme les cartes « talents compétences » qui avaient suscité beaucoup d'espoir connaissent une application très limitée avec 4 cartes pour le Gabon, 2 au Congo, 2 au Bénin, 12 au Sénégal, 45 en Tunisie. On est très en deçà des objectifs annoncés lors de l'adoption des conventions.
Ma deuxième interrogation porte sur la multiplication des régimes spécifiques. On peut se demander si elle n'entraîne pas une gestion particulièrement complexe pour des préfectures et des consulats déjà confrontés à des dispositifs multiples.
En ce qui concerne le volet codéveloppement, je considère que ces accords pourraient conforter utilement les initiatives prises par les migrants pour soutenir des projets de développement dans leur pays d'origine. Mais je constate que cette politique de développement solidaire, dont je ne sous-estime pas les difficultés d'élaboration, « tâtonne » et reste encore en cours de définition avec des moyens très limités puisqu'ils ne représentent que 1 % de notre aide au développement.
La mise en oeuvre équilibrée des accords suppose de veiller à leur cohérence avec l'effort bilatéral d'aide au développement que la France déploie en direction de chacun de ces pays.
De ce point de vue, je crains que la réduction accélérée des moyens de notre politique de coopération rende inopérantes ces expériences déjà trop ponctuelles.
J'invite par ailleurs la commission à examiner plus avant dans les prochains mois l'évolution de la mise en oeuvre des accords afin d'établir un premier bilan approfondi.
En conclusion, mes chers collègues, je constate que les accords avec le Burkina Faso et le Cap-Vert qui nous sont soumis reprennent les dispositifs des accords que nous avions précédemment adoptés mais n'offrent pas plus de garanties d'équilibre au profit du développement solidaire.
Personnellement je ne souhaite pas faire obstacle à l'adoption de ces 2 accords ayant constaté l'attente qu'ils suscitent dans ces pays, en particulier au Cap-Vert.
En conséquence, je m'en remets à la sagesse de la Commission pour l'adoption de ces deux nouveaux accords et propose que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance plénière.
Un débat s'est engagé à la suite de l'exposé du rapporteur.
M. Robert del Picchia, président - Je constate, à vous entendre, que ces deux accords reprennent des éléments présents dans les précédents accords et suscitent dans les pays partenaires une forte attente.
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Ces accords reprennent effectivement l'architecture des accords précédents. Mes craintes se situent, comme pour les accords précédents, au niveau de leur mise en oeuvre qui ne me semble pas permettre d'atteindre les objectifs initiaux de ces accords et notamment la jonction entre les problématiques d'immigration et de développement. La faiblesse du volet relatif au développement solidaire en est la principale raison. Les crédits consacrés au soutien des initiatives des migrants en faveur du développement de leur pays d'origine restent extrêmement limités. Il me semblerait judicieux que la commission puisse, dans les mois qui viennent, examiner de façon approfondie la mise en oeuvre des accords déjà adoptés comme ceux conclus avec le Bénin et le Sénégal. Les observations que je porte et les interrogations que je soulève sont le fruit d'un examen attentif des documents établissant le bilan de la mise en oeuvre de ces accords pays par pays. Cet examen a été complété par les auditions de M. Stéphane Fratacci, secrétaire général du ministère de l'immigration, de l'identité nationale et du développement solidaire, de M. Pouillès-Duplaix, directeur à l'AFD et d'un représentant des ONG travaillant sur la question des migrations. Il est du devoir de la commission et du Parlement de contrôler l'application des conventions qui nous sont soumises, c'est pourquoi je propose que la commission mène un travail de suivi de ces accords.
M. Jean-Pierre Bel - Je partage les interrogations et les inquiétudes du rapporteur. Je constate avec elle que les cartes « talents et compétences » ne donnent pas les résultats attendus. Les conditions d'obtention de ces cartes sont tellement difficiles qu'il n'en est attribué que quelques unités par pays.
Il serait sans doute utile que la commission, à travers ce rapport, puisse contribuer à accélérer la délivrance de ces cartes conformément aux objectifs énoncés lors de l'adoption de cette convention.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je souhaite insister sur ces cartes « talents et compétences » qui me semblent trop méconnues à l'étranger. Sur ces questions migratoires, la commission gagnerait à auditionner les ministres des pays africains concernés qui ont en charge les problématiques liées à l'existence de diasporas en dehors de leur pays.
Mme Bernadette Dupont - Je souhaiterais savoir si ce sont les objectifs initiaux de ces conventions ou la façon dont elles sont mises en oeuvre qui soulèvent des interrogations ?
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Le problème vient du caractère déséquilibré de la mise en oeuvre des accords où l'objectif de maîtrise de l'immigration est largement privilégié au détriment du développement solidaire pour lequel très peu de crédits ont été dégagés. D'autres aspects de ces accords doivent être évoqués. Ils prévoyaient par ailleurs les dispositions favorisant la transparence sur le frais bancaires appliqués aux transferts financiers des migrants vers leur pays d'origine. Ces dispositions ont permis une certaine réduction des coûts de transferts grâce à une plus grande concurrence entre les banques. Il n'en demeure pas moins que la majorité des transferts ne passe pas par le système bancaire. Ces accords prévoyaient également la mise en place de dispositifs d'épargne en faveur du codéveloppement qui n'ont eu que très peu de succès. Si les transferts financiers des migrants vers leur pays d'origine concernent des montants particulièrement élevés, ils sont essentiellement destinés à la consommation courante des familles ; aussi l'idée initiale de drainer ces transferts vers des dépenses d'investissements ne rencontre pas le succès espéré.
M. Robert del Picchia , président - Les frais bancaires appliqués à ces transferts financiers sont effectivement particulièrement élevés et peuvent atteindre jusqu'à 11 % des montants transférés.
M. Bernard Piras - Est-ce que les accords prévoient une liste de programmes et d'intervenants en faveur du développement solidaire ?
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Certains accords comme celui avec le Burkina Faso ou avec la Tunisie comportent une liste très précise de projets sélectionnés et d'organismes chargés de leur mise en oeuvre. De façon générale, l'Agence Française pour le Développement a pris la relève du ministère des affaires étrangères dans ce domaine. En Tunisie, par exemple, l'AFD conduit des projets de création d'instituts de formation professionnelle avec des crédits du programme consacré au développement solidaire du ministère de l'immigration. L'AFD gère de façon très efficace ses projets ; elle semble en revanche moins outillée pour la gestion de petits projets conduits par des associations de migrants. Les attentes concernant le codéveloppement sont fortes dans ces pays. La situation est cependant différente d'un pays à l'autre. Certains pays comme le Mali sont très impliqués dans les questions relatives aux migrations mais refusent de signer ces accords. D'autres pays comme le Cap Vert sont très attachés à la signature de ce type d'accords notamment pour des raisons diplomatiques. J'observe par ailleurs que dans certains pays comme au Sénégal, les crédits du développement solidaire sont gérés directement par les administrations locales. Je voudrais être sûre que cette organisation est la plus efficace.
M. Michel Guerry - Il faut prendre conscience que l'Afrique connaît un développement soutenu depuis plusieurs années avec un taux de croissance de plus de 5 % par an. Elle connaît parallèlement un taux de croissance démographique élevé du même ordre de grandeur. A ce rythme, l'Afrique devrait atteindre 1,8 milliard d'habitants en 2050. L'enjeu en matière de développement est considérable. L'Occident, qui s'était engagé à consacrer 0,7 % de son revenu national brut à ces questions, ne dégage pas les moyens suffisants pour avoir un effet significatif. Je suis en conséquence très pessimiste devant la façon dont est traité ce problème dans les pays occidentaux. Je constate que parallèlement la Chine s'implante de façon croissante en Afrique et profite du désintérêt des pays européens pour conforter ses positions dans ce continent.
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Au cours d'une mission au Cap Vert, en Gambie et au Sénégal, j'ai pu constater combien les Chinois sont présents à travers le financement de grandes infrastructures publiques. Ce sont eux qui ont financé au Cap Vert le bâtiment de l'Assemblée nationale. Les Chinois ont compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer du développement de l'Afrique. On a raison de souligner que ce continent connaît un développement très encourageant depuis certaines années. Il existe dans la jeune génération une élite entrepreneuriale particulièrement dynamique qui constitue un véritable atout pour l'avenir de l'Afrique. Dans ce contexte, la France doit maintenir sa présence sur ce continent et profiter de son intimité avec l'histoire africaine pour contribuer à son développement.
M. Jean Faure - On a connu une période de la coopération où à Madagascar comme dans d'autres pays africains, une partie de l'aide était détournée. Des progrès importants ont été faits depuis grâce à la mise en place de nombreux contrôles.
De son côté, la Chine lorsqu'elle intervient en Afrique ne prend pas les mêmes précautions et vise avant tout à faire avancer ses positions. J'observe, par ailleurs, que les flux migratoires en provenance du Cap Vert et du Burkina Faso ne sont pas comparables. Nos relations avec le Cap Vert qui connaît par ailleurs un développement très satisfaisant sont plus limitées qu'avec le Burkina Faso dont le développement économique est encore balbutiant. Il me semble que nous devrions donc concentrer nos efforts sur ce pays et plus particulièrement sur l'Afrique subsaharienne.
M. Michel Boutant - Le Burkina Faso appartient à cette région de l'Afrique qui connaît aujourd'hui des difficultés et dans laquelle cinq de nos ressortissants ont été kidnappés. J'aurais aimé savoir si les accords avec des pays comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger comportent des dispositions permettant la protection de nos ressortissants ?
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Les accords avec le Cap Vert et le Burkina Faso qui sont soumis au Sénat ne comportent pas de dispositions en matière de défense ou de protection des citoyens français. En revanche, ces accords comportent des dispositions en matière de coopération policière et d'état-civil qui devraient permettre à terme à ces pays de mieux contrôler les allers et venues sur leur territoire.
M. André Vantomme - L'implantation de la Chine en Afrique répond avant tout aux intérêts chinois et à leurs souhaits de multiplier leurs sources d'approvisionnement en matières premières. Lors de notre mission avec notre collègue, Christian Cambon, au Mali, nous avons pu constater que l'aide française était devenue marginale dans ces pays derrière l'aide chinoise, l'aide américaine, voire même canadienne. Notre présence en Afrique subsaharienne est aujourd'hui fragilisée par la diminution des moyens de notre coopération qui sont sans commune mesure avec ceux de la Chine ou des Etats-Unis. Alors que nous avons une intimité avec ces pays liée à notre histoire commune, nous sommes en train de perdre notre influence tout en restant assimilé dans les esprits aux colonisateurs que nous avons été.
M. Robert del Picchia , président - D'une certaine façon, on pourrait dire que la Chine est en train de s'assurer une colonisation financière de l'Afrique pour répondre à ses besoins en approvisionnements en ressources naturelles.
Mme Catherine Tasca , rapporteur - Notre aide au développement est liée par nos principes notamment par notre volonté de respecter les droits de l'homme. J'ai pu constater en Gambie que la Chine poursuivait sa coopération alors que l'Union européenne avait suspendu ses programmes d'aide en raison de la dégradation et de la situation des droits de l'homme dans ce pays. Je comprends les inquiétudes que suscite la situation en Afrique. Je crois qu'il y a également des éléments qui peuvent nous conduire à plus d'optimisme. Il s'agit d'abord de la vigueur de ce continent. Il s'agit ensuite de la présence sur notre territoire de nombreux Français d'origine africaine qui peuvent être les garants d'un lien étroit avec le continent africain.
M. Jacques Gautier - On peut comparer notre coopération avec l'Afrique avec celle de la Chine qui mène sur ce continent une politique de prédation des matières premières qui obèrent l'avenir de ces pays. J'ai pu constater par exemple au Gabon que la Chine s'était garantie en contrepartie du financement d'infrastructures un approvisionnement des mines de fer pour 30 ans. Cette politique présente un risque certain pour l'Afrique.
La commission adopte le projet de loi et propose qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.