c) Garantir une rémunération équitable aux auteurs
Derrière l'objectif majeur de la loi, de préserver la chaîne de valeur du livre numérique ainsi que la diversité de la production et de la diffusion de livres, l'idée est bien que tous les acteurs de la filière, des éditeurs aux lecteurs, en passant notamment par les auteurs et les libraires, y trouvent des motifs de satisfaction.
Il importe donc que la régulation du marché proposée par le présent texte permette d'assurer une rémunération équitable des acteurs.
S'agissant des auteurs, il y va de l'avenir même de la création et de sa diversité.
Rappelons le rapport d'information de votre commission sur l'avenir du secteur de l'édition, présenté en 2007 par son ancien président M. Jacques Valade, et intitulé « La galaxie Gutenberg face au « big bang » du numérique », comportait la recommandation suivante : « S'agissant de l'amont de la filière, c'est-à-dire des créateurs - auteurs et illustrateurs - et des traducteurs, deux points paraissent essentiels : la nécessité de favoriser l'élaboration d'un nouveau code des usages entre auteurs et éditeurs, et celle de conforter leur situation sociale ».
Les interlocuteurs de votre rapporteur ont fait état du lancement de négociations entre représentants des éditeurs et représentants des auteurs afin d'aboutir à un accord interprofessionnel de nature à fixer un cadre respectueux des droits des auteurs.
Rappelons que le code de la propriété intellectuelle (CPI), dans son article L. 111-1 dispose que « l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Il précise que « ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ».
S'agissant du droit moral, l'article L. 121-1 du CPI dispose que « l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre ».
Pour ce qui concerne les droits d'auteur, d'après les informations fournies à votre rapporteur, nombre des contrats prévoient un taux de rémunération équivalent pour l'exploitation numérique et pour l'exploitation papier, taux lui-même variable en fonction du type d'ouvrage concerné.
Cependant, appliquer un même taux mais sur un prix sensiblement inférieur à celui du livre « papier » entraine une forte baisse de la rémunération en valeur absolue, comme c'est d'ailleurs aujourd'hui le cas pour les ventes de format dit « poche » par rapport au grand format, quelques mois après la sortie de ce dernier. Dans le contexte du livre numérique, il faut ajouter - dans le cadre du texte adopté par votre commission - que la simultanéité des éditions « papier » et numérique, voire à terme, le choix possible de la seule édition numérique, rend la question de la fixation de ce droit d'auteur sur l'exploitation numérique de son oeuvre particulièrement importante.
Il semble néanmoins très difficile, à l'heure actuelle, d'évaluer l'existence et surtout le niveau des économies que l'édition numérique pourrait permettre de réaliser . En effet, ce chiffrage :
- évoluera dans le temps, sachant que certains des investissements réalisés pourront s'amortir, diminuant ainsi le coût du livre numérique ;
- diffère selon qu'il s'agit de numériser des ouvrages existants, de prévoir dès l'origine à la fois la version « papier » et la version « numérique », ce second cas étant moins onéreux, ou même de ne prévoir qu'une édition numérique ;
- dépend enfin des secteurs concernés, le passage au numérique ne s'effectuant pas au même rythme ni de la même façon selon les catégories d'oeuvres, les modèles économiques étant variés.
En tout état de cause, il est intéressant de rappeler ce constat de M. Bruno Patino, dans le rapport sur le livre numérique du 30 juin 2008 : « L'une des difficultés essentielles vécue par les secteurs soumis à la numérisation tient à la dissociation entre les contenus et leur support. Dès lors que le marché accède non pas à un objet mais à un fichier, il devient impossible de garder, comme élément de la fixation du prix, le coût marginal de fabrication. Ce coût dans l'univers numérique tend en effet très vite vers zéro. La valeur d'un fichier numérique ne peut donc s'apprécier qu'à l'aune de l'expérience qu'il procure.
De façon générale, les contenus culturels numériques partagent cette caractéristique : ils sont ce que les économistes nomment des « biens d'expérience » dont le prix ne peut être établi qu'en rapport avec l'« utilité » attendue par le consommateur.
Cette utilité marginale anticipée par l'utilisateur (c'est-à-dire le prix qu'il est prêt à payer pour acheter un « bien d'expérience » spécifique) oblige à discerner les préférences des consommateurs entre plusieurs biens afin de fixer le prix de chacun d'entre eux. La politique commerciale et tarifaire devient dans l'économie numérique une discrimination entre des préférences. Une tâche rude dans le cas du livre qui est tour à tour instrument de connaissance, outil de signalisation, guide pratique, support de divertissement, etc. - autant d'« utilités » qui renvoient à des univers très différents. »
Quoiqu'il en soit, parmi les sujets de discussion, figurent l'idée d'une révision de la clause relative aux exploitations numériques du livre, tous les trois à cinq ans, et la création d'une instance de liaison juridique permanente entre les représentants des éditeurs et ceux des auteurs, afin de suivre l'évolution des pratiques dans l'univers numérique.
Votre commission fait confiance aux professionnels pour que les négociations engagées aboutissent à un résultat satisfaisant pour tous. Le rapport annuel d'application de la loi devra aussi permettre un suivi de la situation dans ce domaine.