II. TRAVAUX DE LA COMMISSION
A. AUDITION DE M. CHRISTIAN NOYER, GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE, LE 8 JUIN 2010
Réunie le mardi 8 juin 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, sur le projet de loi de régulation bancaire et financière.
M. Jean Arthuis , président . - Notre commission a aujourd'hui le plaisir et l'honneur d'accueillir Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Je le remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitions l'entendre sur le projet de loi de régulation bancaire et financier sur lequel l'Assemblée nationale se prononcera le 10 juin. Nous appliquons, en l'espèce, le principe de précaution car ce texte viendra en discussion au Sénat fin septembre. Mais, pour être en mesure de remplir pleinement nos prérogatives, mieux vaut, dès à présent, préparer l'instruction de ce dossier. Je salue la présence de l'ancien sénateur Paul Loridant, conseiller spécial du gouverneur, dont le parcours suscite notre admiration. Nous conservons un souvenir nostalgique de la période où il siégeait au sein de notre commission. Sur ce projet de loi, nous auditionnerons également des responsables des agences de notation demain matin ainsi que Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), le 15 juin.
Ce texte prévoit la création d'un Conseil de régulation financière et du risque systémique, la ratification de l'ordonnance qui a créé l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), issue du rapprochement de la Commission bancaire et de l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), ainsi que la création de collèges de superviseurs pour la surveillance consolidée des établissements transnationaux.
Dans un contexte de crise de la dette européenne, l'agenda est très chargé. De nombreuses questions liées à la régulation bancaire et financière seront traitées lors du prochain sommet du G20 à Toronto ou dans des propositions de législation européenne d'ici début 2011. Je pense, entre autres, à la mise au point du futur régime prudentiel dit « Bâle III », à la création de fonds de résolution - non de sauvetage - des établissements financiers systémiques, à la création d'une taxe dont le produit serait mobilisé en cas de défaillance d'un tel établissement, à l'encadrement des ventes à découvert ou encore à l'obligation de compensation et d'enregistrement pour les produits standardisés, tels les credit default swaps (CDS). Il nous faut également procéder à la transposition dans notre droit national de la nouvelle supervision communautaire des agences de notation qui devra, le cas échéant, être adaptée pour mieux tenir compte de la spécificité des dettes souveraines.
Monsieur le gouverneur, nous aimerions également connaître votre point de vue, en qualité de président de la Banque des règlements internationaux (BRI) - je vous félicite de cette nomination -, sur les travaux en cours tant au niveau européen qu'international.
M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France . - Merci de cette invitation. Permettez-moi de souligner le bon équilibre de l'ordonnance créant l'ACP, soumise à votre ratification. De fait, cette réforme vise à unifier et à étendre la surveillance prudentielle afin de rendre possible un suivi transversal des risques du secteur financier - cela représente un pas important dans le sens des synergies et rapprochements souhaités par votre commission -, à doter l'ACP de responsabilités en matière de protection de la clientèle et à maintenir l'adossement de l'ACP à la banque centrale, ce modèle français de proximité entre banque centrale et superviseur ayant montré sa supériorité au cours de la crise. Ensuite, le collège de l'ACP rassemble des personnalités qualifiées dans les domaines de la banque et de l'assurance. Enfin, l'octroi de larges possibilités de délégations au président ou au secrétaire général permet souplesse et réactivité en cas d'urgence.
En matière d'organisation interne, notre souci, dès la publication de l'ordonnance, a été de préserver les compétences du secrétariat général de la Commission bancaire et celles de l'ACAM, compétences nécessaires à la qualité des contrôles individuels, pour le premier, dans le secteur de la banque, pour le second, dans le domaine des assurances, tout en commençant à mélanger, avec précaution mais détermination, les équipes afin de contrôler des groupes actifs dans les deux secteurs. Les débuts sont prometteurs. Nous avons également rapproché les équipes scientifiques qui travaillent respectivement sur les modèles internes de « Bâle II » et sur la réforme « Solvabilité II ». Enfin, nous avons mis en place une direction du contrôle des pratiques commerciales et le pôle commun avec l'AMF, prévu dans l'ordonnance.
La création du Conseil de régulation financière et du risque systémique répond à la nécessité d'instaurer une surveillance macro-prudentielle, enseignement que nous tirons de la crise. L'idée est de détecter les phénomènes présentant un risque, non pour des établissements en particulier, mais pour l'ensemble du système. Comment parer à ces risques ? Souvent par une modification de la réglementation et de la législation. Comment les détecter ? Par un balayage systématique de tout développement inquiétant, anormal, dangereux. De tels organismes de surveillance, généralement articulés autour de la banque centrale et du superviseur, voient actuellement le jour au niveau international, avec le Forum de stabilité financière devenu le Conseil de stabilité financière à la demande du G7 et du G20, appuyé sur la BRI, qui a désormais pour mandat de repérer les tendances porteuses de risques et de proposer au G20 des modifications en matière de règles internationales. Au niveau européen, le Comité européen du risque systémique, qui est l'une des propositions de l'excellent rapport Larosière, fait actuellement l'objet de discussions entre le Conseil et le Parlement européen, et devrait être opérationnel à la fin de l'année prochaine. La Banque centrale européenne (BCE) se prépare déjà à soutenir ledit comité en procédant à des exercices à blanc de balayage des risques systémiques. Au niveau national, le Conseil de régulation financière et du risque systémique regroupera en son sein le ministre de l'économie, les responsables des autorités de contrôle et le gouverneur de la Banque de la France. Sa mission, qui était déjà celle du collège des autorités de contrôle des entreprises du secteur financier, sera plus largement de veiller à la coopération entre les autorités qui le composent et de reprendre la fonction des groupes de coordination nationale institués par le mémorandum européen de coopération sur la gestion des crises systémiques, signé en 2005 et actualisé en 2008. Pour ma part, je n'ai pas eu besoin de l'institution de ces groupes pour rencontrer le ministre de l'économie quand besoin est...
M. Jean Arthuis , président . - Autrement dit, cette fonction est déjà assurée...
M. Christian Noyer . - Tout à fait ! Et le contraire serait inquiétant !
Nous travaillons à atteindre un consensus sur la réforme de la réglementation prudentielle des banques, « Bâle III ». L'an dernier, est intervenu un premier accord au sein du Comité de Bâle sur les exigences de capital pour les opérations de marché, en particulier pour les opérations de titrisation. La crise des subprimes a montré en effet que les exigences étaient mal calibrées. L'Europe comptait mettre en oeuvre ce nouveau dispositif, qui fera partie de « Bâle III », dès l'an prochain, contrairement aux États-Unis. Au sein du G20, il est admis que mieux vaut agir de concert, quitte à repousser l'application de ces règles à fin 2011. Les exercices de calibrage ayant montré que l'impact des différentes règles envisagées différait sensiblement de celui qui était prévu, des ajustements sont probables dans les semaines prochaines. En outre, les superviseurs nationaux dépouillent l'étude d'impact faite auprès d'un grand nombre d'établissements sur les propositions formulées en décembre sur la qualité de la définition du capital, les différentes déductions, la couverture de certains risques et les règles de liquidité. L'ensemble de ces travaux sera consolidé au sein du Comité de Bâle et de la BRI. A ma demande, nous travaillons également à une étude sur l'impact macro-économique de ces mesures sur la capacité des banques à distribuer du crédit et, partant, sur le financement de la croissance. Le but n'est aucunement de renoncer à des renforcements nécessaires, mais de ménager une progression pour éviter des retombées négatives.
Les grandes orientations devraient être dessinées mi-juillet, moment où se tiendront de nouvelles réunions. J'espère que nous présenterons alors un paquet de mesures plus précises sur l'harmonisation et la composition des fonds propres, le provisionnement prospectif contracyclique et les exigences en matière d'activités de titrisation. Certaines des propositions au sein de ce paquet présentées pour étude d'impact en décembre dernier par le Comité de Bâle nous paraissaient mériter des ajustements. L'étude d'impact le confirme, en particulier s'agissant du traitement de certaines déductions - par exemple, la déduction des intérêts minoritaires et des participations dans les compagnies d'assurance va à l'encontre de la notion de groupe consolidé et de la directive européenne sur les conglomérats financiers - ou encore s'agissant de sujets plus techniques tels les actifs d'impôts différés. Pour finir, quelques mots sur les ratios. La France préfère au ratio de levier, trop fruste, le ratio pondéré en fonction du risque. Quant aux ratios de liquidité proposés, ils avaient été étudiés un peu vite : si le ratio de liquidité à court terme paraît utile, la liste des actifs considérés liquides doit être considérablement élargie pour tenir compte de la période de refinancement de l'Eurosystème ; le ratio à long terme n'est pas encore au point.
M. Jean Arthuis , président . - Merci de ces précisions.
M. Philippe Marini , rapporteur général . - Puisse ce projet de loi, sur lequel la commission n'a pas nommé de rapporteur et qui devrait encore faire l'objet d'ajustements, sortir de l'Assemblée nationale frappé de quelques incohérences afin que notre valeur ajoutée soit aussi importante qu'à l'accoutumée... Pour l'heure, je m'interroge principalement sur les agences de notation. L'instauration d'un régime de responsabilité sans faute en cas de notation erronée par les agences de notation, débat à la mode au Palais-Bourbon, constitue-t-elle une piste réaliste et féconde dans le contexte européen et mondial ? Ensuite, à la faveur de la crise grecque, la BCE n'a pas subordonné, contrairement à l'habitude et aux règles de « Bâle II », la prise en collatéral de titres de dette publique à la notation des agences. Cette évolution est-elle une réponse à une situation d'urgence ou peut-on imaginer qu'elle préfigure un nouveau cadre d'intervention ? Au demeurant, est-il cohérent que la BCE se réfère à une notation fixée par des agences privées lorsqu'il s'agit de titres de dette souveraine d'un État actionnaire à son capital ? Si la BCE devait multiplier les interventions de ce type, quel serait l'impact sur son bilan ? Enfin, y a-t-il lieu de s'inquiéter des nouvelles tensions sur le marché des liquidités interbancaires dont nous avons tous eu vent ? La BCE a été réactive, mais quelle visibilité avez-vous sur les marchés de très court terme et le marché interbancaire ?
M. Christian Noyer . - L'introduction, dans le seul périmètre français, d'une responsabilité sans faute des agences en cas de notation erronée aurait pour conséquence la quasi-disparition de la notation au détriment des entreprises qui y font appel - elles auraient plus de mal à émettre et émettraient plus cher - ou le renchérissement de cette notation - car les agences seraient conduites à constituer des provisions pour risques -, ou encore la délocalisation complète de l'activité hors de France. Ce genre de mesures doit être discuté au niveau international, étant entendu qu'il y a la solution du code civil en cas de faute évidente avérée.
Je crois davantage à la piste européenne consistant à exiger des agences de notation des assurances sur les conflits d'intérêts - si faute déontologique il y a, elle doit être sanctionnée - ou encore sur la clarté des notations. Pour exemple, malgré les résistances des agences, je continue à penser qu'utiliser la même échelle pour des produits structurés et des obligations simples n'a pas de sens de la même manière qu'un amateur de vin non éclairé ne s'y retrouve pas dans la notation établie par M. Parker, la même note pouvant être attribuée à des très grands crus classés ou à des vins ordinaires. Enfin, les agences doivent annoncer leurs règles d'établissement et de révision des notations et faire la preuve qu'elles ont la compétence technique pour les appliquer. Il faut éviter des dégradations décidées à la hâte et, encore plus, le soir, juste avant la fermeture des marchés. Comme les assureurs-crédits, à moins de circonstances exceptionnelles, elles doivent réviser les notations selon une certaine périodicité. Bref, nous attendons beaucoup de l'application complète du dispositif européen supervisé par l'autorité européenne des marchés, dont la création semble logique...
M. Philippe Marini , rapporteur général . - Donc, pour nous, c'est « Circulez, il n'y a rien à voir » ! Il faut attendre l'Europe !
M. Christian Noyer . - Ce n'est pas ce que j'ai dit. L'opinion du Parlement compte, les règles ne sont pas encore finalisées. L'important est d'établir des règles communes.
Enfin, on ne peut pas aujourd'hui interdire aux banques d'utiliser la notation des agences pour le calcul de leur risque de crédit car cette méthode est prévue dans les accords de Bâle II pour la notation standard. Certes, les grandes banques ont leur propre système d'évaluation du risque, mais les petites banques recourent à la méthode standard. Mieux vaut donc améliorer les notations, susciter l'émergence de concurrents aux grandes agences...
M. Philippe Marini , rapporteur général . - Pardonnez-moi, mais j'évoquais la situation spécifique de la BCE, institution de l'Union, se référant à la notation des agences commerciales pour la cotation du risque souverain d'un État européen... N'est-ce pas une démission extraordinaire que la BCE recoure au rating des agences américaines pour le risque de ses propres États-membres qu'elle est censée connaître ?
M. Christian Noyer . - Effectivement, cette notation a été utilisée jusqu'à aujourd'hui, faute de mieux. Une exception a été faite pour la Grèce, en raison de l'accord intervenu avec le FMI et du plan mis en place par les membres de la zone euro avec l'appui technique de la Commission et de la BCE, approuvé par le Conseil des gouverneurs. Aux termes du Traité, nous pouvons prendre les seuls collatéraux de qualité, c'est-à-dire minimisant les risques de défaut. Deux solutions s'offrent à nous : soit nous refusons de prendre en collatéral la dette de tout État ne respectant pas le pacte de stabilité - méthode violente et peu intelligente - ou nous devons juger de manière détaillée la solidité des comptes d'un État, ce qui n'est pas notre rôle. Le rapporteur général pose une vraie question à laquelle nous n'avons pas de réponse, le Traité ne permettant pas de dire que les États actionnaires de la BCE présentent, par définition, de bons risques. D'ailleurs, si la Grèce n'avait pas été soutenue, elle présenterait aujourd'hui un risque important.
M. Jean Arthuis , président . - N'y a-t-il pas un conflit d'intérêts entre l'État et la banque centrale, la seconde, bien qu'indépendante, étant sous contrôle du premier ?
M. Christian Noyer . - Le conflit d'intérêts est évité, grâce à l'indépendance de la banque centrale. Nous n'avons pas la légitimité suffisante pour prendre seuls des décisions dont la lecture serait inévitablement très politique. Pour autant, nous réfléchissons à un meilleur système pour les risques souverains.
Concernant la politique d'achats de titres, nous y avons été contraints : notre politique monétaire ne pouvait plus être relayée à cause du blocage des marchés de titres de la zone euro. Nous souhaitons mettre fin le plus rapidement possible à cette intervention pour éviter tout risque d'aboutir in fine à « monétiser la dette ». Les conséquences sur le bilan des banques centrales sont limitées, nous souhaitons qu'elles le demeurent.
Les tensions sur le marché des liquidités interbancaires reprennent en raison d'une défiance interne au système bancaire. Le phénomène, analogue à celui constaté après la faillite de la banque Lehman Brothers, est limité et ne touche pas la France. Pour autant, il est préoccupant.
M. Joël Bourdin . - Pouvez-nous nous donner une définition précise du risque systémique ? Existe-t-il un instrument permettant de le mesurer ? Bref, quel est le contenu opérationnel de ce concept si souvent évoqué ces temps-ci ?
M. Denis Badré . - Les agences de notation ne peuvent être juges et parties. Au reste, la question se pose de créer une agence publique pour les dettes souveraines. La réponse que vous avez donnée au rapporteur général ne m'a pas convaincu. Pouvez-vous en dire davantage sur les agences de notation et la dette souveraine ?
Mme Nicole Bricq . - Fin 2008, à l'époque lointaine où le risque souverain n'était pas à l'ordre du jour, il avait été question de soumettre les banques européennes à des stress tests. Ceux-ci ont été réalisés, même si l'on n'en connaît pas précisément les résultats. L'un des critères portait-il sur l'exposition aux dettes souveraines ? Ne faudrait-il pas y revenir à la lumière de la situation actuelle ou considérez-vous que cela est prématuré ?
M. Jean-Pierre Fourcade . - On constate, d'un côté, une résistance des banques françaises à appliquer « Bâle III » à cause de la remonté nécessaire des ratios de levier et, de l'autre côté, un refus des banques canadiennes et brésiliennes qui ont des ratios bien plus élevés. A-t-on bien mesuré l'impact de Bâle III sur les banques françaises et ce conflit entre les banques ? L'exemple du Canada est éclairant : une banque canadienne est le dix-neuvième ou dix-huitième spécialiste en valeurs du Trésor français. Or, en examinant ses comptes et ses ratios, on s'aperçoit qu'elle a une structure financière fort différente de celle de la BNP ou de la Société générale. Ensuite, à l'heure actuelle, les dettes souveraines des États européens tels que l'Irlande, l'Italie, la France ou l'Espagne sont portées essentiellement par des non-résidents comme les Russes ou les Chinois. Ne faudrait-il pas mettre en place un indicateur permettant de savoir qui porte les dettes souveraines ? Je crains, en cas d'attaque d'une dette souveraine, un effet domino...
M. Jean Arthuis , président . - Y a-t-il matière à réguler les conditions de vente à découvert ? Au plan européen, y a-t-il une impulsion décisive, une vraie coordination en la matière ? Quelles initiatives le législateur peut-il prendre ? Je pense à un amendement déposé à l'Assemblée nationale qui prévoit la création de comités de suivi des risques. N'est-ce pas codifier des dispositions qui relèvent du contrôle interne ? N'est-il pas vain de multiplier les dispositions législatives quand le système repose sur plus de transparence et de responsabilité sous l'autorité de la banque centrale ? Enfin, la semaine dernière, nous entendions les responsables des banques et des compagnies d'assurance à propos de « Bâle III » et « Solvabilité II ». Cela ne va pas être facile de présider une autorité de contrôle prudentiel car ce sont deux mondes...
M. Christian Noyer . - Monsieur Bourdin, si je ne puis vous donner une définition du risque systémique digne du Littré ou du Larousse, ce risque est celui qui touche, non un établissement en particulier, mais l'ensemble du système. L'exemple classique est celui où toutes les banques d'un pays étant très engagées dans le financement de l'immobilier, se forme une bulle. Le jour où les marchés se retournent et où les prix chutent, tout le système s'effondre. Le travail consiste à identifier ces risques. En Espagne, d'ailleurs, la banque centrale avait anticipé ce phénomène lié à l'immobilier. Elle avait obligé les grandes banques à inscrire des provisions dynamiques afin de parer à de possibles renversements de marché, mais n'avait pu imposer cette obligation, hélas ! aux caisses d'épargne. Elle savait ce secteur fragile, trop engagé dans l'immobilier et insuffisamment capitalisé. D'où la restructuration brutale aujourd'hui. Nous aurions dû, avant-hier, détecter que le développement rapide de produits structurés avec des générations de structuration au cube, était totalement opaque et dangereux et, en conséquence, demander aux gouvernements de mettre en place des règles pour freiner ces phénomènes.
M. Jean Arthuis , président . - Nous avons encore en mémoire les propos de M. Greenspan, l'ancien président de la banque centrale américaine...
M. Christian Noyer . - Des erreurs ont été commises...
Monsieur Badré, une agence de notation publique, qu'elle soit nationale ou européenne, ne me semble pas une bonne solution. Elle n'aurait pas de crédibilité en matière de notation des dettes souveraines. Un État ne peut être noté par son autorité de contrôle. Nous avons besoin d'une autorité indépendante...
M. Jean Arthuis , président . - Eurostat !
M. Christian Noyer . - Peut-être... Si les banques centrales devaient noter les dettes souveraines, ce serait jugé comme une intrusion dans le domaine des États, quand bien même nous en aurions les compétences techniques. Pour la Grèce, nous nous sommes appuyés sur des données objectives, l'évaluation de la Commission, des autres gouvernements et du FMI. Pour autant, j'en suis d'accord, il faut trouver une meilleure solution. En tout cas, quand nous achetons des titres, nous prenons nos responsabilités car nous mettons en jeu notre structure financière...
M. Jean Arthuis , président . - Soit, mais vient un moment où cela devient une structure de défaisance !
M. Christian Noyer . - C'est ce que nous souhaiterions éviter !
Madame Bricq, concernant les stress tests que nous appliquons régulièrement aux banques - un est d'ailleurs en cours au niveau européen -, nous ne prenons jamais l'hypothèse de défaut d'un pays industrialisé. Au demeurant, si nous le faisions, que faudrait-il prendre pour hypothèse ? Le défaut de la Grèce et du Portugal ou encore celui du Royaume-Uni où les ratios de dette et de déficit sont pires encore ? Le risque souverain est normalement le meilleur risque, dont tous les autres dérivent.
M. Jean Arthuis , président . - Mais la souveraineté d'un surendetté est toute relative...
M. Christian Noyer . - Cette question des stress tests a été, au reste, débattue entre les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales : ne serait-il pas bon d'apaiser les tensions sur les marchés en montrant que le défaut d'un État ne serait pas dramatique pour le système bancaire européen ? Néanmoins, cette hypothèse est lourde quand tout a été fait pour éviter le défaut de la Grèce.
M. Jean Arthuis , président . - Si les banques nationales ont des créances sur le pays qui fait défaut, il peut y avoir un risque systémique....
M. Christian Noyer . - Si la Grèce faisait défaut, les banques grecques qui ont davantage de titres grecs pourraient être en difficulté et, donc, ne plus financer les entreprises grecques ce qui entraînerait un défaut dans l'économie grecque. Personne ne sait où s'arrêteraient les répercussions sur les pays de la zone euro et leurs économies. Autrement dit, le stress test deviendrait un exercice potentiellement...
Mme Nicole Bricq . - ...stressant !
M. Christian Noyer . - La question est donc pertinente, mais délicate.
Faut-il une réglementation ou une taxation ? Je remercie Monsieur Fourcade d'avoir posé cette question. Les deux méthodes peuvent avoir un effet macro-économique, la différence étant que le renforcement de la réglementation augmente la capacité des banques à résister au choc. L'inconvénient du fonds de résolution ou de garantie alimenté par une taxe est de créer un risque d'aléa moral, qui peut cependant être diminué si l'objectif est de dépecer la banque faisant appel à lui. Si cette taxe est perçue par le budget des États, difficile de ne pas donner l'impression que les États se portent garants ... De plus, le risque est que la ressource soit dépensée avant d'être mobilisée. Bref, la décision de mettre en place une taxe relève de la responsabilité des États. L'instauration d'une taxe, nous devons en avoir conscience, aura une incidence : soit elle réduira la capacité des banques à augmenter leur capital et leurs fonds propres, soit les banques chercheront à compenser le coût de cette taxe par une augmentation du coût du crédit, ce qui aurait des conséquences sur le financement de l'économie et, donc, de la croissance, soit les banques privilégieront les activités plus risquées et plus rentables pour financer cette taxe. Je recommande donc un renforcement de la réglementation, son évaluation, avant de discuter d'une taxe qui devra être précisément ciblée sur les activités à décourager - question délicate -, contrairement au système proposé par le FMI ou en cours de discussion aux États-Unis.
Nous ne connaissons pas précisément l'origine des porteurs des dettes souveraines des États européens, en l'absence d'une vision consolidée de la zone euro. Les non-résidents sont, effet, les non-nationaux. Or, dans un marché monétaire unique, il n'est pas anormal que les investisseurs répartissent leurs risques entre les États membres de ce marché. Nous ne mesurons pas l'apport de l'extérieur de la zone euro.
M. Jean Arthuis , président . - Est-ce un tiers de résidents, un tiers de non-résidents européens et un tiers de non-résidents non-européens ?
M. Christian Noyer . - Tout dépend des pays : l'Italie a une dette souveraine majoritairement détenue par les résidents, par exemple, comme le Japon, ce qui n'est pas le cas de la France.
Monsieur Arthuis, je suis très réservé sur l'interdiction des ventes à découvert. Elle me semble inefficace, le prix des titres étant fixé sur un marché mondial, et non national. Donc, ce qui sera interdit à Paris ou à Francfort, sera autorisé à New York ou à Londres... Il faudrait une réglementation mondiale. Or beaucoup considèrent qu'une interdiction généralisée serait contre-productive car elle pénaliserait la liquidité des titres en question. Même logique concernant l'obligation de livraison des titres à J+1 : en l'état actuel des infrastructures de marché, cela conduirait à augmenter la masse des suspens, soit les opérations qui ont fait l'objet d'une transaction mais n'ont pu être retranscrites dans les systèmes. Cela serait source de risques importants quand l'attractivité du marché des titres européens tient, entre autres, aujourd'hui à nos systèmes de règlement et de livraison de titres, qui seront encore améliorés avec « Target II Securities », actuellement préparé par l'Eurosystème. Cela ne signifie pas qu'il faille ne rien faire. Je suis partisan d'une intégration des marchés dits over the counter (OTC) dans des infrastructures de marchés réglementées et supervisées avec des plates-formes de négociation et des chambres de compensation. Ces chambres, comme le souhaite officiellement la BCE, devront être localisées dans la zone monétaire de la monnaie utilisée, tout simplement pour être supervisées dans cette zone et avoir, le cas échéant, accès à la monnaie banque centrale. Si nous avions aujourd'hui des CDS traités dans une chambre de la zone euro, nous pourrions surveiller les positions, procéder aux compensations nécessaires, instaurer des règles temporaires d'interdiction en cas de mouvements anormaux et apporter des liquidités, si besoin est. Cette réforme me semble très importante. Installer des comités de suivi des risques dans chaque entité, comme cela est proposé à l'Assemblée nationale, me semble moins pertinent. De tels comités sont peut-être nécessaires pour les grands groupes et au niveau consolidé.
Enfin, les compagnies d'assurances et les banques ont effectivement une lecture différente de Bâle III, d'où la nécessité de conserver des directions de contrôle spécifique pour chacun des deux secteurs. Il y a des synergies, mais des métiers différents.
M. Jean Arthuis , président . - Merci, monsieur le gouverneur, de nous avoir éclairé sur ce projet de loi.