B. AUDITION DE M. BENOÎT COEURÉ, ÉCONOMISTE EN CHEF, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU TRÉSOR
La commission a ensuite procédé à l' audition de M. Benoît Coeuré, économiste en chef, directeur général adjoint de la direction générale du Trésor.
M. Jean Arthuis , président, a demandé des précisions sur les conséquences de la crise grecque sur l'évolution du rôle d'Eurostat et la mise en oeuvre du principe d'indépendance des autorités statistiques nationales.
M. Benoît Coeuré, économiste en chef, directeur général adjoint de la direction générale du Trésor , a souligné le caractère encore récent de l'Union économique et monétaire (UEM). Parmi les leçons à tirer de la situation des finances publiques grecques, il convient de retenir la mise en pratique imparfaite des règles communautaires. Dès 2004, Eurostat avait déjà demandé à la Grèce une révision de ses comptes et une réforme de l'autorité statistique. Le renforcement du pouvoir d'inspection et la demande de rapports annuels par Eurostat depuis 2009 sont la conséquence d'un durcissement de la jurisprudence européenne, notamment en matière de titrisation et de partenariat public-privé. En effet, la titrisation de créances de sécurité sociale n'est plus possible aujourd'hui. Pour autant, le procédé qui consiste pour un Etat à céder à une banque des droits sur des recettes futures peut présenter un intérêt économique, dans la mesure où il permet de disposer de ressources immédiates. Certains pays ont procédé de la sorte pour rendre liquides des recettes futures de loterie et d'impôts sur le revenu. Dans ce dernier cas, il s'agissait aussi pour l'administration fiscale belge d'améliorer le taux de collecte de l'impôt.
M. Jean Arthuis , président , a mis en lumière le danger que de telles pratiques conduisent à réduire artificiellement le montant de la dette publique, estimant que le recours à la titrisation devrait suggérer que l'on entre dans une « période suspecte », annonciatrice d'une crise de la dette souveraine.
M. Benoît Coeuré a considéré que les nouvelles règles statistiques, mises en place par Eurostat, limitent ce risque, citant l'INSEE qui a réintégré dans le montant de la dette publique les partenariats public-privé conclus en France pour la construction d'établissements pénitentiaires. La direction générale du Trésor estime que, dans certains cas, ces opérations financières peuvent présenter un intérêt économique, à condition qu'elles soient neutres sur le plan comptable et ne contribuent pas à diminuer optiquement la dette.
Il a souligné que la crise grecque révèle davantage un problème de gouvernance que de réglementation car, dès avant la crise, Eurostat avait procédé à plusieurs reprises à des « visites méthodologiques » auprès de l'institut de statistiques et du Trésor grecs. Estimant qu'il n'est pas du ressort de l'Europe de procéder à la certification de l'ensemble des comptes des pays ressortissants de l'Eurogroupe, il a appelé de ses voeux l'adoption rapide de la proposition de révision du règlement européen du 1 er avril 2009 relatif à la statistique afin d'élargir le champ de compétences d'Eurostat aux comptes des administrations locales.
En réponse à M. Jean Arthuis , président , qui s'est interrogé sur l'utilité d'élargir le contrôle de l'institut européen de statistiques aux prévisions de croissance présentées par les Etats membres, M. Benoît Coeuré a fait valoir que le travail de prévision relève du domaine des études économiques et non de la certification de comptes constatés. C'est ainsi que la notification des comptes certifiés de l'année précédente est de la responsabilité de l'INSEE alors que la présentation des comptes de l'année en cours est produite par la direction générale du Trésor.
Mme Nicole Bricq a fait remarquer que l'INSEE émet également des prévisions sur des hypothèses de croissance.
M. Benoît Coeuré a reconnu qu'un dialogue s'instaure entre ses services et ceux de l'INSEE mais que leurs prévisions respectives sont établies de manière indépendante. Il convient de distinguer les comptes certifiés par l'INSEE, qui sont audités par Eurostat, des prévisions présentées par le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui sont examinées par la Commission européenne.
Revenant sur la situation de la France, jugée très favorable par les marchés financiers en raison de la qualité de sa signature, il a précisé que la direction générale du Trésor déconseille toute mise en oeuvre d'outils de titrisation. Il a admis que la soulte de France Telecom a pu être considérée, à l'époque, à juste titre, comme un « artifice comptable » et précisé qu'une telle opération ne pourrait plus se reproduire aujourd'hui.
M. Jean Arthuis , président , a estimé nécessaire de garantir l'indépendance de la statistique vis-à-vis du pouvoir politique et a souhaité savoir si un travail de normalisation des comptes publics de l'Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales est actuellement en cours.
M. Benoît Coeuré a souligné que l'article 144 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, portant création de l'Autorité de la statistique publique, a constitué de ce point de vue un progrès notable. Le rattachement organique de l'INSEE au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi n'est pas un obstacle à la sincérité, à l'indépendance et à la souveraineté de ses décisions.
En réponse à Mme Nicole Bricq qui s'est interrogée sur les conséquences des mesures prises par l'INSEE pour réintroduire certaines dépenses dans la dette publique, il a indiqué que la direction générale du Trésor prend acte des décisions souveraines de l'institut et les applique.
MM. Jean Arthuis , président , et Edmond Hervé ont fait observer que les partenariats publics-privés conclus pour la construction de gendarmeries ou d'hôpitaux devraient être comptabilisés dans la dette publique dès lors que l'INSEE a décidé d'y introduire les opérations sur les établissements pénitentiaires.
Revenant sur l'harmonisation des méthodes de travail des instituts statistiques nationaux, M. Benoît Coeuré a indiqué que l'INSEE respecte le système européen de comptes qui, lui-même, est la déclinaison du manuel de comptabilité nationale de l'Organisation des Nations-Unies. En revanche, il a mis en lumière l'absence de comptabilité patrimoniale au niveau européen, la France étant le seul pays à disposer d'un instrument de mesure de la dette financière de l'Etat ainsi que des éléments d'actif et de passif.
Mme Nicole Bricq a souhaité savoir si le mauvais exemple grec a incité Eurostat à approfondir ses investigations sur d'autres pays à risque.
M. Benoît Coeuré a insisté sur la distinction qui doit être opérée entre l'optimisation comptable, qui n'est pas forcément litigieuse, et les pratiques qui remettent en cause la sincérité des comptes, telles les modifications apportées aux comptes, l'absence d'indépendance des statisticiens et les problèmes de gouvernance constatés en Grèce. Il a jugé positive l'entrée d'un représentant d'Eurostat au conseil de surveillance de l'Institut grec de la statistique.
M. Jean Arthuis , président , a jugé nécessaire de s'assurer de la qualité et de l'indépendance des statistiques produites par les pays candidats avant d'accueillir de nouveaux membres dans l'Eurogroupe.
M. Benoît Coeuré a fait état d'un durcissement de la jurisprudence d'Eurostat, notamment dans l'utilisation des produits dérivés par les Etats tels que les échanges de devises. Il s'agit de parer à certaines pratiques « originales » mais répréhensibles, comme celle qui a consisté pour la Grèce à procéder à une conversion en euros de ses contrats militaires libellés en dollars à un taux différent du cours du marché, ce qui a eu pour effet de produire une recette immédiate de trésorerie, sous forme de soulte, aggravant économiquement la dette publique.
En réponse à M. Philippe Adnot qui s'est interrogé sur la nature des crédits non consomptibles du « grand emprunt », M. Benoît Coeuré a indiqué qu'il s'agit de fonds attribués aux opérateurs, mais conservés dans le compte unique du Trésor. Ces sommes ne seront décaissées que dans le cadre des décisions mises en oeuvre par le commissaire général à l'investissement. Il s'agit d'opérations financières qui n'impactent pas le déficit « maastrichtien ».
En réponse à Mme Nicole Bricq qui s'est interrogée sur la répartition et le fléchage des fonds destinés à la construction des grandes infrastructures, M. Benoît Coeuré a précisé que l'affectation budgétaire des crédits est différente de l'affectation financière. En ce qui concerne cette dernière, le financement du grand emprunt est assuré, pour 13 milliards d'euros, par le remboursement par les banques des fonds qui leur ont été prêtés, et pour les 22 milliards d'euros restants, par 9 milliards d'euros d'excédents du compte du Trésor au 31 décembre 2009 et 13 milliards d'euros émis sur les marchés financiers au moyen d'obligations assimilables du Trésor.
En réponse à M. Jean Arthuis , président , il a indiqué que l'indépendance d'Eurostat par rapport à la Commission européenne n'est pas mise en cause par la tutelle administrative exercée par celle-ci, mais dépend avant tout des garanties apportées à la souveraineté de ses décisions. A cet égard, il a estimé transposable au niveau européen le dispositif français qui repose sur la présence conjointe d'une autorité de la statistique, qui a la qualité d'autorité administrative indépendante, et de l'INSEE, qui est une direction relevant du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
S'agissant de l'intervention de la banque centrale dans l'examen de la sincérité des comptes publics des Etats membres, M. Benoît Coeuré n'a pas jugé pertinente l'implication d'une institution monétaire dans le processus budgétaire qui relève des autorités politiques.