C. FAUT-IL REGRETTER L'IMPOSSIBILITÉ DE DÉVALUER ?
1. Les Etats concernés ont-ils réellement besoin d'une dévaluation ?
Par ailleurs, l'idée selon laquelle les Etats concernés auraient besoin d'une dévaluation ne fait pas consensus.
De fait, il n'est pas évident que l'on ait jamais vu d'Etat dont la croissance soit inférieure sur le long terme à sa croissance potentielle à cause d'un taux de change surévalué. Sur le long terme, la croissance d'une économie ne dépend pas de son taux de change, mais de la croissance de sa population active et de sa productivité par travailleur, qui ne découle du taux de change que de manière indirecte et non quantifiable.
Ainsi, l'économiste Jean-Marc Daniel écrit : « L'économie grecque n'a pas besoin de dévaluation ; sa croissance à long terme - comme dans tous les pays - repose moins sur ses exportations que sur le travail des Grecs. D'après l'OCDE, vu la situation de la productivité des entreprises grecques, la croissance potentielle y est de 4 % en volume par an d'ici à 2017 » 53 ( * ) .
De même, M. Patrick Artus estime, dans une récente note 54 ( * ) , que les problèmes de compétitivité des Etats d'Europe du sud proviennent non d'une compétitivité-coût insuffisante, mais de facteurs plus structurels (insuffisance de l'innovation, excès d'endettement). En particulier, Italie exceptée, le niveau des coûts unitaires de production est toujours plus bas dans les pays du Sud de la zone euro qu'en Allemagne ou en France.
Certes, ces points de vue ne sont valables qu'à long terme. A moyen terme, la nécessité de réaliser un ajustement budgétaire considérable, sans pouvoir déprécier la monnaie, place incontestablement les Etats concernés dans une situation difficile. Cependant, celle-ci ne provient pas de la monnaie unique en tant que telle, mais de ce qu'ils n'ont pas pris en compte le fait que celle-ci implique de garder une certaine « marge de manoeuvre » en matière budgétaire afin de ne pas se retrouver sans instrument de régulation conjoncturelle.
L'euro a favorisé pour certains Etats une croissance nettement supérieure à son potentiel pendant quelques années. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que la forte croissance récente puis la crise actuelle ne trouvent pas leur cause dans l'euro, mais dans un cycle financier mondial. L'euro n'est pas responsable, en tant que tel, des difficultés de ces Etats, même s'il a probablement accentué les fluctuations de la croissance, à la hausse comme à la baisse.
2. Les avantages de l'absence de crise de changes
Par ailleurs, en l'absence de monnaie unique, la monnaie des Etats concernés se serait déjà fortement dépréciée, de manière non contrôlée, et ils supporteraient des taux d'intérêt nettement plus élevés.
Les problèmes actuellement posés par l'euro ne doivent pas faire oublier ceux qu'il permet d'éviter. Il n'est pas évident que l'Irlande et les Etats d'Europe du sud seraient actuellement dans une situation économique plus favorable en cas de crise de changes analogue à celle de 1991-1992.
En tout état de cause, il faut garder à l'esprit que la zone euro bénéficie depuis la fin de l'année 2009 de l'équivalent d'une dévaluation, puisque le taux de change contre le dollar ne cesse de se déprécier. Selon le Gouvernement 55 ( * ) , une variation de 10 % du taux de change de l'euro contre toutes les devises a un impact sur l'activité en France de l'ordre de 0,7 point la première année.
* 53 Jean-Marc Daniel, « Ménandre et méandres », article publié sur le site http://www.debateco.fr ,
22 mars 2010.
* 54 Patrick Artus, « Y a-t-il vraiment un problème de compétitivité-coût dans les pays d'Europe du Sud ? », Flash Economie n° 198, Natixis, 28 avril 2010.
* 55 Programme de stabilité 2010-2013.