TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mardi 23 février 2010 sous la présidence de Muguette Dini, présidente , la commission a procédé, sur le rapport d' Annie Jaraud-Vergnolle , à l' examen des amendements et à l' élaboration de son texte pour la proposition de loi n° 193 (2009-2010), présentée par Roland Ries et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, relative à la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services .
Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a indiqué que cette proposition de loi organise la transposition de la directive services dans le secteur social. Le texte poursuit trois objectifs : exclure l'ensemble des services sociaux du champ d'application de la directive, inscrire la notion de service social dans la loi, tenter de sécuriser la relation entre les pouvoirs publics et les prestataires de services sociaux.
Une proposition de loi identique ayant déjà été examinée et rejetée par l'Assemblée nationale le mois dernier, il n'est pas utile que la discussion au Sénat reproduise celle du Palais Bourbon. Il serait plus judicieux de déplacer le débat sur deux points insuffisamment abordés jusqu'ici : le respect des prérogatives du Parlement en matière de transposition des directives européennes et la promotion des services sociaux en Europe.
Pour ce qui concerne la transposition de la directive, elle a considéré que le problème ne tient pas à l'absence de loi-cadre mais à la mise à l'écart du Parlement dans ce débat, alors que les négociations se poursuivent entre le Gouvernement et la Commission européenne sans qu'il soit consulté. L'article 9 de la directive services prévoit en effet que les Etats membres doivent faire parvenir à la Commission une liste des services pour lesquels ils estiment nécessaire de maintenir un régime d'autorisation, que le prestataire soit national ou pas. Conformément à la directive, cette liste a été remise à la Commission le mois dernier et comporte plus de quatre cents autorisations. Or, le Gouvernement refuse de communiquer cette liste au Parlement alors que les régimes d'autorisations comportent, au moins pour une partie d'entre eux, des dispositions législatives : il va donc débattre et trouver un accord avec la Commission européenne qui entraînera nécessairement des modifications législatives sans que le Parlement y ait été associé. Cette pratique n'est pas admissible, aucun texte communautaire ou national ne donnant cette faculté de négociation au Gouvernement une fois la directive votée.
Pour ce qui concerne la défense et la promotion des services publics, et plus particulièrement des services sociaux, en Europe, il faut rappeler que la directive services, dans sa version définitive, n'a paradoxalement aucun rapport avec le droit de la concurrence : inclure ou exclure certains services du champ d'application de la directive ne modifie pas leur statut au regard du droit de la concurrence. En effet, en vertu du droit communautaire, tous les services publics, y compris les services sociaux, sont soumis au droit de la concurrence, qu'ils soient ou non inclus dans le champ d'application de la directive. Il est donc urgent d'adapter le droit de la concurrence dans le secteur social, ce dont malheureusement, d'après les responsables des principales fédérations associatives, mais également le secrétariat général des affaires européennes, le Gouvernement ne se préoccupe pas, ni au niveau communautaire ni au niveau national.
La réglementation communautaire des aides d'Etat est pourtant inadaptée : toute subvention d'un montant supérieur à 200 000 euros sur trois ans doit répondre à un certain nombre de conditions comme la définition d'obligations de service public, l'évaluation a priori, sur des critères transparents et objectifs, du coût de ces obligations ou la vérification a posteriori de l'absence de surcompensation. Ces conditions sont disproportionnées par rapport aux moyens humains des collectivités territoriales et entraînent des surcoûts de gestion élevés et absurdes. Par exemple, est-il raisonnable de soumettre une commune, qui subventionne un foyer pour femmes battues employant deux permanents ou une association de lutte contre l'illettrisme, à de telles exigences ? N'est-ce pas céder à la frénésie bureaucratique au détriment des initiatives et de la vie locales ? Cependant, alors même que des alliances objectives seraient possibles avec d'autres Etats membres influents, comme l'Allemagne, pour relever les seuils et infléchir la définition des aides d'Etat, le Gouvernement n'a rien entrepris en ce sens, y compris lors de la présidence française de l'Union en 2008. Une résolution européenne du Sénat pourrait le contraindre à sortir de l'inertie sur ce sujet.
Enfin, on peut également juger trop passive l'attitude du Gouvernement face aux problèmes de sécurité juridique qui touchent le financement de nombreux services sociaux en France : par exemple, aucune mesure n'a été prise ou envisagée pour sécuriser, au regard du droit de la concurrence, les subventions versées par les caisses d'allocations familiales aux centres de loisirs, aux centres de vacances et aux centres sociaux. Or, ces aides pourraient être contestées sans difficulté à l'occasion d'un contentieux avec une entreprise ou la Commission européenne.
Il serait donc particulièrement utile que la commission des affaires sociales se saisisse du sujet et recense l'ensemble des services sociaux dont le financement est menacé par le droit communautaire afin de proposer des solutions visant à le sécuriser.
Pour conclure, Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a rappelé les termes de l'accord politique selon lequel les propositions de loi déposées par les groupes d'opposition ont vocation, sauf accord de leurs auteurs, à être discutées en séance publique dans leur forme initiale. C'est la raison pour laquelle elle ne présente pas d'amendements, la commission étant susceptible de choisir de n'adopter aucun texte pour respecter les termes de cet accord.
Catherine Procaccia a considéré très pertinent le fait d'évoquer d'autres questions que celles précédemment discutées à l'Assemblée nationale et d'éviter de reproduire le débat qui a conduit à rejeter la proposition de loi. Sur le fond des sujets abordés, la présentation qui en a été faite laisse entendre qu'il existe, en effet, des problèmes réels, bien qu'elle n'ait pas l'expertise suffisante pour en apprécier l'ampleur.
Guy Fischer a regretté que, jusqu'à présent, la directive services ait été transposée par tronçons, ce qui a empêché la tenue d'une discussion globale : la loi de modernisation de l'économie, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » ou encore la loi de simplification du droit ont ainsi été l'occasion, pour le Gouvernement, de transposer certaines dispositions de la directive. La proposition de loi a peut-être le mérite de susciter un débat sur une question particulièrement sensible, mais elle est malheureusement de faible portée : en vertu des traités de l'Union européenne, c'est la Cour de justice des communautés européennes, et non le législateur français, qui décidera in fine si une activité peut être considérée comme un service social. C'est pourquoi le groupe CRC-SPG votera contre ce texte.
Christiane Demontès a fait valoir que les questions juridiques évoquées cachent des enjeux essentiellement politiques, qui concernent la vie quotidienne des citoyens : égalité d'accès aux établissements d'accueil des jeunes enfants, aux services d'aide à domicile, prise en charge de qualité de la dépendance... La discussion de cette proposition de loi doit être l'occasion pour chacun de se prononcer sur cette question fondamentale : faut-il, ou non, soumettre l'ensemble des activités de services, et notamment les services sociaux, au droit de la concurrence ?
Alain Vasselle a souhaité, avant que la commission ne se prononce sur le texte, connaître la position de la commission des affaires européennes sur la proposition de loi. Elle devrait légitimement s'en être saisie pour avis dès lors que ce texte concerne la révision d'une directive européenne.
Muguette Dini, présidente, a expliqué qu'en application de la Constitution et du règlement du Sénat, il relève de la commission des affaires européennes d'expertiser les textes communautaires en cours de discussion au Conseil ou au Parlement européen, et d'attirer l'attention des parlementaires sur certaines évolutions qui lui paraissent problématiques. Pour autant, s'agissant en l'espèce d'une proposition de loi, et non d'une proposition de résolution européenne, cette commission n'est pas appelée à émettre un avis sur un texte de droit interne.
Françoise Henneron a rappelé que lors du débat à l'Assemblée nationale, Nora Berra, secrétaire d'Etat aux aînés, a jugé la même proposition de loi inutile. Pour ce qui concerne les services d'aide à domicile, le maintien d'une autorisation nécessaire à leur exercice est justifié pour des raisons impérieuses d'intérêt général. Il faut donc rassurer les associations de ce secteur, dont on peut cependant comprendre l'inquiétude.
Raymonde Le Texier s'est interrogée sur les raisons qui expliquent la passivité du Gouvernement dans la défense des services sociaux face aux exigences européennes.
Muguette Dini, présidente, s'est alors demandé si cette situation est due à une absence d'instructions des fonctionnaires qui représentent la France à Bruxelles de la part du Gouvernement. Elle a pu elle-même mesurer, sur d'autres sujets, que la conduite efficace des négociations suppose que les autorités politiques fixent une feuille de route claire et impérative, qui tienne compte, le cas échéant, des résolutions votées par le Parlement. Or, en matière de lutte contre les discriminations, il a été démontré qu'aucun compte n'a été tenu des positions du Sénat, ce qui a valu au ministre en charge des affaires européennes d'être interpellé sévèrement en séance publique pour qu'il en explique les raisons.
Gisèle Printz a déploré que, sur des questions aussi importantes que la préservation des services sociaux, ce soit aux fonctionnaires de définir la position de la France.
Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur, a alors apporté les éléments de réponse suivants :
- il est vrai que d'autres pays, sans doute une majorité au sein de l'Union européenne, ont adopté une loi-cadre de transposition de la directive services, permettant ainsi une approche globale de ses enjeux. Ceci étant, il ne faut pas exagérer l'intérêt de l'exercice, beaucoup d'Etats membres, comme le Royaume-Uni ou l'Espagne, s'étant contentés d'en recopier les termes ;
- il n'est pas exact que le législateur français ne dispose d'aucune marge de manoeuvre pour définir des services d'intérêt économique général. La jurisprudence communautaire reconnaît elle-même aux Etats membres la faculté de créer de tels services. C'est la raison pour laquelle la passivité du Gouvernement est inacceptable : des outils, certes imparfaits, sont déjà disponibles, et pourtant il ne s'en saisit pas ;
- il est à la fois nécessaire et urgent de recenser l'ensemble des services sociaux dont le financement est menacé par le droit communautaire. Ces services doivent en effet être sécurisés, par exemple via des propositions de loi - à défaut de projet de loi - qui aménageront, dans le respect des exigences européennes, le droit de la concurrence dans les secteurs concernés.
A l'issue de ce débat, la commission a décidé de ne pas établir de texte pour la proposition de loi. En conséquence, le débat portera, en séance publique, sur le texte tel que déposé par ses auteurs.