TITRE IV - DISPOSITIONS RELATIVES AU REMBOURSEMENT DES FRAIS ENGAGES PAR L'ETAT A L'OCCASION DES OPERATIONS DE SECOURS A L'ETRANGER
Article 13 - Possibilité pour l'Etat d'obtenir le remboursement des frais engagés à l'occasion des opérations de secours à l'étranger
Cet article vise à reconnaître à l'Etat la faculté d'exiger le remboursement de tout ou partie des frais induits par des opérations de secours à l'étranger. Il réserve le motif légitime tiré notamment de l'activité professionnelle ou d'une situation d'urgence.
1. La situation actuelle
L'Etat français est amené de plus en plus fréquemment à supporter la charge financière des secours organisés au profit de ressortissants français se mettant particulièrement en difficulté ou exposant leur santé physique et psychologique, et celle des personnes les accompagnant, à un danger imminent, dans le cadre d'activités sportives, de loisir ou à caractère professionnel à l'étranger.
Ces personnes, qui voyagent ou qui séjournent dans des régions ou des pays déconseillés par le ministère des affaires étrangères et européennes, tant par la rubrique « Conseils aux Voyageurs » du site Internet du ministère des affaires étrangères et européennes, que par le biais de réponses officielles adressées individuellement, se mettent parfois dans des situations de grands périls malgré les avertissements dont ils ont fait l'objet et peuvent être victimes d'agressions ou d'enlèvement. Ces affaires nécessitent un engagement fort des services de l'Etat qui mobilise des moyens humains, logistiques et financiers importants.
C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont conduit le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, à doter le ministère des affaires étrangères d'un centre de crise, dont votre rapporteur a pu visiter les installations et s'entretenir avec le directeur.
Or, ces personnes qui mettent en péril leur sécurité et parfois la sécurité de ceux qui les accompagnent, voire des équipes de secours, ne se voient pas réclamer, faute de base juridique, le montant des frais engagés par l'Etat, directement ou indirectement, pour préserver leur intégrité physique et psychologique, assurer le soutien à leur famille et mettre en place l'ensemble de la logistique nécessaire à la gestion de crise.
Dans bien des cas, l'Etat, et donc le contribuable, doit donc supporter des dépenses importantes pouvant s'élever à plusieurs dizaines voire centaines de milliers d'euros.
Or, si la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 prévoit une obligation d'assistance consulaire des Etats à l'égard de leurs ressortissants (notamment à l'égard des ressortissants emprisonnés), cette obligation d'assistance ne saurait s'assimiler à l'obligation de secours aux personnes qui s'impose à lui sur son territoire.
L'Etat français ne peut, en effet, déployer à l'étranger des moyens opérationnels qu'avec l'accord des autorités locales, sous peine de violer la souveraineté territoriale de cet Etat. Il ne dispose pas par ailleurs nécessairement à l'étranger des mêmes moyens opérationnels qu'en métropole pour conduire ces opérations.
Face à de telles situations, plusieurs pays ont mis en place des instruments permettant à l'Etat d'obtenir le remboursement des frais engagés à l'occasion de secours à l'étranger.
Ainsi, l'Allemagne reconnaît la possibilité pour l'Etat de rechercher une participation au coût de sauvetage de ses ressortissants.
L'une des personnes auditionnées par votre rapporteur a même cité le cas des autorités des Etats-Unis, qui, lorsqu'elles procèdent à une opération d'évacuation de leurs ressortissants à l'étranger, auraient pour habitude de confisquer les passeports des passagers lors de l'embarquement et d'exiger le remboursement des frais de vol avant de les restituer à l'arrivée.
2. Le projet de loi
L'article 13 du projet de loi vise à responsabiliser les ressortissants français s'engageant dans des activités professionnelles, de loisirs ou sportives dans des zones dangereuses à l'étranger, en ouvrant la possibilité pour l'Etat d'exiger le remboursement de tout ou partie des frais induits par des opérations de secours.
Il s'agit de concilier la liberté de circulation, qui doit rester la règle, avec la nécessaire responsabilisation des personnes à l'étranger, touristes, professionnels ou résidents, qui se mettent volontairement en danger, en dépit des informations ou des avertissements dont ils ont connaissance.
Cette demande de remboursement ne pourra jouer qu'à l'égard des personnes « s'étant délibérément exposées (...) à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer » .
Elle ne s'appliquerait pas dans le cas où ces personnes se seraient trouvées dans une situation dangereuse pour un « motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence ».
Ainsi, les journalistes intervenant dans une zone de crise au nom de la liberté d'information ou bien les membres d'une organisation humanitaire participant à des opérations d'assistance en cas de situation d'urgence, ne seraient pas concernés par ce dispositif.
Il ne concernerait pas non plus les ressortissants français, touristes ou expatriés, confrontés à une situation de crise, comme une catastrophe naturelle ou l'éclatement d'un conflit armé.
L'esprit de cette disposition est fortement inspiré de la loi n°85-30 du 9 janvier 1985, dite loi « Montagne », qui a permis aux communes de demander le remboursement des frais de secours engagés dans le cadre des activités de tourisme ou de sport sur le territoire national.
L'article 97 de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne a, en effet, complété l'article L.221-2 du code des communes par les dispositions suivantes :
« Toutefois, les communes peuvent exiger des intéressés ou de leurs ayants droit le remboursement des frais de secours qu'elles ont engagés à l'occasion d'accidents consécutifs à la pratique des activités sportives dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat. Elles déterminent les conditions dans lesquelles s'effectue le remboursement de ces dépenses qui peut porter sur tout ou partie des frais visés ».
Les opérations de secours en montagne par hélicoptère sont ainsi facturées en moyenne 10 000 dollars par heure de vol.
Cet article crée une participation sui generis , qui n'a ni le caractère d'une redevance, ni celui d'une taxe, ni celui d'une sanction.
Un décret en Conseil d'Etat précisera si nécessaire les conditions d'application de cet article.
Il peut sembler important de souligner que le ministère des affaires étrangères et européennes n'est pas le seul ministère concerné par cette mesure. Ainsi, le ministère de la défense est fréquemment appelé à mettre en oeuvre des moyens matériels et humains dans le cadre des opérations de secours à l'étranger, comme en témoigne l'affaire du « Tanit » au large de la Somalie, qui a mobilisé des moyens importants de la marine nationale.
3. La position de votre commission
Votre commission approuve entièrement les objectifs poursuivis par le projet de loi.
Face à la multiplication des comportements peu responsables de la part de personnes s'aventurant dans des zones déconseillées, non protégées ou connues comme n'étant pas de nature à assurer leur sécurité à l'étranger, il n'est pas normal que la charge financière des opérations de secours pèse uniquement sur l'Etat, et donc sur le contribuable.
Pour votre commission, dans de telles situations, il est légitime que l'Etat soit en mesure de demander le remboursement de tout ou partie des dépenses engagées à l'occasion des opérations de secours.
Surtout, un tel dispositif aurait principalement une vocation pédagogique et aurait un effet dissuasif à l'égard de tels comportements.
En réalité, l'objectif visé n'est pas tant d'obtenir une participation financière, étant donné l'importance des montants en jeu, mais d'avoir un effet pédagogique et dissuasif à l'égard de tels agissements.
Il existe, en effet, une perception française qui considère que les frais de secours font partie des dépenses obligatoires de l'Etat.
A cet égard, on aurait pu envisager de prévoir non pas une participation financière mais l'obligation d'effectuer, par exemple, un travail d'intérêt général. Toutefois, cette mesure aurait alors revêtu le caractère d'une sanction pénale qui devrait être prononcée par un juge.
Convaincue du bien-fondé de cette mesure, votre commission a même souhaité renforcer le dispositif proposé de deux manières.
D'une part, elle a adopté, à l'initiative du rapporteur, un amendement visant à supprimer l'encadrement de ce remboursement « dans la limite d'un plafond fixé par décret ».
En effet, dès lors que la possibilité pour l'Etat d'exiger le remboursement des frais engagés reste une simple faculté et que le texte précise que l'Etat pourra demander le remboursement de tout ou partie des dépenses, il n'a pas paru nécessaire à votre commission de prévoir un plafond fixé par décret. En effet, compte tenu de la diversité des situations et du montant des frais engagés à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger, il semble très difficile de déterminer à l'avance un plafond applicable à tous les cas de figure.
Au contraire, l'expérience montre qu'un tel plafond pourrait avoir un effet contre-productif. En effet, soit ce plafond serait fixé à un niveau trop bas et, dans ce cas, il ne pourrait pas avoir un effet véritablement dissuasif. Soit, au contraire, ce plafond serait fixé à un niveau trop élevé et il sera alors inutile. Votre commission a donc estimé préférable de supprimer toute référence à l'idée d'un plafond.
D'autre part, votre commission a adopté un amendement, également proposé par votre rapporteur , tendant à supprimer la référence aux « mises en garde reçues ».
En effet, dès lors que le texte proposé prévoit que le dispositif envisagé s'applique à l'égard de « personnes d'étant délibérément exposées (...) à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer », il n'a pas semblé utile à votre commission de faire référence aux « mises en garde reçues ».
Cette mention paraît susceptible de soulever des difficultés juridiques sur l'appréciation de la nature de ces « mises en garde » et sur les moyens d'en apporter la preuve.
En effet, comme le précise l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, « le texte ne doit pas être interprété comme l'exigence d'une mise en garde expresse préalable sur la portée des risques encourus ».
Or, la mention des « mises en garde reçues » laisse à penser que ce dispositif ne pourrait jouer qu'à l'égard de personnes ayant été dûment averties des risques encourus, par exemple au moyen de lettres individuelles, de conversations téléphoniques ou d'échanges de courriels.
Une telle mention aurait donc pour conséquence de restreindre la portée du dispositif proposé.
Par ailleurs, elle pourrait soulever des difficultés en cas de litige devant le juge car il appartiendrait alors à l'Etat d'apporter la preuve d'une telle mise en garde.
Il a donc semblé préférable à votre commission de ne pas y faire référence.
L'information relève de différents facteurs, tels que les informations largement diffusées dans les médias sur la situation sécuritaire dans certaines régions du monde et les informations de sécurité prodiguées par des associations ou des autorités publiques, notamment sur les fiches de conseils aux voyageurs figurant sur le site Internet du ministère des affaires étrangères et européennes.
Il ne semble donc pas pertinent de restreindre le dispositif proposé aux seules personnes ayant fait l'objet de mises en gardes.
En tout état de cause, il appartiendra au juge d'apprécier si, dans les circonstances de l'espèce, la personne doit être considérée comme ayant été suffisamment informée des risques qu'elle encourait.
Votre commission a adopté l'article 13 ainsi modifié .
Article 14 - Action récursoire de l'Etat à l'encontre des opérateurs de transport, des compagnies d'assurance, des voyagistes ou de leurs représentants
Cet article ouvre à l'Etat la possibilité d'exercer une action récursoire à l'encontre des opérateurs de transport, des compagnies d'assurance, des voyagistes ou de leurs représentants , lorsque ceux-ci n'ont pu fournir la prestation de voyage ou de rapatriement à laquelle ils étaient tenus à l'égard de leur contractants et ne peuvent exciper d'un cas de force majeure ayant empêché cette prestation.
Les professionnels du tourisme, des transports et de l'assurance manquent parfois à leurs obligations contractuelles à l'égard de leurs clients et s'en remettent à l'Etat pour assurer le rapatriement de leurs clients, même lorsque la situation de force majeure n'est pas constituée. Il peut en résulter une charge très lourde pour l'Etat.
Ainsi, lors du blocage de l'aéroport de Bangkok, en novembre 2008, le rapatriement des cinq cents touristes français présents sur place a entraîné pour l'Etat un coût de 720 000 euros pour le seul affrètement d'un avion. En effet, certaines compagnies aériennes ou voyagistes ont refusé d'évacuer leurs clients par d'autres aéroports et s'en sont remis à l'Etat pour remplir leurs obligations contractuelles.
L'objectif de cet article est donc de responsabiliser les professionnels du tourisme et de l'assurance.
Si ceux-ci ne respectent pas leurs engagements contractuels, notamment l'obligation de prestation de voyage et celle de rapatriement, à l'égard des ressortissants français et entraînent par là même une intervention en substitution par l'Etat, ce dernier doit pouvoir exiger de ces opérateurs le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a été obligé d'effectuer pour compenser leurs manquements ou négligences.
Naturellement, les professionnels de tourisme et de l'assurance pourront s'exonérer de cette obligation en cas de force majeure, mais il leur incombera d'apporter la preuve qu'ils se sont bien trouvés dans une telle situation.
Un décret en Conseil d'Etat précisera si nécessaire les modalités d'application de cette disposition.
Votre commission approuve le dispositif proposé pour responsabiliser les professionnels du tourisme et de l'assurance.
Elle a adopté un amendement de précision rédactionnelle.
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Votre commission a adopté le projet de loi ainsi rédigé.