EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi n° 118 (2009-2010) relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste du Sénat.

Longtemps considérées comme un tabou, les violences conjugales sont désormais reconnues par les pouvoirs publics comme un fléau majeur à endiguer. La politique volontariste menée par ces derniers depuis plusieurs années a cherché à mieux prévenir et détecter ces violences, à améliorer l'accompagnement des victimes et à prendre en charge de façon plus ciblée les conjoints violents afin de lutter contre la récidive.

L'auteur de la présente proposition de loi, dont l'initiative avait déjà été déterminante pour l'adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs 1 ( * ) , souhaite que le Parlement se saisisse à nouveau de cette problématique. Le texte qu'il propose se compose de six articles tendant notamment à :

- aggraver les peines encourues lorsque les violences conjugales physiques ou psychologiques sont commises de façon habituelle sur la victime ;

- élargir au pacsé et au concubin le champ des dispositions permettant d'éloigner l'auteur des violences du domicile commun ;

- améliorer la sensibilisation du public et la formation des professionnels appelés à prendre en charge les victimes de violences conjugales ;

- enfin, faciliter l'accès de ces dernières à l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources.

I. LES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE, UN PHÉNOMÈNE D'AMPLEUR ENCORE MAL CONNUE

Les violences conjugales demeurent une réalité difficile à évaluer , en raison principalement du caractère incomplet des données fournies par les services de police et de gendarmerie ou par le casier judiciaire national.

Ainsi, en 2007, 47.573 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrés en France métropolitaine et dans les quatre départements d'outre-mer. Entre 2004 et 2007, ce nombre a crû de 31,1 %. De grandes disparités peuvent néanmoins être observées entre régions d'une part, et entre zones rurales et zones urbaines d'autre part 2 ( * ) .

Par ailleurs, d'après l'étude réalisée par la Délégation aux victimes du ministère de l'Intérieur, 184 personnes (157 femmes et 27 hommes) sont décédées en 2008, victimes d'un homicide volontaire ou de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner commis par leur conjoint.

Ces données doivent être interprétées avec la plus grande précaution.

En effet, l'augmentation de plus de 30% en trois ans des faits de violences constatés résulte sans doute pour partie :

- d'une part, d'une intensification de la collecte d'informations, liée à une meilleure sensibilisation du public, à une moindre réticence des victimes à dénoncer les faits et à un traitement plus systématique des plaintes par les services de police et de gendarmerie 3 ( * ) ;

- d'autre part, d'un changement de périmètre lié à une évolution de la législation : la loi du 4 avril 2006 a élargi la notion de circonstances aggravantes de violences par conjoint ou concubin aux ex-conjoints et ex-concubins ainsi qu'aux partenaires de la victime liées à cette dernière par un pacte civil de solidarité (PACS). Les violences commises par ces personnes n'ont ainsi été comptabilisées parmi les violences conjugales qu'à partir d'avril 2006.

Néanmoins, les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie paraissent bien en-deçà des violences conjugales réellement subies. Selon les estimations réalisées par l'Observatoire national de la délinquance (OND), le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9% des violences conjugales réellement subies 4 ( * ) . En outre, le nombre d'homicides au sein du couple constatés n'inclut pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques infligées par un conjoint.

Afin de compléter ces données parcellaires, les pouvoirs publics ont, depuis une dizaine d'années 5 ( * ) , recours à des enquêtes de victimation .

D'après l'enquête « cadre de vie et sécurité » réalisée conjointement par l'INSEE et l'OND en 2007 6 ( * ) , 410.000 femmes, soit 2,3 % de l'ensemble des femmes âgées de 18 à 60 ans , ont été victimes de violences physiques de la part d'un conjoint ou d'un ex-conjoint en 2005-2006.

Par ailleurs, il convient de rappeler que les violences conjugales ne concernent pas uniquement les femmes. D'après les estimations de l'Observatoire national de la délinquance, 130.000 hommes âgés de 18 à 60 ans, soit 0,7 % d'entre eux , auraient subi des violences infligées par une conjointe ou une ex-conjointe en 2005-2006. Le taux de plainte des hommes victimes de violences conjugales serait inférieur de moitié à celui des femmes victimes des mêmes violences, l'enquête précitée l'évaluant à moins de 5% .

L'établissement d'un profil - type des auteurs de violences et de leurs victimes apparaît malaisé, mais quelques lignes de force semblent pouvoir être dégagées :

- tous les milieux sociaux sont concernés par le phénomène des violences conjugales, même si l'isolement, la religion, l'âge ou une situation de chômage semblent avoir une influence sur les violences subies. Les femmes étrangères ou françaises d'origine étrangère sont également plus exposées aux violences conjugales que la moyenne ;

- la consommation d'alcool et, dans une moindre mesure, de produits stupéfiants, aggrave le risque de violences. Une enquête menée dans le ressort d'un grand tribunal de grande instance de la région parisienne a par exemple montré que 34% des auteurs de violences conjugales étaient alcoolisés au moment des faits ;

- par ailleurs, 15% des auteurs de violences conjugales souffriraient de troubles psychiatriques clairement identifiés 7 ( * ) .

En dépit de ces données parcellaires, des progrès notables dans la lutte contre les violences conjugales ont été réalisés par les pouvoirs publics depuis une dizaine d'années.

* 1 Sa proposition de loi n° 62 (2004-2005) ainsi que la proposition de loi n° 95 (2004-2005) relative à la lutte contre les violences au sein des couples, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et ses collègues du groupe communiste, républicain et citoyen, ont constitué la base de travail de l'élaboration de la loi du 4 avril 2006. Voir sur ce point les rapports n° 228 (2004-2005) et n° 160 (2005-2006) faits au nom de la commission des lois par notre ancien collègue Henri de Richemont.

* 2 Bulletin statistique de l'Observatoire national de la délinquance, juillet 2008.

* 3 Depuis plusieurs années, des instructions sont adressées par les parquets aux services enquêteurs afin qu'une procédure soit établie systématiquement à la place d'une main courante ou d'un procès-verbal de renseignements judiciaires, et ce même si la victime a refusé de porter plainte ou l'a retirée. De ce fait, entre 2005 et 2009, le nombre de poursuites a augmenté de 21% tandis que les classements sans suite ont diminué de 34%. Le nombre de condamnations pour violences conjugales a quant à lui augmenté de plus de 80% entre 2004 et 2008 (source : ministère de la Justice).

* 4 Lorsque les femmes vivent avec l'auteur des violences au moment des faits. En revanche, lorsque les violences ont été commises par un ex-conjoint, le taux de plainte est supérieur à 50%.

* 5 L'Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France, réalisée en 2000, a constitué la première étude exhaustive menée sur ce thème.

* 6 Etude réalisée à partir des réponses données en 2007 par 10.000 personnes âgées de 18 à 60 ans interrogées sur les violences physiques dont elles ont pu être victimes en 2005 ou 2006.

* 7 Voir sur ce sujet le rapport d'information de la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes de l'Assemblée nationale, juillet 2009.

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