N° 209
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 janvier 2010 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l' ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d' argent et de hasard en ligne ,
Par M. François TRUCY,
Sénateur
Tome I : Rapport
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; M. Yann Gaillard, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Jacques Jégou, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Joël Bourdin, François Marc, Alain Lambert , vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Sergent, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Belot, Pierre Bernard-Reymond, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Christian Gaudin, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Yves Krattinger, Gérard Longuet, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
1549 , 1837 , 1838 , 1860 et T.A. 348 |
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Sénat : |
29 et 210 (2009-2010) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Madame, Monsieur,
Le présent projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, déposé à l'Assemblée nationale le 25 mars 2009 et adopté en première lecture par les députés le 13 octobre dernier, intervient à la suite d'une procédure initiée par la Commission européenne à l'encontre de douze Etats membres .
Après une mise en demeure adressée le 12 octobre 2006, la France a ainsi fait l'objet d'un avis motivé le 27 juin 2007 considérant que les restrictions imposées par la législation française aux paris sportifs et hippiques n'étaient pas justifiées au regard du principe de libre-prestation de services, prévu par l'article 49 du Traité CE. Le Gouvernement a dès lors confié à M. Bruno Durieux, inspecteur général des finances, une mission sur l'ouverture du marché des jeux d'argent et de hasard , dont le rapport a été remis en mars 2008, et a présenté peu après un avant-projet de loi à la Commission européenne.
Ce texte, qui a donné lieu à un avis circonstancié de la Commission le 7 juin 2009, est donc sous contrainte européenne mais ne procède pas de cette seule exigence et répond donc également à d'autres objectifs . Il est en effet devenu indispensable de réformer notre régulation des jeux, car le régime actuel des droits exclusifs accordés à deux opérateurs historiques et d'interdiction des jeux de cercle sur Internet n'est clairement plus en phase avec la réalité et maintient une illégalité factice de l'offre transfrontalière de jeux sur Internet .
Cette réalité, ce sont au moins deux milliards d'euros de mises annuelles sur des milliers de sites illégaux de paris et de poker en ligne, une très forte dynamique de croissance, des atteintes avérées à l'ordre public (fraude aux moyens de paiement, manipulation des cotes, risques de blanchiment des capitaux...) et de nouveaux comportements addictifs, mal évalués mais qui créent des situations individuelles dramatiques.
Plutôt que de se contenter d'une prohibition illusoire car démentie dans les faits, le Gouvernement a fait le choix justifié d'une ouverture très encadrée à la concurrence des paris hippiques, des paris sportifs et du poker en ligne , excluant donc les purs jeux de hasard dont le potentiel addictif est réputé supérieur.
Le projet de loi qui nous est soumis propose donc de légaliser l'offre crédible par une stricte procédure d'agrément pour mieux stigmatiser les opérateurs illégaux et accroître les obstacles techniques et juridiques à leur activité.
Ce texte se situe au carrefour de multiples enjeux - juridiques, technologiques, sociaux, économiques et fiscaux -, qui en font la difficulté mais aussi l'intérêt, et constitue nécessairement un équilibre délicat entre des aspirations parfois difficilement conciliables. Il n'en manifeste pas moins la volonté d'une régulation « intelligente » et conforme aux objectifs d'intérêt général et de préservation de l'ordre public qui sont plus que jamais au coeur des missions de l'Etat.
I. LE CONTEXTE : UN CADRE JURIDIQUE DEVENU IRRÉALISTE ET CONTESTÉ PAR LES AUTORITÉS EUROPÉENNES
Afin de disposer d'une vision exhaustive de l'état actuel du marché des jeux en France, votre rapporteur a constitué un « état des lieux » figurant en annexe du présent rapport .
A. UNE TUTELLE PUBLIQUE SIMPLE DANS SON PRINCIPE MAIS COMPLEXE ET AMBIGUË DANS SON APPLICATION
1. De l'interdit moral et religieux à la tutelle publique
Les jeux d'argent et de hasard occupent une place à part dans les activités humaines en tant qu'ils se situent au carrefour du loisir et du lucre . Ils ont dès lors, depuis le haut Moyen-Âge, été sujets à l'opprobre et à des interdictions fondées sur des impératifs culturels, moraux ou religieux . Le jeu d'argent a ainsi pu être assimilé à un « vice », tout en étant parfois toléré dans l'entourage du roi...
Au-delà de cette méfiance séculaire, les jeux d'argent et de hasard ont été considérés comme porteurs de risques d'atteinte à l'ordre public , le cas échéant par affiliation avec le grand banditisme comme dans le cas des casinos. Les loteries ont cependant été utilisées comme instrument de financement d'oeuvres de bienfaisance , et les jeux d'argent et de hasard demeurent de manière générale fortement ancrés dans la société et les territoires , ainsi qu'en témoigne l'importance économique que les casinos et hippodromes peuvent revêtir à l'échelle locale.
La nature particulière des jeux d'argent et de hasard a conduit à la mise en place dans notre pays d'un régime de contrôle quantitatif et qualitatif exercé par l'Etat , reposant sur des principes de respect de l'ordre public et social et se traduisant par une canalisation de l'offre de jeux et une limitation du volume de la demande. L'Etat providence s'est en quelque sorte fait le gardien de la moralité dans le domaine des jeux. La police des jeux est ainsi aujourd'hui assurée par le service central des courses et jeux, au sein de la direction centrale de la police judiciaire, et dispose de correspondants départementaux.
Le principe d'interdiction générale , prévu par la loi du 21 mai 1836 relative à la prohibition des loteries et par la loi du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard, a été assorti, dès la loi de 1836, de dérogations spécifiques qui ont été enrichies au fil du temps. L'interdiction porte sur l'exploitation des jeux et n'emporte donc pas pénalisation du joueur en cas d'offre illégale .
En sus des deux lois précitées, le troisième texte législatif majeur est la loi du 2 juin 1891 , qui règlemente l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux, la distinction entre pari mutuel sur les hippodromes (PMH) et pari mutuel urbain (PMU) ayant été établie par la loi du 16 avril 1930. Le dispositif applicable au secteur des jeux a également été enrichi de nombreuses dispositions réglementaires et forme ainsi un ensemble complexe. Les principaux textes applicables sont insérés en annexe du présent rapport.
Outre les casinos et cercles de jeux soumis à un régime d'autorisation accordée par le ministère de l'intérieur, les jeux et paris sont actuellement organisés et exploité par deux monopoles , sur les paris hippiques et sur les loteries, jeux de grattage et paris sportifs. Le groupement d'intérêt économique Pari mutuel urbain ( PMU ) a ainsi été constitué en 1983 par les sociétés de courses, et la Française des jeux a succédé à France Loto en 1990, sous la forme d'une société anonyme publique détenue à 72 % par l'Etat.
Plusieurs décrets assignent à la Française des jeux des objectifs d'intérêt général , en particulier l'intégrité, la sécurité, la transparence et la fiabilité des opérations de jeux, ainsi que l'encadrement de la consommation de jeux.