N° 127

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1), sur la proposition de résolution européenne de MM. Richard YUNG, Simon SUTOUR, Roland RIES, Mmes Raymonde LE TEXIER, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Jacqueline ALQUIER, MM. Robert BADINTER, Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Claire-Lise CAMPION, Jacqueline CHEVÉ, Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Bernard FRIMAT, Jean-Pierre GODEFROY, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Jacky LE MENN, Mme Catherine TASCA et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement , portant sur le respect du droit à l' action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs,

Par M. Marc LAMÉNIE

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

66 et 117 (2009-2010)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires sociales a été saisie d'une proposition de résolution européenne, déposée par les membres du groupe socialiste, portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs.

Cette proposition de résolution critique plusieurs décisions récentes rendues par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) au sujet de l'interprétation qu'il convient de donner à la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Le droit à la libre prestation de services, au même titre que la liberté d'établissement ou que le droit à la libre circulation des travailleurs, est un principe consacré par les traités communautaires. En conséquence, toutes les dispositions qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher une entreprise de proposer ses services dans un autre pays de l'Union européenne sont prohibées.

Or, la jurisprudence récente de la Cour de Justice semble vouloir faire primer le principe de la libre prestation de services sur toute autre considération. Elle a en effet condamné les initiatives prises par des syndicats ou par des collectivités publiques dans le but d'imposer de meilleures conditions salariales, au motif qu'elles étaient constitutives d'une restriction prohibée à la libre prestation de service. Le groupe socialiste du Sénat critique cette jurisprudence et appelle de ses voeux une révision de la directive de 1996 pour fixer des règles plus protectrices des salariés.

La commission des affaires européennes, préalablement saisie en application du règlement du Sénat, a déjà proposé une analyse précise de la jurisprudence de la CJCE et de la proposition de résolution 1 ( * ) . Votre commission partage largement ses conclusions et s'attachera donc surtout, après un rappel des enjeux de ce débat juridique complexe, à formuler des observations et des recommandations destinées à éviter que le détachement de travailleurs ne conduise à un recul des droits sociaux en Europe.

I. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE RELATIVE À LA PROTECTION DES SALARIÉS EN CAS DE DÉTACHEMENT TRANSFRONTALIER

Une entreprise de services qui remporte un marché dans un Etat différent de celui dans lequel elle est implantée est souvent conduite, pour en assurer l'exécution, à détacher, temporairement, une partie de ses salariés dans l'Etat où est installé son client. La question se pose alors de savoir quel sera le droit applicable au salarié pendant la durée de son détachement : seront-ce les règles de droit social de son Etat d'origine ou celles de l'Etat qui l'accueille temporairement ?

La directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, répond à cette question. Si la directive a globalement atteint son objectif de protection des salariés, des difficultés sont apparues dans certains Etats européens, notamment dans les pays scandinaves et en Allemagne

A. LA DIRECTIVE SUR LE DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS

1. Des dispositions protectrices

L'article 3 de la directive détermine les règles de droit applicables, en matière sociale, à un salarié détaché dans un autre Etat membre de l'Union européenne : celui-ci est alors soumis aux règles de l'Etat d'accueil dans les domaines suivants :

- la durée maximale du travail et les temps de repos ;

- la durée minimale des congés payés ;

- le salaire minimum ;

- les conditions de mise à disposition de travailleurs, notamment dans le cadre de l'intérim ;

- la sécurité, la santé et l'hygiène au travail ;

- les mesures protectrices des femmes enceintes, des jeunes mères, des enfants et des jeunes travailleurs ;

- l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes et l'interdiction des discriminations.

L'article 3 précise que les règles applicables, dans ces différents domaines, doivent résulter de dispositions législatives, règlementaires ou administratives ou de conventions collectives d'application générale.

En outre, les Etats peuvent imposer aux entreprises des conditions de travail et d'emploi dans des matières autres que celles qui viennent d'être citées s'il s'agit de dispositions d'ordre public.

Deux précisions doivent enfin être apportées :

- d'abord, la directive n'interdit pas à une entreprise d'accorder volontairement à ses salariés des conditions d'emploi plus favorables que celles exigées par le droit en vigueur dans l'Etat d'accueil ;

- ensuite, les travailleurs qui bénéficient, dans leur Etat membre d'origine, de conditions d'emploi plus favorables que celles prévues dans l'Etat d'accueil continuent de bénéficier de ces dispositions plus avantageuses pendant la durée de leur détachement.

Le nombre de travailleurs détachés dans l'Union européenne n'est pas connu avec précision. Certaines estimations le situent autour d'un million, soit 0,4 % de la population en âge de travailler 2 ( * ) .

Si la directive n'indique pas quelle peut être la durée maximale d'un détachement, un règlement communautaire du 14 juin 1971 précise que celle-ci est au plus de douze mois, renouvelable une fois si la mission confiée au salarié n'est pas achevée. Passé ce délai, si le salarié reste dans l'Etat d'accueil, il cesse d'être affilié au régime de protection sociale de son Etat d'origine et doit s'affilier dans son Etat d'accueil.

2. Leur application en droit français

En application de ces dispositions, un salarié letton, détaché en France pendant six mois par exemple, ne pourra, pendant la durée de son détachement, être rémunéré à un niveau inférieur au Smic. Si la convention collective qui régit son activité prévoit un salaire minimum supérieur au Smic, il percevra un salaire au moins égal à ce minimum conventionnel.

L'encadré suivant détaille les dispositions du droit du travail applicables aux salariés détachés sur le territoire français.


Quelles sont les principales règles applicables aux salariés en détachement ?

? Droits fondamentaux

Les salariés détachés en France bénéficient des libertés individuelles et collectives dans les mêmes conditions que les salariés français et le droit de grève leur est reconnu. Ils bénéficient également du principe de non-discrimination et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que des dispositions relatives à la protection de la maternité et des jeunes au travail.

? Durée du travail et congés

En France, la durée légale maximale de travail est de dix heures par jour et de quarante-huit heures au cours d'une même semaine. Sont applicables aux travailleurs détachés les règles relatives aux congés annuels payés (évalués au prorata du séjour effectué en France), aux congés pour événements familiaux, au congé de maternité et de paternité. En revanche, ne s'appliquent pas les règles du code du travail relatives aux congés non rémunérés et au compte épargne temps.

Dans le secteur du BTP, l'employeur étranger doit s'affilier à la caisse des congés payés du BTP et au régime « chômage intempéries », sauf s'il existe un régime équivalent dans son pays.

? Salaire minimum

Quelle que soit la durée du détachement, les salariés détachés doivent être rémunérés au minimum sur la base du Smic ou du salaire minimum conventionnel, s'il est plus élevé. En outre, les indemnités couvrant les surcoûts occasionnés par le détachement (dépenses de voyage, de logement...) doivent être remboursées par l'employeur.

Lorsque la durée du détachement en France est supérieure à un mois, les salariés détachés doivent percevoir un salaire mensualisé et il doit leur être remis un bulletin de paie traduit en français.

? Règles relatives à la sécurité, la santé, l'hygiène au travail et la surveillance médicale

L'employeur doit veiller à la sécurité des lieux de travail des salariés, en tenant compte des risques professionnels auxquels ces derniers peuvent être exposés pendant leur période d'activité en France. Les salariés détachés en France bénéficient du droit de retrait, qui leur permet de quitter leur poste de travail s'ils sont exposés à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.

En ce qui concerne la santé au travail, l'employeur établi dans un Etat européen peut prouver que ses salariés bénéficient d'un régime de surveillance médicale équivalent au dispositif français et obtenir qu'ils soient dispensés de repasser les examens médicaux nécessaires préalablement à leur prise de poste en France. Ce sont toutefois les règles françaises qui fixent la périodicité des examens médicaux pendant la période de détachement des salariés en France. Les salariés détachés bénéficient, pendant la période de leur détachement en France, des prestations du service de santé au travail de l'entreprise d'accueil. Le surcoût éventuellement engendré pour l'entreprise d'accueil par la présence des salariés détachés pourra être répercuté sur l'entreprise étrangère.

Les garanties apportées par la directive sont essentielles pour éviter un « dumping salarial » généralisé en Europe et des distorsions de concurrence inacceptables entre les entreprises. La concurrence doit s'exercer au niveau de la qualité de la prestation de service ou du délai d'exécution, mais pas au niveau des salaires et des autres garanties sociales.

* 1 Cf. le rapport Sénat n°117 (2009-2010) fait par Denis Badré au nom de la commission des affaires européennes.

* 2 Cf. la communication de la commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Détachement de travailleurs dans le cadre de la prestation de services : en tirer les avantages et les potentialités maximum tout en garantissant la protection des travailleurs », p. 3.

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